Le président pakistanais s’emporte contre ses critiques
K. Ratnayake, Mardi 08 Janvier 2008
Le président pakistanais Pervez Moucharraf est de plus en plus assiégé depuis l’assassinat de la dirigeante de l’opposition Benazir Bhutto. La version officielle de la mort de Bhutto est en miettes, soulevant encore plus la question de l’implication de sections du régime dans le meurtre et menaçant de faire exploser les manifestations de l’opposition avant les élections nationales qui ont été reportées au 18 février.
Des images vidéo montrent un tireur près de la voiture de Bhutto, qui tire visiblement sur elle alors qu’elle salue la foule par le toit ouvrant de la voiture. Bhutto s’effondre dans la voiture et l’instant d’après l’explosion de l’attentat suicide pulvérise la scène. Des témoins oculaires et des représentants officiels de son parti, le Parti du peuple du Pakistan (PPP), insistent sur le fait qu’elle a été abattue. Cependant, l’enquête officielle prétend que la mort de Bhutto ne peut être attribuée à des blessures dues à des projectiles d’armes à feu, mais à des blessures qu’elle aurait subies en se frappant la tête sur une poignée du toit ouvrant de la voiture.
Ce scénario sert un objectif politique défini. Même avant que l’enquête ne débute, le régime mettait l’assassinat sur le compte de al-Qaïda, affirmant que ce n’était qu’un autre attentat suicide dans la myriade des attentats suicides menés par les groupes pro-talibans dirigés par Baitullah Mehsud. La présence d’un tireur ne correspond pas à ce scénario, et soulève des questions embarrassantes à propos de son identité. L’assassinat s’est produit dans la ville garnison de Rawalpindi, là où les quartiers généraux de l’armée sont basés.
L’assassinat a été suivi par des jours de manifestations et d’émeutes animées de la conviction largement répandue que le gouvernement ou les militaires, sur qui s’appuie Moucharraf, sont responsables et que l’enquête officielle est une couverture. Mehsud a nié toute implication. Le mari de Bhutto, Asif Ali Zadari a refusé de donner l’autorisation pour une autopsie, disant à la presse qu’il avait vécu « assez longtemps » au Pakistan pour savoir comment cette procédure allait être menée.
Alors que la version officielle des faits commençait à tomber en morceaux, Moucharraf a été forcé d’accepter une offre d’assistance de Scotland Yard d’Angleterre pour donner un semblant de crédibilité à l’enquête policière. Il a continué de rejeter les demandes du PPP pour la tenue d’une enquête internationale complète comme celle menée par l’ONU pour le meurtre du premier ministre libanais, Rafik al-Harari, en 2005.
Lors d’une conférence de presse télévisée avec des journalistes de l’étranger jeudi dernier, Moucharraf a reconnu pour la première fois qu’il y avait des « problèmes » avec l’enquête et de « l’incertitude… sur la cause exacte de la mort ». Mais il s’est opposé à toute suggestion que les forces de sécurité sont responsables de l’assassinat, que ce soit directement ou indirectement à cause de mesures de sécurité déficientes.
Le président a déclaré qu’il n’est pas entièrement satisfait de l’enquête, mais a insisté sur le fait que le gouvernement n’avait pas « de plans pour masquer la preuve ». Lorsqu’on lui a demandé pourquoi la police avait nettoyé les lieux de l’assassinat, détruisant ainsi les preuves qui auraient pu s’y trouver, Moucharraf a répondu absurdement : « Pourquoi ne l’auraient-ils pas fait ? Si vous voulez dire qu’ils l’ont fait intentionnellement, je dirais que non. Ce n’est que de l’inefficacité, que des personnes qui ont pensé qu’il fallait nettoyer la place; les automobiles devaient circuler. »
Après avoir accusé les groupes islamistes, Moucharraf a dit que c’était une « farce » que de laisser entendre que l’armée et les agences du renseignement pouvaient utiliser, pour leurs propres fins, les mêmes personnes qui les attaquent. « Aucune organisation du renseignement au Pakistan ne peut endoctriner un homme pour qu’il se fasse exploser », a-t-il ajouté.
Le fait même que Moucharraf soit obligé de faire de telles déclarations est une indication que très peu de personnes le croient. L’armée pakistanaise et sa puissante agence du renseignement, l’ISI (Inter-Services Intelligence), ont une longue association avec les organisations islamistes, qui remontent à l’époque de la dictature du général Zia-ul Haq. L’ISI a joué un rôle central dans le djihad anti-soviétique parrainé par la CIA en Afghanistan dans les années 1980, duquel sont nées des organisations comme al-Qaïda et d’autres milices islamistes. Il est très probable que des éléments du gouvernement et/ou de l’armée ont collaboré avec des groupes liés à al-Qaïda pour éliminer un ennemi commun.
Après la première tentative d’assassinat dirigée contre elle en octobre dernier, Bhutto avait envoyé une lettre au président qui identifiait quatre personnalités de son régime, y compris Chaudhry Pervez Elahi, un ancien ministre important de la province du Punjab, comme des ennemis voulant la tuer. On a officiellement interdit à l’équipe de Scotland Yard sur les lieux d’interroger ces quatre individus. Au moins à la conférence de presse de jeudi, Moucharraf a défendu sa décision, disant que « Je ne laisserai personne monter une chasse aux sorcières et commencer à faire du grabuge. »
Avant son retour au Pakistan en octobre, l’administration Bush avait fait pression pendant des mois pour que Bhutto et Moucharraf arrivent à s’entendre sur un partage du pouvoir, ce qui aurait contribué à renforcer le régime militaire impopulaire. La possibilité que le PPP puisse gagner l’élection et que Bhutto devienne première ministre suscitait la ferme opposition du parti dirigeant, la Ligue arabe-Q du Pakistan, qui risquait de perdre ses privilèges et le pouvoir, ce qui donnerait une raison aux dirigeants de cette organisation de vouloir la mort de Bhutto.
Moucharraf a accusé Bhutto elle-même parce qu’elle aurait ignoré les avertissements sur sa sécurité. « Qui faut-il blâmer pour son geste consistant à sortir du véhicule et à se tenir debout à cet endroit ? Qui faut-il blâmer ? Les agences qui font respecter l’ordre ? » a-t-il demandé. La porte-parole du PPP, Sherry Rehman a dit que les commentaires étaient « absurdes » et une insulte contre Bhutto et les autres qui sont morts pour avoir exercé leur droit garanti par la constitution d’assister à un rassemblement public. Rehman a accusé le régime de n’avoir pas répondu aux requêtes de Bhutto pour une meilleure sécurité. Elle a dit qu’un seul véhicule de la police se trouvait sur les lieux et « toute la journée, je n’ai pratiquement pas vu de policiers ».
L’appui américain
Le fait que Moucharraf ait été mis sur la défensive lors de la conférence de presse de la semaine dernière souligne la crise politique de son régime. Ce dernier dépend fortement de l’appui politique et financier de l’administration Bush, qui exige du Pakistan qu’il intensifie la guerre contre les milices islamiques dans les régions tribales le long des frontières afghanes. Le soutien de Moucharraf à la soi-disant « guerre au terrorisme » de Washington a alimenté un large sentiment antiaméricain et a aliéné certaines sections de l’armée.
Le président Bush a de nouveau offert son plein appui à l’homme fort pakistanais, s’adressant à Reuters jeudi : « J’ai toujours été un partisan du président Moucharraf. Je crois qu’il est solide dans la guerre contre le terrorisme. Il connaît très bien les risques liés aux extrémistes et aux terroristes. Après tout, ils ont essayé de le tuer. » Samedi, lors de son discours radiophonique hebdomadaire, Bush a insisté que les Etats-Unis et le Pakistan devaient utiliser « chaque outil nécessaire dans les domaines du renseignement, de la police, de la diplomatie, de la finance et du pouvoir militaire afin de traduire en justice nos ennemis communs ».
Le New York Times a révélé dimanche que de hauts représentants de la Maison-Blanche, dont le vice-président Dick Cheney, s’étaient rencontrés vendredi pour discuter d’opérations secrètes américaines beaucoup plus agressives à l’intérieur du Pakistan (voir en anglais : “Secret White House meeting plans US military escalation in Pakistan”). Toute action en ce sens ne servira qu’à déstabiliser davantage les régions tribales et alimenter encore plus l’opposition antiaméricaine, aggravant ainsi les difficultés politiques auxquelles fait face le régime pakistanais.
Reflétant les préoccupations des milieux dirigeants européens, l’International Crisis Group (ICG) basé à Bruxelles a émis le 2 janvier un communiqué demandant à Washington de cesser d’appuyer Moucharraf. Il est clair que l’on craint que les flagrantes méthodes antidémocratiques du président pakistanais, y compris l’imposition de l’état d’urgence et la création de tribunaux favorables au régime, créent les conditions pour une explosion sociale et politique au pays.
« Il est temps pour la communauté internationale, et particulièrement les Etats-Unis, de reconsidérer son soutien à la dictature au Pakistan et d’admettre que la démocratie, et non pas un général artificiellement maintenu au pouvoir, défroqué et largement détesté, est le meilleur moyen d’apporter la stabilité et d’annuler les gains des extrémistes islamiques », affirme le rapport. Le tout nouvel intérêt de l’ICG pour la démocratie pakistanaise pourrait indiquer un tournant de l’Union européenne vers une implication plus concertée dans le pays.
Le document de l’ICG a été accueilli par des réactions furieuses à Islamabad. Un porte-parole gouvernemental a dénoncé l’appel à mettre fin au règne de Moucharraf comme étant biaisé et frisant « l’encouragement à la sédition ». Il a dénoncé l’ICG pour n’avoir aucune crédibilité et pour ne « représenter personne, particulièrement dans les affaires intérieures du Pakistan ». Même si le régime pakistanais n’est pas dans une position pour réprimander l’ICG, le terme « sédition » a été choisi pour intimider les dirigeants de l’opposition et les médias.
Même s’il a formellement retiré l’état d’urgence imposé en novembre, Moucharraf a continué de réprimer l’opposition politique. Dimanche, le journal pakistanais News a cité un fonctionnaire de haut rang qui disait que le gouvernement avait pris des mesures répressives contre les activistes du PPP impliqués dans les émeutes qui suivirent l’assassinat de Bhutto. Il estimait que « les chiffres pourraient aller jusqu’à 10 000 » et a déclaré qu’il « n’y aurait pas de clémence pour ceux qui causent des dommages coûtant des milliards de roupies ».
Des plaintes formelles ont été portées contre des milliers de gens dans différentes villes et des « enquêtes préliminaires » sont déjà en train de débuter. Le responsable a affirmé que le gouvernement a donné des directions strictes aux autorités de la province de Sindh – le château fort de Bhutto – afin de mettre au pas de « hauts fonctionnaires et sous-fonctionnaires de l’État qui ont montré de la négligence ou qui ont simplement abandonné leurs fonctions durant la manifestation ».
Un article dans le New York Times de samedi détaillait les efforts du régime pour museler et intimider les avocats qui avaient mené le mouvement d’opposition contre les purges de Moucharraf envers la Cour. Aitzaz Ahsan demeure en résidence surveillée à Lahore et il lui est interdit de parler à des étrangers, incluant les ambassadeurs américains et britanniques au Pakistan qui ont récemment tenté de le visiter à son domicile. Son ami et collaborateur, Muneer Malik, était en mesure de parler à la presse, mais était physiquement faible après trois semaines en prison où il est presque mort en raison de la déshydratation, de la malnutrition et de la présence de toxines inconnues, selon les docteurs de Malik.
Hier, plus de 250 personnes, incluant des avocats et d’autres activistes, ont protesté près de la maison de Ahsan, demandant le retour des juges chassés dans les purges du mois dernier. Mais, les grandes manifestations semblent s’être temporairement dissipées, en grande partie en raison de l’appui du PPP et des autres partis de l’opposition pour la décision de retarder les élections et d’éviter toute confrontation politique avec le régime.
Cependant, le fait que Moucharraf ait été mis sur la défensive face aux critiques, particulièrement concernant l’enquête sur l’assassinat de Bhutto, démontre que la crise de son régime ébranlé est loin d’être terminée.
(Article original paru le 7 janvier 2008)
http://www.wsws.org
Il suffit de voir la couverture d’un réecnt numéro de THE ECONOMIST où il est écrit : »MR MUSHARRAF, C’EST TERMINE ! » pour comprendre que WASHINGTON avait décidé avant l’assassinat de BENAZIR BHUTTO de changer de cheval .
A partir de ce moment là et quoi qu’on puisse penser du personnage toute l’information occidentale va consister à le noircir systématiquement
Les trotskistes du WSWS font l’erreur de croire qu’il y a d’un côté de bons démocrates ( SHARIFet sa ligue musulmane, et la dynastie BHUTTO avec son PPP) et de l’autre le dictateur . Hélas comme ce serait beau et simple mais les démocrates en question ne sont pas vraiment attirants !