Michel Collon, Caleb Irri : Internet et la révolution

Aux yeux de très nombreux commentateurs du Net, le 11-Septembre symbolise LA cyber-lutte pour la démocratie, pour la liberté d’expression, pour le respect des droits de l’homme et surtout pour la paix dans le monde. Confondre les véritables responsables de cette tragédie apporterait un soulagement mondial dans les relations internationales. Et cela redonnerait aux populations trahies par la défaillance de leur Justice (90 nationalités sont concernées par ce crime), confiance dans leurs institutions. Les auteurs en cavale du 11-Septembre n’avaient pas prévu l’exploitation galopante et irréversible de ce nouveau média, au moment de leur "sale" coup. Nous ne cesserons donc de mettre en garde nos lecteurs, devant les risques de censure ou de récupération mercantile qui à brève échéance menacent notre outil de communication et de rassemblement. Dans la même veine que plusieurs articles déjà publiés, comme celui de Roberto Quaglia, voici une analyse du journaliste indépendant Caleb Irri, reprise par le journaliste belge francophone Michel Collon sur son site de journalisme participatif investig’action que nous vous recommandons. Les derniers développements de l’affaire Wikileaks ou la cacophonie autour de la lettre d’Ahmadinejad à l’ONU ne font que confirmer une chose : si le Web 2.0 permet à chacun de s’exprimer et de remettre en cause des informations mainstream sur les multitudes de blogs et de sites alternatifs, l’explosion du nombre de sources d’information rend pour chaque citoyen la tâche de s’informer de plus en plus ardue.  Comme le dit Pino Cabras, "le Web est devenu le principal front de la lutte entre guerre et vérité."

 

 


Internet et la révolution

par Caleb Irri, cité par Michel Collon sur son site, le 13 avril 2010

Internet n’est pas une simple évolution technologique : c’est une révolution. En termes de médias, internet représente à grande échelle ce que représentait il y a quelques décennies l’arrivée de la radio, c’est à dire la possibilité pour tout un chacun, ou presque, d’exprimer ses opinions sur un canal capable de toucher un vaste public.

On le voit aujourd’hui, l’essentiel de la contestation a déserté les télés, les radios, et même la plupart des journaux écrits, pour se retrouver rassemblée dans une vaste communauté sur internet, le « web », ou « la toile ». Et pour cause, internet est en effet le seul moyen de communication libre et totalement indépendant, car il permet à tous de s’exprimer… partout et instantanément, de manière anonyme et en relative impunité, et tout cela à peu de frais.

Bien sûr, ce canal fait peur aux dictatures actuelles ou en devenir, car après avoir réussi à museler toutes les autres formes de contestation traditionnelles au moyen de la dépendance financière, elles se trouvent en face d’un réseau mondial sans frontière capable de transmettre écrits, images et sons à l’autre bout de la planète en une seconde, et dans toutes les langues de Babel. Les secrets d’Etat, les rumeurs, les mensonges, les scandales et les erreurs de nos chers dirigeants sont désormais susceptibles de se retrouver rapidement connus de tous, sans contrôle, sans moyen de les stopper ou presque.

On le voit bien aujourd’hui, les « buzz » font l’actualité, et il n’est pas rare de trouver les dernières nouvelles sur internet avant de les voir figurer en une de tous les journaux, ce qui peut s’avérer plus qu’embarrassant pour les élites qui nous dirigent. Et à l’heure du repli sur soi qui suit chaque crise économique de grande ampleur, à l’heure où les tensions sociales font craindre des débordements, où la voix des plus faibles veut se faire entendre, où la contestation se fait plus vive et plus unie, les gouvernants cherchent désormais par tous les moyens à faire cesser toute possibilité d’élargir les rassemblements, d’endiguer la vague contestataire, d’empêcher l’organisation de celle-ci.

Le formidable outil de propagande “internet” est en réalité une arme à double tranchant, qui peut aisément se retourner contre ceux qui l’ont pourtant créée pour les mêmes raisons qui les effraient aujourd’hui. A l’origine parfait moyen de propagande, internet devient peut à peu l’instrument de la contestation, et c’est bien la raison pour laquelle on veut lui trouver un « modèle économique », c’est-à-dire le moyen de le rendre dépendant du pouvoir financier, c’est-à-dire également du pouvoir politique.

Des projets comme l’ACTA, Hadopi ou Loppsi, sous prétexte de satisfaire à des exigences de sécurité et de rentabilité, sont en réalité le seul moyen que nos gouvernants ont trouvé pour contrôler cette arme dangereuse, afin qu’elle ne puisse pas se retourner contre eux. Sachant qu’ils ne pourront pas indéfiniment garder le silence sur certaines informations en les censurant sur les médias traditionnels, ils redoutent que tous les contestataires de tous les pays s’unissent sur internet : envisagez la puissance de cette force en liberté… le fameux “prolétaires de tous les pays, unissez-vous”, cela semble presque ridicule à côté d’un “internautes de tous les pays, unissez-vous”.

En ces temps de crise économique et sociale, on s’aperçoit en effet à quel point tous les mouvements contestataires sont ceux qui gravitent sur internet, et dont la puissance est considérable, si toutefois ils réussissaient à s’unir. De plus, la puissance de sa portée, ainsi que sa liberté d’action, sa rapidité, sa quasi-gratuité, son universalité sont peut-être la clef qui permettrait à tous de libérer les consciences du joug auquel ils sont assujettis.

Tous ceux qui veulent « changer le monde » ont bien compris que le meilleur moyen de diffuser leurs idées est internet, et ils ne s’en privent pas. Internet est la possible réalisation d’une sorte de vaste « méthode Descartes » (tout désapprendre pour tout réapprendre) capable de confronter le monde aux défis qui l’attendent, en même temps que de l’éclairer sur le conditionnement dont il est victime depuis tant de siècles. Mais pour combien de temps encore ?

Il nous faut absolument protéger l’indépendance (et donc la gratuité) de ce qui est sans doute le dernier rempart pour conserver notre liberté de penser, et de résister. Et peut-être même le ferment d’une transformation beaucoup plus importante…

Même si la tâche semble presque impossible à réaliser, il faut se rendre compte que ceux qui ont réussi à créer le monde que nous subissons aujourd’hui ont commencé à poser les premières pierres de leur édifice il n’y a pas si longtemps. Et surtout qu’avec les moyens de diffusion dont nous disposons actuellement, le chemin peut être beaucoup plus rapide à parcourir.

Il nous faut absolument nous rassembler dès aujourd’hui, pour dans un premier temps protéger cet outil formidable, et créer dans un second temps le nouveau système dont nous voulons tous. Pour que, le jour où il sera prêt, il puisse être proposé à tous en même temps, et partout. Il faut dès à présent réfléchir aux moyens de contourner la censure qui guette internet, et refuser de mettre les doigts dans l’engrenage de la dépendance financière que nous proposent nos gouvernants. Ceux-là mêmes qui se font financer l’information (que ce soit par le public ou par le privé) ont déjà perdu, que les autres ne croient pas à l’illusion de cette liberté. Pour que l’information soit libre, il faut qu’elle continue à être gratuite, ou au moins mutuelle.

par Caleb Irri, repris par Michel Collon sur son site, le 13 avril 2010

 

7 Responses to “Michel Collon, Caleb Irri : Internet et la révolution”

  • Buzz l'éclair

    J’ai beaucoup apprécié l’intro par GéantVert, très inspiré !

  • fyoul

    « Aux yeux de très nombreux commentateurs du Net, le 11-Septembre symbolise LA cyber-lutte pour la démocratie, pour la liberté d’expression, pour le respect des droits de l’homme et surtout pour la paix dans le monde. »

    Mouais. Je ne suis pas certain que ce soit LA cyber-lutte par excellence. Je noterais cependant que le 11-9 fait partie de cette multitude de luttes auxquelles les citoyens prennent part :

    - 11/9 oui, mais aussi :
    - Anti-Hadopi / ACTA … (via la quadrature du net)
    - information participative, information indépendante (agoravox, mediapart, bakchich, …)
    - Environnement (via Greenpeace)
    - Ecologie
    - …

    Par contre, OUI le Net est devenu le point de rassemblement du peuple, c’est devenu son moyen d’expression privilégié.

    Finalement, toutes ces causes ont deux points communs :
    - elles s’expriment sur le net, car c’est le seul endroit où elles arrivent à se faire entendre (jusqu’à ce que les médias s’en emparent : Ecologie, environnement)
    - beaucoup sont en opposition avec le fonctionnement actuel de nos « démocraties »

    Toutes ces actions sont finalement assez proches, de part leurs moyens de communication, et aussi souvent, leurs militants, qui souvent sont conscients des autres actions que les leurs, et y sont en général favorables.

  • Shrykull

    Je rajouterais tout de même qu’il ne faudrait pas non plus qu’Internet se retourne contre nous… l’énorme masse d’informations disponibles est à la fois un avantage et un inconvénient : comment distinguer les sources sérieuses de celles plus farfelues ? Comment démêler les informations primordiales de celles secondaires ? Pour un Reopen911 ou un Info Clearing House, combien de sites sur le complot Judéo-Maçono-Illuminato-Reptilien ?

    Aussi n’oublions pas que même si Internet est encore très libre, on en est pas moins dépendant des fournisseurs qui nous en garantissent l’accès et qui sont des entreprises privées. Il faut donc faire attention à ne pas devenir trop dépendant de cet outil, sous peine de se trouver vite dépourvu quand la bise sera venue ; de la même façon que l’on est trop dépendant de l’électricité aujourd’hui, au point de se retrouver impuissant à la moindre coupure de courant.

  • CD

    Très bien, mais – j’ai dû rater quelque chose -, l’internet, c’est pas deux pots de yaourts avec une ficelle, non?

    Qui a la technologie, qui fait tourner la machine, gère son exploitation?

    Les internautes?

    Moi, non, en tout cas.

    La contestation possède-t-elle les moyens de sa lutte?

  • doume

    Quel dommage que cet article balance des contre-vérités (par ignorance ou volonté de manipulation ?), car cela le crédibilise.

    Prétendre que les gouvernements ont créés internet comme « formidable outil de propagande » est de la désinformation.
    D’abord, je voudrais bien que l’auteur précise quels sont « les gouvernements incriminés » ?
    Ensuite, je ferais un petit rappel historique et technique:
    Internet n’est qu’un réseau informatique, ou plus exactement l’interconnexion de réseaux locaux en un seul réseau mondial.
    l’origine de la création d’internet vient des militaires étasuniens qui voulaient préserver la possibilité de conserver l’accessibilité aux informations sensible en cas de destruction d’un réseau local. Puis les universités étasuniennes utilisèrent se réseau, puis d’autres.
    Ce qui, en revanche pourrait être un « formidable outil de propagande », c’est le web, ce service qui nous permet de surfer à l’aide des lien hypertexte.
    Mais le web n’a absolument pas été créé par « les gouvernements ». On connait parfaitement son origine. C’est la vision du physicien anglais Timothy Berners-Lee (anobli « Sir » par la reine), aidé principalement par son collègue de travail belge Robert Cailliau au CERN (Centre Européen pour la Recherche Nucléaire) qui pris corps dans les années 1989-1990.

    @CD
    Si tu veux bien accomplir les efforts nécessaires, tu peux devenir acteur du web, comme l’ont fait les animateurs du site sur lequel ils ont mis à ta disposition un espace d’expression. Tu peux même posséder ton propre serveur web.
    Simple question de motivation …

  • Il faut en tout cas éviter d’imposer un modèle économique sur le net, le moyen de rendre le net dépendant du pouvoir financier et du pouvoir politique! Le net nous permets au niveau mondial de mettre à la lumière les discriminations et injustices exercés.

  • CD

    @ Doume

    « Si tu veux bien accomplir les efforts nécessaires, tu peux devenir acteur du web, comme l’ont fait les animateurs du site sur lequel ils ont mis à ta disposition un espace d’expression. Tu peux même posséder ton propre serveur web.
    Simple question de motivation … »

    … et de temps. J’ai participé un peu au fait, sur ce site. Et aussi, toujours qu’un peu, sur le terrain. C’est marrant, les pseudos.

    Sérieusement, tu as fait le rappel utile que je n’avais pas la motivation ou le temps de faire, ou simplement les connaissances juste sous la main.

    C’est d’ailleurs à partir de l’expérience, même réduite, que j’ai eue de cette participation à l’information que je faisais la remarque. Parmi les moyens que l’association utilise pour les ReOpenNews ou pour la coordination des actions, l’internet est un outil dont l’efficacité est apprécié comme pour toute conduite de projet coopératif.

    Mais tu l’as rappelé: on en maîtrise pas la technologie de cet outil ou son exploitation.

    J’y vois une contradiction. Parce que le projet de l’association est aussi un projet d’indépendance, me semble-t-il.

    Amicalement,

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