Mali : une nouvelle guerre contre le terrorisme utile ?

Comme à l’accoutumé, les forces occidentales partent en guerre contre les islamistes qu’ils ont eux-mêmes contribué à armer. La France, après être intervenue en Afghanistan – dont elle sort la tête basse – et plus récemment en Libye pour leur apporter les bienfaits de la démocratie, se retrouve désormais en première ligne au Mali, perpétuant ainsi l’idéologie bushienne de la guerre sans fin contre le terrorisme. La crise qui a lieu dans cette région ne date pourtant pas d’aujourd’hui et les islamistes du Sahel ne débarquent pas non plus de nulle part. Nous nous opposons donc aux discours simplificateurs et à l’usage unilatéral de la force lorsque les pays de l’OTAN font davantage partie du problème que d’une véritable solution à long terme. Nous vous proposons ainsi les extraits de trois articles à lire et deux vidéos pour dépasser un peu la propagande officielle. 

 
Mirages 2000 D français volant vers N’Djamena au Tchad (AP Photo/ R.Nicolas-Nelson, Ecpad).

 



Les bombardements au Mali et l’interventionnisme occidental

par Glenn Greenwald dans The Guardian, le 14 janvier 2013.

Traduction : Bernard Gensane pour Le Grand Soir

Au moment où des avions français bombardent le Mali, une statistique toute simple explique le contexte : cette nation de l’Afrique de l’Ouest de 15 millions d’habitants est le huitième pays où les puissances occidentales ont, ces dernières années, bombardé et tué des musulmans, après l’Irak, l’Afghanistan, le Pakistan, le Yémen, la Libye, la Somalie et les Philippines (sans parler des nombreuses tyrannies mortifères soutenues par l’Occident dans cette région du globe). Pour des raisons évidentes, la rhétorique selon laquelle l’Occident n’est pas en guerre avec le monde musulman sonne de plus en plus faux chaque fois que le militarisme progresse. Mais cette nouvelle campagne massive de bombardements nous révèle des enseignements essentiels concernant l’interventionnisme occidental, des leçons qui, comme toujours, sont résolument ignorées.

Premièrement, comme l’a souligné le New York Times, l’instabilité que connaît le Mali est, pour une large part, la conséquence directe de l’intervention de l’Otan en Libye. En particulier, « des combattants islamistes lourdement armés, très aguerris par les combats en Libye », « les importants stocks d’armes sortis de Libye, ainsi que des combattants différents, plus islamisés de retour de ce pays » ont joué un rôle de catalyseur dans l’effondrement d’un gouvernement soutenu par les États-Unis. Pour reprendre l’excellente analyse d’Owen Jones dans le quotidien britannique The Independent :

« Cette intervention est la conséquence d’une autre intervention. On a fréquemment vendu la guerre en Libye comme un modèle de réussite pour un interventionnisme à visées progressistes. Pourtant, le renversement de la dictature de Kadhafi a eu des conséquences que les services de renseignement occidentaux ne se sont probablement pas donné la peine d’envisager. Les Touaregs – qui traditionnellement venaient du nord du Mali– constituaient une proportion importante de son armée. Lorsque Kadhafi fut éjecté du pouvoir, ils retournèrent chez eux : parfois sous la contrainte lorsque des Africains noirs subirent des agressions dans la Libye post-Kadhafi, une donnée gênante largement ignorée des médias occidentaux. La guerre en Libye fut considérée comme un plein succès, seulement nous en vivons actuellement le contrecoup. »

À chaque fois, les interventions occidentales s’achèvent par incompétence ou par manque d’objectifs, et elles sèment les graines d’interventions futures. Étant donné la très grave instabilité qui affecte la Libye actuellement, couplée à la colère durable consécutive à l’attaque contre Benghazi, dans combien de temps nous annoncera-t-on que des bombardements et des envois de troupes dans ce pays sont – une fois encore – nécessaires pour combattre les forces "islamistes" au pouvoir : des forces mises en place grâce au renversement par l’Otan du gouvernement de ce pays ?

Deuxièmement, le renversement du gouvernement du Mali fut facilité par la désertion de soldats entraînés et armés par les États-Unis. Selon le New York Times, des cadres d’unités d’élite de cette armée, « entraînés minutieusement par les États-Unis, firent défection quand on eut vraiment besoin d’eux, en emportant chez l’ennemi, au plus fort de la bataille, des troupes, des armes, des camions et leurs compétences récentes, selon des responsables de l’armée malienne. » Puis, « un officier entraîné par les États-Unis a renversé le gouvernement élu du Mali, préparant le terrain pour la prise de la moitié du pays par des forces extrémistes islamistes. »

Autrement dit, l’Occident est de nouveau en guerre avec les forces mêmes qu’il a entraînées, financées et armées. Personne n’est plus compétent que les États-Unis et ses alliés pour créer ses propres ennemis, perpétuant ainsi un état de guerre sans fin. Lorsque les États-Unis ne trouvent pas d’ennemis à combattre, il les créent. Tout simplement.

Troisièmement, les bombardements de musulmans dans un nouveau pays provoqueront à l’évidence toujours plus de sentiments anti-occidentaux, ce qui alimentera le terrorisme. Déjà, comme l’a observé le Guardian, les avions de chasse français « ont tué au moins 11 civils, dont trois enfants ». Le long passé colonial de la France au Mali ne peut inévitablement exacerber que de la colère. En décembre dernier, après que le Conseil de sécurité des Nations Unies eut autorisé une intervention au Mali, Salvatore Saguès, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest pour Amnesty International, prévenait : « Une intervention armée internationale risque d’amplifier la violation des droits humains dont nous sommes déjà témoins dans ce conflit. »

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Lire la suite sur Le Grand Soir.

 


 Michel Collon répond sur France 3 à Henri Guaino
sur la théorie du complot et la situation au Mali.

 



« Nous luttons contre des groupes islamistes au Mali ou en Algérie que l’on soutient en Syrie »

Interview d’Alain Chouet par Régis Soubrouillard paru dans Marianne le 18 janvier 2013.

Ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE, Alain Chouet revient pour «Marianne» sur la prise d’otages survenue sur le site gazier d’In Azemas en Algérie, le parcours du chef présumé des preneurs d’otages, l’opération française au Mali mais aussi l’ambigüité des puissances occidentales vis-à-vis de pays, soutiens financiers de ces groupes islamistes.

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Justement que pensez vous de l’opération au Mali ?

Il fallait la mener vite. Le Mali ce n’est ni l’Afghanistan, ni l’Irak, encore moins le Vietnam. Les agresseurs ne sont pas comme des poissons dans l’eau comme l’étaient les talibans en Afghanistan. Le terrain n’est pas le même, ce n’est pas une guerre de montagne, une guerre de jungle ou une guerre de ville. Les villes maliennes ne sont pas des refuges. Je pense que cette opération est pour le moment plutôt bien menée. Je suis assez optimiste en ce qui concerne la capacité d’encaissement des groupes djihadistes. Je crains plus qu’ils s’évaporent dans la nature pour revenir un peu plus tard.

On parle déjà de Sahelistan avec le risque de déstabilisation de tout l’ouest du Sahel…

Nous ne sommes plus dans un conflit avec Al Qaïda historique et l’affrontement de régimes occidentaux qui soutenaient des régimes arabes. J’estime que ce sont des problématiques locales qui relèvent du grand banditisme, l’accaparement de la rente au niveau local. Si Ansar dine ou d’autres se sont proclamés islamistes c’est parce que le MNLA ou les irrédentistes touaregs étaient laïcs. Quand ils sont rentrés de Libye, le créneau de l’indépendantisme touareg était déjà occupé. Il leur fallait une légitimité supérieure au MNLA et l’affirmation religieuse a servi à ça.

Les conflits successifs ne donnent-ils pas l’impression qu’il va falloir crever régulièrement des abcès terroristes ?

C’est tout à fait possible. Mais les occidentaux ne sont pas clairs dans ces affaires. Nous luttons contre des groupes islamistes au Mali que l’on soutient en Syrie. Ce n’est pas une politique lisible. C’est pour cela que je suis en revanche opposé à une intervention en Syrie, cela fait longtemps que les démocrates sont passés à la trappe au profit d’islamistes soutenus par le Qatar et l’Arabie Saoudite.

Quels sont les liens entretenus par le Qatar et l’Arabie Saoudite avec ces groupes islamistes locaux ?

Nous n’avons pas de preuves d’un soutien financier du Qatar à ces différents groupes et vous n’en trouverez pas mais tout le monde en est à peu près convaincu. C’est d’ailleurs tout ce qu’il peut apporter et le Qatar est en concurrence directe avec l’Arabie Saoudite dans ce soutien aux groupes islamistes. C’est à qui donnera le plus d’argent. L’émir du Qatar est arrivé à Gaza avec 400 millions de dollars dans les poches, l’Arabie Saoudite avait apporté 40. Tout le monde est très suiviste dans ces affaires. Nous nous indignons de l’absence de démocratie en Tunisie ou ailleurs, mais rien sur l’Arabie Saoudite ou sur le Qatar. Le problème est d’abord chez nous, nous nous engageons dans des conflits contre des groupes islamistes en partie financés par des pays que nous traitons comme des alliés

Lire l’interview complète sur Marianne.

 


Jean-Luc Mélenchon sur la guerre au Mali et le terrorisme :
"On ne fait pas la guerre à un concept."


 



Guerre au Mali : sécuriser notre approvisionnement en uranium

Par Stéphane Lhomme sur Rue89 le 15 janvier 2013.

Le 11 janvier 2013, l’armée française est intervenue au Mali à la suite de mouvements, vers Bamako, de groupes armés islamistes. Depuis des mois, ces derniers tiennent tout le nord du Mali et se seraient enhardis au point, nous dit-on, de vouloir occuper l’ensemble du pays.

Personne ne niera que ces groupes soient composés d’horribles individus qui, sous prétexte de convictions « religieuses », battent toute personne dont le comportement ne leur plaît pas, coupent les mains des voleurs (réels ou supposés), exécutent – en particulier des femmes – pour des broutilles ou même pour rien.

Pour autant, de la même façon qu’au moment de l’intervention militaire contre Kadhafi en Libye, il est insupportable de se retrouver sommé de soutenir une intervention militaire déployée par ceux qui sont largement responsables de la gravité de la situation.

Qui croira qu’il s’agit de sécuriser la région ?

Qui plus est, qui peut vraiment croire qu’il s’agit d’une opération « pour la démocratie au Mali » ? Cela fait des décennies qu’elle est bafouée dans ce pays par des régimes corrompus. largement soutenus par la France. Alors, pourquoi cette subite urgence « démocratique » ?

De même, qui croira qu’il s’agit de « sécuriser la région » ? En réalité, il s’agit de sécuriser l’approvisionnement des centrales nucléaires françaises en uranium : ce dernier est en effet extrait dans les mines du nord du Niger, zone désertique seulement séparée du Mali. par une ligne sur les cartes géographiques.

A ce propos, on soulignera l’extrême perversité des ex-puissances coloniales qui ont jadis tracé des frontières absurdes, faisant fi de l’implantation des populations, et créant des pays aux contours bien curieux : le Niger et le Mali sont tous les deux en forme de sablier, une partie sud-ouest contenant la capitale, totalement excentrée et éloignée d’une immense partie nord-est, principalement désertique.

[...]

Lire la suite sur Rue89.

 



En lien avec l’article :

 


 

6 Responses to “Mali : une nouvelle guerre contre le terrorisme utile ?”

  • Zorg

    Et pour compléter cette série d’article voici le dossier d’information rédigée par l’association Survie sur les zones d’ombres de l’intervention française au Mali :
    http://survie.org/francafrique/mali/article/les-zones-d-ombres-de-l

    Pour rappel ce que disait Hollande avant l’intervention de la France au Mali :
    « en aucun cas la France n ‘interviendra au Mali » :
    http://www.dailymotion.com/video/xwudyu_hollande-en-aucun-cas-la-france-n-interviendra-au-mali_news#.UQGxT_KsdXs

    Et pour finir, Hollande en VRP du Rafale :

    « Si l’on en croit le Canard Enchaîné de cette semaine (page 2), François Hollande a visité ce 14 janvier 2013 la base militaire d’Abu Dhabi, « vitrine » de l’armement français.
    Sans complexe, il aurait interpellé sur place l’un des pilotes de chasse dont les Rafale sont positionnés à Abu Dhabi : « Il se peut qu’on ait besoin de vos Rafale au Mali ». Certes, on peut comprendre qu’il faille agir pour empêcher les islamistes d’envahir Bamako, mais pourquoi François Hollande a précisé : « Il faudra leur montrer toutes les qualités du Rafale » (aux acheteurs potentiels, d’abord les Émirats) et surtout : « C’est aussi un élément très important de votre mission : montrer que les matériels français sont les plus performants… Merci pour votre double mission : à la fois opérationnelle et… commerciale !…. ». »
    http://lucky.blog.lemonde.fr/2013/01/18/faire-du-mali-une-vitrine-commerciale-du-rafale-une-declaration-inouie-de-francois-hollande-canard-enchaine-ce-16-janvier-2013/

  • corto

    il faudrait documenter avec précision l’état du ressentiment de la population malienne contre ses dirigeants potiches implantés par nous, dans le seul but d’asseoir nos approvisionnements en minerais sur des contrats avantageux. Je pense que la rebellion citoyenne (et non islamiste) menace Bamako depuis longtemps déjà, et que de cette rebellion pourrait naitre l »idée de faire… comme au Vénézuéla… NATIONALISER les mines et l’extraction par exemple… un scénario catastrophe du côté d’AREVA… ceci expliquant cela. Donc toute investigation qui établira, comme sans doute notre DGSE qui quadrille là-bàs le terrain le sait depuis longtemps, que la rebellion populaire était en germe, donnera à cette hypothèse aussi plausible que banale le crédit pour faire avancer la prise de conscience du peuple français peut-être.. mais surtout de ceux qui nous gouvernent ou nous informent… que le cirque colonial ou « multinational » ou impérialiste ou militaro-energetico-financier ne peut plus se faire sur le dos des peuples. La preuve ? ben ça marche au Vénézuela, malgré la corruption, malgré les bâtons dans les roues mis par le monde libéral (sabotage d’une raffinerie, medias vent debout contre les réformes bolivariennes etc…)…

  • « Deuxièmement, le renversement du gouvernement du Mali fut facilité par la désertion de soldats entraînés et armés par les États-Unis. Selon le New York Times, des cadres d’unités d’élite de cette armée, « entraînés minutieusement par les États-Unis, firent défection quand on eut vraiment besoin d’eux, en emportant chez l’ennemi, au plus fort de la bataille, des troupes, des armes, des camions et leurs compétences récentes, selon des responsables de l’armée malienne. » Puis, « un officier entraîné par les États-Unis a renversé le gouvernement élu du Mali, préparant le terrain pour la prise de la moitié du pays par des forces extrémistes islamistes. »

    Cet extrait tiré du premier des trois articles présentés, ne pourrait-il nous orienter dans une direction un peu plus inattendue ?
    Et qui pourrait préciser un peu plus l’article de Rue 89.

    Le Mali est voisin du Niger, dont Areva tire, sauf erreur un tiers des ressources en uranium dont la France a un besoin vital.
    On entend dire, de plus en plus aussi, que le Mali recèlerait d’importantes ressources en uranium, entre autres.

    Face à la raréfaction du pétrole, d’autres pays disposant de centrales nucléaires ou envisageant de s’en équiper ne manqueront pas de « manœuvrer » pour s’accaparer de tels gisements.

    Cela fait trente ans que les Américains et les Anglo-Saxons, par rébellions interposées, font reculer la présence française en Afrique.

    Est-ce un hasard si un capitaine formé aux Etats-Unis fait tomber un gouvernement malien traditionnellement « orienté » France ? Puis qu’il propose aux rebelles du Nord, de s’allier avec lui, dans l’intérêt national (voir les liens proposés en bas de page) ?

    Naturellement les USA, se désolidarisent de ce putsch, mais si l’ensemble du pays était tombé aux mains d’une coalition « putschistes-rebelles du Nord », vers qui le gouvernement d’unité nationale se serait-il tourné, à votre avis : vers la France, qui soutenait le gouvernement destitué ? Ou vers les USA, formateur du capitaine vainqueur ?

    C’est du bout des lèvres qu’Anglais et Américains soutiennent l’intervention française, en proposant un appui logistique quasi symbolique.

    Pendant un temps, avant de finalement se décider, les Américains ont dit « réfléchir » à l’appui qu’ils donneraient à la France. Poutine, qui, avec la Chine, met son veto dans l’affaire syrienne, à toute intervention de l’Occident, a proposé à la France des avions de transport.

    Serait-ce de l’ironie, voyant la France contrainte de défendre son approvisionnement en uranium, face aux visées de son puissant allié US ? Par « terroristes » et autres putschistes interposés…

    http://www.leparisien.fr/international/mali-sanogo-un-obscur-capitaine-devenu-chef-de-la-junte-25-03-2012-1922843.php

    http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20120327080444/

  • kidkodak

    Laurent LOUIS s’oppose à la guerre au Mali et dénonce la manipulation internationale
    http://www.youtube.com/watch?v=TW9kWe3MI-M

  • Gil

    Oui Phrygane, cette histoire est aussi celle d’une rivalité entre l’ancien empire français et l’actuel américain, (comme le Rwanda, la côte d’Ivoire…). C’est dans la nature d’un empire de s’étendre, sinon il décline. Dans ce contexte la proposition Russe de soutien logistique à la France n’est pas si aberrante.
    Lorsque le système s’écroulera (un jour c’est sûr) et que, sur injonction de nos élites corrompues et masochistes, nous aurons vendu tout notre or pour acheter des USPQ, nous, petits français, devront ramper devant le grand frère pour nous faire pardonner notre alignement inconditionnel sur la politique US, en particulier depuis les années Sarko.
    http://www.lefigaro.fr/international/2013/01/18/01003-20130118ARTFIG00569-mali-moscou-promet-une-aide-militaire-a-la-france.php

  • IKAR

    Excellent article. Et aprés le Mali, à qui le tour ?

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