Le théâtre contestataire de Tim Robbins à Paris
Le Monde, le 27 mai 2008
Tim Robbins, acteur mémorable dans Mystic River de Clint Eastwood ou dans The Player de Robert Altman, et réalisateur de La Dernière Marche, est à Paris pour quelques jours. Cette figure américaine n’est pas là pour un nouveau film, mais pour une pièce de théâtre, Embedded, qu’il a écrite en 2004, quelques mois après le déclenchement de la guerre américaine en Irak.
Depuis le 22 mai et jusqu’au 7 juin, Embedded est jouée, en français, à la Cartoucherie de Vincennes, au Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine. C’est une troupe du Pays basque, le Petit Théâtre de pain, qui a eu l’idée de la monter, dans une mise en scène de Georges Bigot, un ancien du Soleil. Et Tim Robbins est venu les soutenir, et même, comme c’était le cas dimanche 25 mai à l’issue de la représentation, rencontrer le public et discuter avec lui.
Tim Robbins, qui fait partie avec sa compagne, Susan Sarandon, et Sean Penn – ce dernier vient de présider le jury du Festival de Cannes – de l’aile la plus à gauche d’Hollywood, a écrit la pièce pour "représenter une Amérique qui a été manipulée pour soutenir la guerre en Irak".
"ON M’A TRAITÉ DE TRAÎTRE"
"Les autorités américaines ont réussi à créer l’illusion du soutien de l’opinion publique à cette guerre", ajoute le comédien. Cette vaste opération de manipulation a été notamment menée par le biais de ces fameux journalistes "embedded", embarqués avec l’armée américaine, à qui les militaires ont présenté une "information" souvent truquée et mise en scène. Toute cette histoire en dit beaucoup sur l’état de la démocratie américaine."
Rien de tel que le théâtre, cet art qui joue du faux pour dire le vrai, pour déjouer les mises en scène du pouvoir. Du théâtre, Tim Robbins en fait depuis l’âge de 12 ans. A 20 ans, à l’université UCLA, en Californie, il crée avec d’autres comédiens l’Actors’ Gang. C’est ce même "Gang des acteurs" – avec lequel il n’a jamais cessé de travailler depuis vingt-six ans, montant des classiques comme ses propres pièces (sept au total) – qui, depuis 2004, a joué Embedded un peu partout aux Etats-Unis.
La pièce présente de manière extrêmement satirique l’équipe qui, autour de George Bush, conçoit le scénario de la guerre en Irak, et elle démonte (sans juger) le mécanisme qui amène des journalistes "embedded" à enfreindre les règles de leur métier. Les soldats, eux, sont montrés de manière très humaine, pris dans un processus qui les dépasse et les broie.
"J’ai voulu présenter, très simplement, des informations que beaucoup de gens en Amérique ignorent encore aujourd’hui, explique Tim Robbins. Les problèmes psychologiques que subissent nombre de ces jeunes gens sont encore largement occultés. J’ai aussi utilisé l’histoire de Jessica Lynch, une jeune soldate qui aurait été torturée et violée par des Irakiens. On sait maintenant de manière quasi certaine que son histoire est fausse et qu’elle a été, là aussi, instrumentalisée."
Aux Etats-Unis, la réception de la pièce a été globalement assez négative. "On m’a traité de traître, de partisan des terroristes, raconte Robbins. Mais aussi d’antisémite, parce que je donne au philosophe juif allemand Leo Strauss un rôle important dans la pièce, en tant que "gourou" des conservateurs américains…"
"Dans notre monde, le rôle du théâtre est fondamental, conclut le dramaturge Robbins : c’est l’espace où se maintient une véritable liberté de parole. Je n’aurais jamais pu faire un film sur le sujet d’Embedded. Je n’aurais jamais eu l’argent. Le théâtre est devenu aux Etats-Unis le lieu du débat politique qui n’existe plus dans les grands médias. Il touche certes moins de spectateurs que la télévision, mais chacun de ces spectateurs mène une véritable réflexion critique. Oui, il n’y a plus que le théâtre… et le rock’n'roll !"
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