Des mémos secrets prouvent l’existence de liens entre les compagnies pétrolières et la participation de la Grande-Bretagne à l’invasion de l’Irak
Certes, cela relevait du secret de polichinelle, et les documents apparus récemment ne font que corroborer ce que beaucoup savaient déjà : l’objectif de l’invasion de l’Irak en 2003 était essentiellement de mettre la main sur les deuxièmes plus grandes réserves de pétrole au monde, et accessoirement de se débarrasser d’un Saddam Hussein devenu gênant. L’évidence historique de cette stratégie n’efface pas toute l’horreur de cette guerre que plus d’un million et demi d’Irakiens ont payé de leur vie, et ne parlons pas de tous ceux contaminés par les armes illégales à base d’uranium appauvri ou de phosphore blanc. Certes la Commission Chilcot mise en place en Angleterre n’a pas vocation à "juger" les responsables, mais à comprendre les mécanismes qui ont conduit à l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne. Même si ces documents n’ont pas été versés au dossier, les choses sont désormais plus claires.
Notons au passage que Le Monde a repris hier sur son site Web une petite partie de cet article de The Independent, sans faire plus de commentaires. Il y a pourtant là matière à analyse, et "on" aurait même pu se risquer à un début d’analyse historique. Il faudrait alors remonter à la toute première réunion de la nouvelle administration Bush le 30 janvier 2001 pour retrouver les premières évocations de la future invasion de l’Irak. C’était neuf mois avant le 11-Septembre…
Des mémos secrets prouvent l’existence de liens entre les compagnies pétrolières et la participation de la Grande-Bretagne à l’invasion de l’Irak
Par Paul Bignell, pour The Independent, le 19 avril 2011
Traduction GV pour ReOpenNews
Des documents du gouvernement prouvent que le projet d’exploiter les réserves irakiennes de pétrole fut discuté par les ministres et les principales compagnies pétrolières durant l’année avant que la Grande-Bretagne prenne un rôle prépondérant dans l’invasion de l’Irak.
Des documents qui apparaissent pour la première fois au grand jour, soulèvent de nouvelles interrogations sur l’implication de la Grande-Bretagne dans ce conflit, laquelle implication avait divisé le cabinet de Tony Blair et avait été votée seulement après que ce dernier eut affirmé que Saddam Hussein disposait d’armes de destruction massive.
Les notes relatives à toute une série de réunions entre les ministres et les directeurs des compagnies pétrolières contredisent les dénégations publiques d’intérêts particuliers faites par ces compagnies et par les gouvernements occidentaux à l’époque.
Ces documents n’ont pas été proposés comme preuves à la Commission Chilcot chargée d’enquêter sur l’engagement britannique dans la guerre en Irak. En mars 2003, juste avant que la Grande-Bretagne n’entre en guerre, Shell a démenti les informations selon lesquelles elle aurait discuté avec Downing Street à propos du pétrole irakien, les qualifiant de « complètement fausses ». BP nia avoir un quelconque intérêt stratégique en Irak, alors que de son côté, Tony Blair qualifiait les « théories du complot sur le pétrole » de « totalement absurdes. »
Mais les documents datant d’octobre/novembre de l’année précédant [l’entrée en guerre] décrivent un tableau radicalement différent.
Cinq mois avant l’invasion de mars 2003, la baronne Symons qui était alors le ministre du Commerce, a expliqué à BP que selon le gouvernement, les firmes énergétiques britanniques devraient se voir offrir une partie des énormes réserves irakiennes de gaz et de pétrole comme récompense pour l’engagement de Tony Blair dans les plans américains de changement de régime [en Irak].
Les documents indiquent que Lady Symons a accepté de mener pour BP [une opération] de lobbying auprès de l’administration Bush, du fait que le géant pétrolier craignait d’être exclu des négociations (deals) que Washington était en train de conclure tranquillement avec les gouvernements et les compagnies énergétiques US, françaises et russes.
Dans le compte-rendu d’une réunion du 31 octobre 2002 entre BP, Shell et BG (à l’époque, British Gas), on peut lire : « La Baronne Symons était d’accord sur le fait qu’il serait difficile [pour les USA] de justifier que les compagnies britanniques soient trop perdantes en Irak, si la Grande-Bretagne se positionnait comme un fervent supporter du gouvernement US tout au long de cette crise. »
La ministre avait alors promis de « donner des nouvelles aux compagnies avant Noël » sur ses efforts de lobbying.
Le Foreign Office (Ministère des affaires étrangères britannique) invita BP le 6 novembre 2002 pour discuter des opportunités en Irak « après le changement de régime ». Les notes indiquent que « l’Irak est [le pays] le plus prometteur en pétrole. BP veut absolument y mettre pied et s’inquiète de ce que des accords politiques ne lui offrent pas cette opportunité. »
Suite à une autre réunion, cette fois en octobre 2002, le directeur du Foreign Office pour le Moyen Orient de l’époque, Edward Chaplin, écrivit que : « Shell et BP ne pouvaient pas se permettre de ne pas avoir une part en Irak, afin de garantir leur avenir à long terme… Nous étions déterminés à obtenir pour les compagnies britanniques une part significative dans l’Irak post-Saddam. »
Alors que BP répétait publiquement ne pas avoir « d’intérêts stratégiques » en Irak, elle expliquait en privé au Foreign Office que « l’Irak était plus important que tout ce qu’on avait vu depuis bien longtemps. »
BP craignait que si Washington permettait aux contacts existants entre Total/Fina/Elf et Saddam Hussein de rester après l’invasion, cela ferait du conglomérat français la plus grande compagnie pétrolière au monde. BP fit savoir au gouvernement qu’elle était prête à prendre « de gros risques » pour décrocher une part des réserves irakiennes, les deuxièmes plus importantes au monde.
Plus de 1000 documents ont été obtenus grâce à la loi sur la liberté de l’information (Freedom of Information) après cinq années par l’activiste Greg Muttit, spécialiste du pétrole irakien. On y découvre qu’au moins cinq réunions se sont tenues fin 2002 entre des représentants civils, des ministres et [les compagnies] BP et Shell.
Les contrats de 20 ans signés suite à l’invasion constituent les plus importants de l’histoire de l’industrie pétrolière. Ils couvrent la moitié des réserves irakiennes – 60 milliards de barils de pétrole, achetés par des sociétés comme BP et CNPC (China National Petroleum Company), dont le consortium à lui seul réalise un profit annuel de 403 millions de livres (658 millions de dollars) sur le champ de Rumaila dans le sud de l’Irak.
La semaine dernière, l’Irak a augmenté sa production de pétrole, atteignant le plus haut niveau depuis pratiquement 10 ans, à savoir 2.7 millions de barils/jour – ce qui apparaît comme extrêmement important étant donné l’instabilité dans la région et la « perte » de la production libyenne. De nombreux opposants à la guerre soupçonnaient que l’un des principaux objectifs de Washington en envahissant l’Irak était de sécuriser une source abondante de pétrole bon marché.
M. Muttit, dont le livre « Fuel on the Fire » sera publié la semaine prochaine, a déclaré : « avant la guerre, le gouvernement a dit et répété qu’il n’avait pas de visée sur le pétrole irakien. Ces documents fournissent la preuve qu’il a menti. »
« Ce que nous voyons, c’est qu’en fait, le pétrole était l’un des enjeux stratégiques les plus importants pour le gouvernement, et que celui-ci a conclu des accords secrets avec des compagnies pétrolières pour leur permettre d’accéder à ce gigantesque trésor. »
Lady Symons, âgée de 59 ans, a par la suite décroché un poste de conseillère pour une banque commerciale britannique qui a signé des contrats de reconstruction dans l’Irak d’après-guerre. Le mois dernier, elle a mis fin à ses prestations de conseillère bénévole du Bureau libyen de développement économique national après que le Colonel Kadhafi eut commencé à tirer sur les manifestants. Hier soir, BP et Shell se sont refusés à tout commentaire.
Rien à voir avec le pétrole ! Voici ce qu’ils ont déclaré avant l’invasion
(Source : Fuel on the Fire)
- Mémo du Foreign Office, 13 novembre 2002, suite à un meeting avec BP : « l’Irak est [le pays] le plus prometteur en pétrole. BP veut absolument y mettre pied et s’inquiète de ce que des accords politiques ne lui offrent pas cette opportunité. Les potentialités à long terme sont énormes…. »
- Tony Blair, 6 février 2003 : « Permettez-moi d’évoquer cette histoire de pétrole…la théorie du complot du pétrole est honnêtement une des choses les plus absurdes quand vous regardez ce qu’elle dit. Le fait est que si nous étions intéressés par le pétrole d’Irak, nous pourrions probablement conclure un accord dès demain avec Saddam Hussein sur ce pétrole. Ce n’est pas le pétrole le problème, ce sont les armes… »
- BP, 12 mars 2003 : « Nous n’avons pas d’intérêts stratégiques en Irak. Si ceux qui arriveront au pouvoir veulent un engagement occidental après la guerre – s’il y a guerre -, tout ce que nous avons toujours répété est que cela devra se passer sur un terrain d’égalité. Nous ne poussons absolument pas à un quelconque engagement. »
- Lord Browne, directeur exécutif de BP à l’époque, 12 mars 2003 : « Ni BP ni moi-même ne pensons qu’il s’agisse d’une guerre pour le pétrole. L’Irak est un producteur important, mais il doit décider quoi faire de son patrimoine et de son pétrole. »
- Shell, 12 mars 2003, a déclaré que les informations selon lesquelles elle aurait discuté d’opportunités pétrolières avec Downing Street étaient totalement fausses (‘highly inaccurate’), et a ajouté : « nous n’avons jamais sollicité ni participé à des réunions avec des responsables du gouvernement britannique au sujet de l’Irak. Ce thème n’est apparu que lors de discussions durant des réunions habituelles que nous avons de temps à autre avec les officiels… Nous n’avons jamais demandé de contrats ».
Paul Bignell
The Independent, le 19 avril 2011
Traduction GV pour ReOpenNews
En lien avec cet article :
- La participation de la Grande-Bretagne à l’invasion de l’Irak était liée aux intérêts des firmes pétrolières britanniques | Le Monde avec Reuters, le 19 avril 2011
- Le Cauchemar : les atrocités de l’invasion en Irak | par Felicity Arbuthnot, mondialisation.ca, le 20 octobre 2010
- Commission Chilcot : les entretiens secrets USA / GB avant 2002 pour envahir l’Irak | par Jason Lewis pour le Dailymail / Mailonline, le 3 octobre 2010
- Fallujah, c’est pire qu’Hiroshima | par Layla Anwar, sur mondialisation.ca, le 25 juillet 2010
- Gordon Brown devant la commission Chilcot | par John Kampfner, The Independent, le 5 mars 2010
- Pétrole et 11 septembre 2001 | par Hocine Malti, Algeria-Watch, avril 2008
- Combien d’euros pour un baril ? | par Nicolas Cori, Liberation.fr, le 3 nov. 2000
Film en lien avec cet article :
OIL, SMOKE & MIRRORS
Oil, Smoke & Mirrors – Pétrole et écrans de fumée. par ReOpen911
1million et demi de morts parmi les civils irakiens ??
C’est un non-sens complet et une manipulation éhontée des chiffres.
En 8 ans, cela fait 200 000 par an, soit 600 par jour !! Pendant 8 ans ???? Ce chiffre est un faux grossier.
Déjà le 1/10 éme qui semble correspondre au nombre réel de morts, est suffisant pour s’indigner (pourquoi le multiplier par 10? ) et n’est pas dû seulement -loin s’en faut- aux forces américaines, mais à la lutte entre clans irakiens pour le pouvoir.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d'Irak