Blog de l'association ReOpen911

11-Septembre : 29 pages en clair-obscur

Posté par .Rédaction le 22/07/2016


Des émissions comme Cash Investigation mettent en scène des journalistes enquêtant des mois sur des milliers, voire des millions de pages de documents, et tout le monde s'en félicite. Mais lorsque l'administration Obama accepte sous la pression de déclassifier 29 pages d'un rapport de 2002 sur le 11-Septembre (et non 28 pages comme on le pensait jusque-là), on peine à trouver un article qui aille plus loin qu'un banal résumé de l'AFP calé sur les positions de Washington et Ryad. Pire, cet épisode démontre une fois de plus le niveau de méconnaissance et de suivisme des médias, ainsi que leur absence d'esprit critique en la matière.

 

 

« 11-Septembre : Pas de liens entre l'Arabie saoudite et les attentats » annonce le titre du Monde, reprenant une dépêche de l'AFP. Au milieu de ce court article, un sous-titre reprend la déclaration du ministre saoudien des affaires étrangères, Adel Al-Jubeir, selon lequel « le dossier est clos ». De même, L'Express ou RFI titrent qu'il n'y a « aucune preuve de l'implication de dirigeants saoudiens ». Pour Paris Match, le rapport « blanchit » les Saoudiens, quand d'autres journaux français misent plutôt sur l'absence de « liens formels entre l'Arabie saoudite et les attentats ». A l'image du Point, la presse annonçait dès le mois de juin qu'il n'y avait « pas de preuves d'une implication saoudienne », avant même que le document soit publié. En se basant sur le même degré d'exigence, les journalistes français seraient pourtant obligés de concéder que l'implication d'Oussama ben Laden n'a jamais été formellement démontrée [1]. Dans les deux cas, l'absence de preuve ne fait pas la preuve de l'absence d'implication, ce qui n'empêche pas les journalistes de traiter ces faits de manière diamétralement opposée, et de se ranger le plus souvent derrière les déclarations de la Maison Blanche.

La presse étrangère se montre d'ailleurs beaucoup plus partagée à disculper aussi rapidement le royaume saoudien. Pour le Telegraph, les 29 pages « montrent que les pirates du 11-Septembre ont reçu l'aide d'individus disposant de liens importants dans le gouvernement saoudien ». De son côté, USA Today titre que « les pages déclassifiées du 11-Septembre indiquent des liens avec l'ancien ambassadeur saoudien ». Le New York Post va plus loin et affirme que « Oui, le gouvernement saoudien a aidé les terroristes du 11-Septembre ». Comment se fait-il que les médias français y voient à peu près tout le contraire ? Quel est cet ambassadeur dont le nom n'est cité nulle part en France ? C'est même à se demander s'ils ont lu le (même) document. Une fois n'est pas coutume, le site d'Arrêt sur Image coupe la poire en deux et résume assez bien la situation : « Ceux qui attendaient de ces 28 pages qu'elles révèlent une "vérité" unique et éblouissante en seront pour leurs frais. La question que le document était supposé permettre de trancher : le rôle éventuel de l'Arabie saoudite dans la préparation et la mise en œuvre des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Mais voilà : la lecture du document déclassifié par l'administration Obama après quatorze ans de suspense... rend possible à peu près toutes les interprétations. »

Si bien sûr ces 29 pages n'ont jamais eu vocation à devenir le sésame explicatif des événements du 11-Septembre, elles ne recèlent pas moins de détails significatifs, susceptibles d'aider les familles de victimes dans leurs actions en justice. Kristen Breitweiser, fer de lance des Jersey Girls [2], connaît bien le dossier et ne se trompe pas sur son importance : « Malgré l'absence de coopération du FBI et la pression de l'administration Bush pour contrecarrer toute enquête sur les Saoudiens, l'enquête conjointe [des comités du renseignement du Congrès] a été tout de même en mesure d'écrire 29 pages complètes concernant la complicité saoudienne dans les attaques du 11-Septembre. Aucune autre nation n'a reçu un tel traitement de faveur dans le rapport final de l'enquête conjointe. Ni l'Irak. Ni l'Iran. Ni la Syrie. Ni le Soudan. Pas même l'Afghanistan ou le Pakistan. »

Kristen Breitweiser pointe par ailleurs que « la Commission du 11-Septembre n'a pas pleinement enquêté sur le royaume d'Arabie saoudite. Le directeur exécutif Philip Zelikow a bloqué toute enquête sur les Saoudiens. Zelikow est même allé jusqu'à virer un enquêteur spécifiquement venu de l'enquête conjointe pour reprendre les pistes saoudiennes et les informations découvertes dans l'enquête conjointe. » En effet, Dana Leseman s'était fait renvoyée du staff de la commission car elle s'était procurée les 29 pages dont elle était censée poursuivre les traces, mais auxquelles Zelikow lui refusait l'accès. Avant cet épisode, Zelikow avait refusé de valider la liste des interviews proposée par Dana Leseman et son collègue Mike Jacobson afin de poursuivre le travail qu'ils avaient entamé pour l'enquête du Congrès sur les liens présumés de certains terroristes avec le gouvernement saoudien. Zelikow n'en accorda que la moitié. « Nous avons besoin de ces interviews. Nous avons besoin de ces documents. Pourquoi essayez-vous de limiter notre enquête ? » lui avait répondu Leseman. Dans ces circonstances, comment peut-on prétendre que la Commission du 11-Septembre a permis de poursuivre, puis d'invalider les pistes relevées dans ces 29 pages ?

Kristen Breitweiser rappelle également un événement étonnant et encore trop peu connu de l'histoire de cette commission : « Zelikow a réécrit toute la section de la Commission du 11-Septembre concernant les Saoudiens et leur lien avec les attaques du 11-Septembre. » Dans son livre The Commission, le journaliste Philip Shenon racontait en effet comment Philip Zelikow et son adjoint Dieter Snell s'étaient livrés à une « session nocturne de réécriture » des passages concernant l'Arabie saoudite dans le rapport final, quelques jours seulement avant son envoi à l'imprimerie. Voici le passage en question (pages 398-399) :
 

« Pour Mike Jocobson, Raj De, et d'autres membres de l'équipe « complot » qui pensaient fermement avoir démontré un lien étroit entre le gouvernement saoudien et les pirates de l'air à San Diego, leur adversaire en révélant l'histoire n'était pas Zelikow. C'était Dieter Snell, le très prudent procureur qui était leur chef d'équipe.

Jacobson et De sentaient qu'ils avaient une matière explosive sur les Saoudiens : les mesures prises par Omar al-Bayoumi, cet « employé fantôme » saoudien qui accueillit les deux pirates de l'air à San Diego, et Fahad al-Thumairy, ce mystérieux diplomate saoudien à Los Angeles. Jacobson et De avaient documenté des transferts d'argent inhabituels entre l'épouse de l'ambassadeur saoudien à Washington et la famille d'un autre mystérieux saoudien lié à Al-Bayoumi. Ils étaient particulièrement excités par la découverte des dossiers du FBI sur le chauffeur de taxi qui avait travaillé pour Thumairy à Los Angeles et avait initialement identifié les photos de Nawaf al-Hazmi et Khalid al-Mihdhar.

Mais après avoir présenté à Snell leurs versions finales exposant leurs conclusions, Jacobson fut alarmé de recevoir un appel téléphonique vers minuit de l'une des dernières nuits d'édition. Snell et Zelikow étaient dans le bureau, en train de réécrire le rapport. Snell avait présenté un projet alternatif de chapitre, et supprimé la quasi-totalité des allégations les plus graves contre les Saoudiens. Jacobson a appelé De, et ils se sont tous les deux précipités vers les bureaux de K Street.

Snell a bien fait comprendre qu'il n'allait pas défendre un rapport final tenant des allégations qui ne pouvaient être soutenues de façon concluante. De par sa longue carrière en tant que procureur, il savait qu'une allégation fondée sur des données partielles ne devrait pas être tenue du tout, a-t-il dit. Snell était très admiré des membres de la commission pour son dévouement à la vérité. Sa prudence avait manifestement bien servi en tant que procureur. Mais les membres de son équipe estimaient que le niveau de preuve qu'il demandait à la Commission du 11-Septembre exonérerait les coupables.

Face à Zelikow, Jacobson et De ont essayé tous les arguments qu'ils avaient utilisé pendant des mois - combien il était « fou » d'insister sur une preuve de culpabilité à cent pourcents quand il s'agissait d'un réseau terroriste comme al-Qaïda ou le fonctionnement d'un régime autoritaire comme l'Arabie saoudite. La commission n'était pas un jury de tribunal ; il n'y avait pas d'exigence de « doute raisonnable ». Ne voyait-il pas qu'en supprimant cette matière dans le rapport, il disait en réalité au public que l'Arabie saoudite n'avait rien fait de mal, alors qu'en fait, il y avait tout lieu de craindre ce que les autorités saoudiennes avaient fait ? Mais Snell était déterminé.

Zelikow semblait compréhensif à certains des arguments déployés par Jacobson et De ; lui aussi, avait d'abord eu de graves soupçons sur les Saoudiens. Mais à cette heure tardive, son rôle était celui d'un médiateur entre Snell et le personnel. Il ne restait que quelques jours avant que l'ensemble du rapport ne soit envoyé à l'imprimerie. A défaut de démissionner et de retirer leurs noms du rapport entier, Jacobson et De ont dû faire un compromis, et une grande partie des éléments les plus accablants ont été déplacés dans les notes de bas de page du rapport. C'était dans le rapport, mais les lecteurs devraient les trouver afin de les déchiffrer dans la typo des notes de bas de page. »
 

Cette exigence de preuve à « cent pourcents » n'empêcha pourtant pas le rapport d'accorder un chapitre entier à l'implication présumée, mais jamais avérée, du Hezbollah et de l'Iran dans les attentats du 11-Septembre. Dieter Snell se présentera même comme un des témoins clés d'un jugement par défaut contre l'Iran et le Hezbollah en 2011, aux côtés d'islamophobes notoires, de transfuges douteux, et d'une organisation néoconservatrice prônant le changement de régime en Iran par la force [3]. Ironie de l'histoire, le juge ayant condamné l'Iran et le Hezbollah sur la foi de ces divers « experts » se trouve être le même qui refuse depuis des années d'entendre les familles de victimes sur l'implication présumée de l'Arabie saoudite. Ça ne s'invente pas. Notons ainsi que l'Iran et le Hezbollah ont été condamnés par un tribunal new-yorkais à plusieurs milliards de dollars de dommages et intérêts pour des liens bien plus ténus que ceux contenus dans les 29 pages déclassifiées du rapport du Congrès. Pourtant, la presse française maintient avec un aplomb déconcertant qu'elles ne contiennent rien. De même, la Commission du 11-Septembre ne s'est jamais embarrassée d'utiliser les témoignages de prisonniers soumis à la torture dans des prisons secrètes pour étayer des pans entiers de son rapport.

Mais revenons à Philip Shenon, quel est justement son point de vue sur la déclassification des 29 pages ? Dans le Guardian, il écrit qu'elles « suggèrent un plus large réseau de connexions que précédemment connu entre Al-Qaïda et la famille royale saoudienne » et « offre des informations auparavant inconnues sur les actions d'un personnage puissant de la famille royale saoudienne. Le prince Bandar bin Sultan, qui a été ambassadeur de son pays à Washington pendant plusieurs années avant et après le 11-Septembre, et était un ami proche de Bush. » Hormis Arrêt sur Image, aucun média français n'a évoqué ce personnage dans les derniers articles dédiés aux 29 pages. Shenon poursuit : « Selon le rapport, au moins 15 000 dollars sont allés directement du compte bancaire du prince Bandar à Washington vers la famille d'un expatrié saoudien, soupçonné d'être un espion du gouvernement saoudien, qui a organisé un réseau de soutien en Californie pour deux des pirates de l'air du 11-Septembre pendant qu'ils séjournaient à San Diego l'année précédant les attaques. Le rapport révèle également qu'un répertoire téléphonique détenu par Abou Zubaydah, un haut responsable d'Al-Qaïda capturé en 2002 au Pakistan, comportait le numéro de téléphone confidentiel d'une entreprise du Colorado qui gérait les affaires du prince Bandar dans sa maison à la montagne du resort d'Aspen, ainsi que le numéro de téléphone d'un garde du corps qui a travaillé sous Bandar à l'ambassade d'Arabie saoudite à Washington. »

Shenon complète le tableau en rappelant qu'il « avait déjà été rapporté que la femme de Bandar, la princesse Haifa bin Sultan, qui est né dans la royauté comme son mari, avait versé des dizaines de milliers de dollars à la femme du même expatrié saoudien en Californie, Oussama Basnan. Pour la première fois dans le domaine public, les 28 pages déterminent exactement combien d'argent est passé de la princesse Haifa à la famille de Basnan : 74 000 dollars en chèques bancaires entre février 1999 et mai 2002. Les enquêteurs de l'enquête du Congrès et de la Commission du 11-Septembre soupçonnaient, sans jamais être en mesure de le prouver, qu'une grande partie de cet argent a fini dans les mains des deux pirates de l'air à San Diego : Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi. Le gouvernement saoudien a nié à plusieurs reprises que le prince Bandar et la princesse Haïfa aient jamais soupçonné que l'argent des comptes de la famille ait pu être utilisé dans un réseau de soutien pour les pirates du 11-Septembre. Au fil des ans, la princesse Haifa a déclaré par l'intermédiaire de porte-paroles qu'elle comprenait que ses chèques étaient destinés à payer les soins médicaux pour la femme malade de Basnan. »

 


George W. Bush et Bandar bin Sultan

 

Ce n'est pas fini. Dans un long article très complet, la journaliste Larisa Alexandrovna Horton analyse de nombreux extraits du rapport qui montrent selon elle que « les pirates de l'air disposaient d'agents traitants sous la responsabilité de, financés par et répondants aux ordres d'individus aux plus hauts niveaux du gouvernement saoudien. » Et d'égratigner au passage le discours officiel relayé par la presse : « Les articles relatifs aux 28 pages - ainsi que tous les éléments de langage des gouvernements américains et étrangers - ont mis l'accent sur deux arguments afin de discréditer ou de minimiser les 28 pages : 1) Les informations contenues dans ce document sont "brutes" et non vérifiées. 2) Il n'y a pas de nouvelles informations dans le document. Aucun de ces éléments de langage n'est vrai. […] Les arguments selon lesquels les 28 pages ne fournissent aucune nouvelle information ne tient pas compte des nouveaux éléments d'information qu'il contient ainsi que le contexte qu'il fournit.»

Par exemple, les 29 pages avancent que « le FBI et la CIA n'ont pas enquêté sur les Saoudiens aux États-Unis, ni sur leurs activités à l'extérieur des États-Unis parce que les Saoudiens sont un allié des États-Unis. » Il s'agit donc d'une décision politique prise au plus haut niveau de l'État. S'appuyant sur un article de Greg Pallast et David Pallister paru en novembre 2001 dans le Guardian, Alexandrovna rappelle que « le FBI a toujours été un peu contraint quand il venait à enquêter sur les membres de la famille Ben Laden. Selon des sources du FBI, cette politique de "ne pas toucher aux Saoudiens," est devenue bien pire et plus vaste après que l'administration Bush ait pris ses fonctions. Le FBI a été prié de "se tenir à l'écart" d'enquête sur toute de la famille royale saoudienne, ainsi que sur la famille Ben Laden. » Elle note par ailleurs que les 29 pages « font plusieurs fois référence au refus du gouvernement saoudien de coopérer avant et après les attentats du 11-Septembre. »

Autre exemple, les 29 pages confirment que « Bayoumi travaillait pour une entreprise qui était affiliée au ministère saoudien de la Défense et de l'aviation » mais surtout qu'il « recevait un salaire mensuel alors qu'il n'a été présent qu'une seule fois. Le soutien a considérablement augmenté en avril 2000, deux mois après que les pirates de l'air soient arrivés à San Diego, a légèrement diminué en décembre 2000, et est resté au même niveau jusqu'en août 2001. » Omar al-Bayoumi est depuis longtemps soupçonné d'avoir été un agent des services de renseignement saoudiens occupant un emploi fictif chez Dallah Avco, mais d'après Alexandrovna, les 29 pages montrent que « l'augmentation semble coïncider avec l'arrivée de la cellule de San Diego. [...] Nous savons désormais qu'en décembre 2000, la cellule de San Diego, récemment rejoint par Hani Hanjour, avait déménagé en Arizona» Les 29 pages mentionnent également que « le FBI a découvert que al-Bayoumi avait des liens beaucoup plus étroits avec le gouvernement saoudien que ce qu'il avait réalisé précédemment », dont « au moins trois personnes à l'ambassade d'Arabie saoudite à Washington ; deux personnes à la Mission culturelle saoudienne à Washington ; et trois personnes au consulat saoudien de Los Angeles », sans compter un autre salaire payé par le ministère de la Défense via la société Ercan, quand bien même il n'y a jamais travaillé.

Les 29 pages établissent également un lien formel entre Oussama Basnan et Omar Bakarbashat, un proche associé des pirates de l'air, mais aussi « de nombreux liens avec le gouvernement saoudien, y compris un ancien emploi à la Mission éducative d'Arabie saoudite. » Tout comme Al-Bayoumi, le document indique que « le FBI a également reçu des rapports d'individus à l'intérieur de la communauté musulmane alléguant que Basnan pourrait être un agent des renseignements saoudiens. Selon une note de la CIA, Basnan aurait reçu un financement et peut-être un faux passeport de la part d'officiels du gouvernement saoudien. » Pour Alexandrovna, « cela semble confirmer que deux ressortissants saoudiens (Bayoumi et Basnan) ont été employés sous couverture du gouvernement saoudien, mais qu'ils étaient en fait des agents du renseignement. En cette dernière qualité, ils auraient rapporté directement au responsable du GID [renseignements saoudiens, ndt.] de la station de l'ambassade saoudienne, qui à son tour aurait rapporté au prince Turki », qui n'est autre que le frère de la princesse Haifa et le beau-frère de Bandar bin Sultan. Selon le document, « à au moins une occasion, Basnan a reçu un chèque provenant directement du compte du prince Bandar », tout comme sa femme qui recevait déjà de l'argent de la princesse Haifa pour des soins à domicile dont la commission n'a pu trouver aucune preuve.

Après ce tour d'horizon non exhaustif des informations contenues dans les 29 pages, Larisa Alexandrovna Horton dresse un bilan assez accablant : « Nombreux sont ceux dans les médias qui ont dit qu'il n'y a pas de smoking gun [preuve irréfutable, ndt.] dans le document des 28 pages. Si par smoking gun ils veulent le genre de preuve qui mettrait Bandar et Atta ensemble dans la même pièce, alors aucun smoking gun ne sera jamais découvert. Voilà maintenant comment les agents du renseignement travaillent. Il y a des intermédiaires et le gouvernement des États-Unis a identifié cinq d'entre eux par leur nom : Bayoumi, Basnan, Hussayen, Thumairy et al-Qudhaieen. Quatre des cinq ont des emplois du gouvernement saoudien ainsi que des liens avec les pirates de l'air du 11-Septembre. Quatre d'entre eux semblent également être des agents du renseignement saoudien avec des emplois du gouvernement saoudien pour couverture. Deux d'entre eux ont obtenu un financement direct du prince Bandar et la princesse Haifa ainsi que du ministère saoudien de la Défense et de l'Aviation. »

Le discours officiel de la Maison Blanche, repris en cœur par la presse française, insiste pour dire que la Commission du 11-Septembre aurait permis d'invalider les pistes saoudiennes évoquées par l'enquête du Congrès. Dans The Intercept, le média récemment fondé par Glenn Greenwald, le journaliste Lee Fang note pourtant que « bon nombre des conclusions du rapport n'ont pas été pleinement examinées étant donné que plusieurs des agents saoudiens nommés dans les 28 pages ont refusé de coopérer. » Il ajoute que « plusieurs organes de presse contrôlés par la vaste machine de relations publiques de l'Arabie saoudite brandissent le document comme une justification fermant la porte à toute suggestion que le gouvernement saoudien ait eu des liens avec les terroristes du 11-Septembre. "La question de la participation saoudienne au 11-Septembre devrait être entièrement dissipée," a déclaré Fran Townsend, une ancienne officielle de l'administration Bush, dans une vidéo relative aux 28 pages, diffusée cette semaine sur les médias sociaux. La vidéo a été produite par Focus Washington, une chaîne d'interviews gérée par Qorvis MSL, une firme de lobbying engagée par le gouvernement saoudien pour influencer les décideurs américains. »

La question de l'implication saoudienne ne se limite pourtant pas à ces 29 pages écrites en 2002. Tout récemment, le Daily Beast rapportait que le FBI détenait toujours « 80 000 documents classifiés, dont beaucoup traitent des connexions saoudiennes avec l'attentat terroriste du 11-Septembre. » De son côté, Dan Christensen du Florida Bulldog écrit que les 29 pages « n'abordent pas les liens apparents de Mohamed Atta et d'autres pirates de l'air avec des Saoudiens vivant à Sarasota avant le 11-Septembre. Des rapports du FBI indiquent que des agents ont trouvé « beaucoup de connexions » entre les comploteurs du 11-Septembre et les Saoudiens de Sarasota, mais ni le Congrès, ni la Commission ultérieure du 11-Septembre n'en ont été informés. La question n'a été rendue publique qu'en 2011, lorsque le Florida Bulldog, en collaboration avec l'auteur irlandais Anthony Summers, l'ont évoquée pour la première fois. »

 


Richard Clarke

 

Enfin, selon Richard Clarke, l'ancien responsable du contre-terrorisme à la Maison Blanche sous Clinton et Bush, deux questions principales restent sans réponse : « La première, sujet de ces 28 pages, est le rôle que des officiels du gouvernement saoudien ont joué dans le soutien à Al-Qaïda et au complot du 11-Septembre. La deuxième question, avec laquelle la Commission 11-Septembre s'est débattue mais a été incapable de répondre, est la raison pour laquelle la CIA a omis d'informer le FBI et la Maison Blanche lorsque l'agence a eu connaissance de la présence de terroristes d'Al-Qaïda aux Etats-Unis. » Ces deux questions sont possiblement liées à l'un des personnages principaux des 29 pages, Omar Al-Bayoumi, le bienfaiteur de Khalid Al-Mihdhar et Nawaf Al-Hazmi à San Diego. Comme le rappelle Clarke, « l'histoire officielle, qui figure dans le rapport de la Commission du 11-Septembre, est qu'Al-Bayoumi était juste un Bon Samaritain qui a rencontré par hasard Al-Mihdhar et Al-Hazmi dans un restaurant, après les avoir entendu parler arabe avec un accent du Golfe. […] Mais il y a une autre théorie que les 28 pages et le rapport de la Commission du 11-Septembre n'explorent pas : Et si Al-Bayoumi était un espion saoudien qui enquêtait sur Al-Qaïda sur demande de la CIA ? »

Ce n'est pas la première fois que Clarke évoque cette éventualité. Il avait d'ailleurs expliqué ce point de vue dans une interview filmée dès octobre 2009. Pour Clarke, « Rien dans l'enquête conjointe du Congrès, le travail de la Commission du 11-Septembre ou l'enquête de l'inspecteur général de la CIA, n'explique pourquoi la CIA a caché ce qu'elle savait au sujet de ces deux agents d'Al-Qaïda. En outre, rien dans ces rapports ne fournit une raison de ne pas croire à la possibilité que la CIA, le CTC et la haute direction de l'agence aient dissimulé une opération sous faux drapeau qui a mal tourné. Toute personne impliquée dans une telle opération sous faux drapeau aurait une bonne raison de le cacher. Si la présence de deux terroristes aux États-Unis avait conduit à leur arrestation et leur interrogatoire par le FBI, d'autres pirates du 11-Septembre auraient pu également être capturés. » [4] C'est également l'avis de Mark Rossini, ancien agent du FBI ayant travaillé à l'unité Alec Station de la CIA, soutenu par d'autres témoignages dont celui de James Bernazzani, un ancien responsable du contre-terrorisme au FBI.
 

Conclusion


Les 29 pages déclassifiées du rapport du Congrès soulèvent de graves questions sur le rôle joué auprès des pirates de l'air du 11-Septembre par plusieurs personnages saoudiens, travaillant probablement pour les services de renseignement et liés à une famille royale qui détient toutes les clés du pouvoir. La Commission du 11-Septembre, contrairement à ce qu'il convient de qualifier de rumeur, n'a jamais permis de répondre à ces questions. Certains officiels et experts du contreterrorisme comme Bob Graham et Richard Clarke suggèrent chacun des explications tout aussi valables que contradictoires entre elles. Des familles de victimes tentent de passer par la justice pour trouver des réponses. Pendant ce temps, les médias français recopient l'AFP qui recopie les communiqués de la Maison Blanche et du royaume saoudien.

S'il n'est pas raisonnable pour l'heure d'accuser l'Arabie saoudite d'une implication dans les attentats du 11-Septembre, le traitement calamiteux de ce dossier par les médias français semble pour le moins déraisonnable. Nous avons pleine conscience de la difficulté des journalistes à faire un travail de qualité dans le fonctionnement actuel des entreprises de presse (modèle économique et précarité, pressions diverses, éditocratie), mais cela ne les dispense pas de l'impératif d'informer correctement le public. Il nous parait donc plus que légitime de réclamer une plus grande attention, une plus grande curiosité et un meilleur traitement des informations liées au 11-Septembre depuis bientôt quinze ans. Est-ce vraiment trop demander ou va-t-on encore balayer ça avec des accusations de complotisme ?


-- La rédaction de ReOpen911 --



Notes

[1] Voir l'interview sur TV5 Monde de Jacques Baud, ex-analyste du renseignement stratégique suisse, ou notre documentaire Ben Laden, Storytelling et Démocratie.

[2] Jersey Girls est le surnom donné à ces veuves du New Jersey qui ont fait pression sur l'administration Bush et le Congrès américain afin de permettre la création d'une commission d'enquête sur les attentats du 11-Septembre. Leur histoire et leurs arguments ont été exposés dans deux documentaires traduit en français par notre association : 9/11 Press for Truth et In Their Own Words.

[3] Lire par exemple cet article de Gareth Porter sur le site de Truthout. Mark Rossini est tout aussi convaincu que l'Iran n'a rien à voir avec le 11-Septembre, comme il l'expliquait au site 28pages.org. 

[4] Lorsque Richard Clarke parle d'une « opération sous faux drapeau », il s'agit d'une opération de la CIA menée par les services saoudiens afin de tromper les terroristes d'Al-Qaïda.
 



En lien avec l'article :

  • Qui est Rich Blee ? Une enquête de Ray Nowosielski et John Duffy (septembre 2011) : partie 1 / partie 2 / partie 3.

 


 

Publié dans Revue médiatique | 4 Commentaires »

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Commentaires (4)

  1. Laurent,

    Merci beaucoup pour ce travail bénévole de très haute qualité qui n'est en rien comparable à la pauvre dépêche AFP que se contente de recopier, comme toujours, notre "pauvre" presse française décidément en dessous de tout, et sur ce dossier là en particulier.

  2. Kikujitoh,

    Très bon article qui résume parfaitement l'ampleur considérable du véritable labyrinthe que représente la compréhension globale des évenements du 11-Septembre.

  3. Redford,

    Très bon travail, qui aurait toute sa place en reprise sur les-crises.fr.

    A ce sujet, aucune réponse prévue aux dossiers qui-a-l'air-super-bien-quand-on-ne-connait-pas-ce-qu'il-est-sensé-critiquer ? A mon avis pas de point à point mais quelques exemples d'erreur ou omission et un lien vers The New Pearl Harbor et les 12 questions serait suffisant.

  4. điện thoại voip,

    Shenon complète le tableau en rappelant qu'il « avait déjà été rapporté que la femme de Bandar, la princesse Haifa bin Sultan, qui est né dans la royauté comme son mari, avait versé des dizaines de milliers de dollars à la femme du même expatrié saoudien en Californie,

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