La guerre annoncée contre l’Iran: Est-ce que la Turquie sera encore complice d’une autre guerre contre un autre pays voisin?
Par Cem Ertür, le 24 février 2008
Malgré le dernier rapport positif de l’AIEA concernant le programme nucléaire de l’Iran [1], les efforts visant à lancer une guerre contre l’Iran s’accélèrent [2]. Compte tenu de l’impopularité d’une telle guerre, les grandes puissances demeurent tranquilles à son sujet, tout en utilisant des méthodes sophistiquées pour préparer psychologiquement les citoyens.
Pendant ce temps, les seules choses dont nous entendons parler concernant la Turquie dans la presse marchande de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord sont les discussions entourant son adhésion dans l’Union européenne, le conflit entre le gouvernement religieux de l’AKP et les institutions laïques du pays (y compris l’armée) et les opérations transfrontalières dans le Nord de l’Irak.
N’y a-t-il aucun lien entre la Turquie et cette nouvelle menace de guerre? Comment fonctionne le travail de préparation psychologique dans le cas de la Turquie? Quelles sont les pressions que les pays membres de l’OTAN exercent sur le gouvernement turc? Comment l’opposition extraparlementaire réagit à la perspective de la prochaine étape de la « guerre mondiale contre le terrorisme? »
LA « TRIPLE ALLIANCE »
En 2006, le chercheur Michel Chossudovsky commentait sur une alliance qui avait été précédemment décrite par le Middle East Report comme étant « probablement le plus grand changement stratégique dans les années du gouvernement Clinton de l’après Guerre Froide:
« Déjà au cours de l’administration Clinton, une alliance militaire triangulaire entre les États-Unis, Israël et la Turquie s’est mise en place. Cette « triple alliance » est … jumelée aux fortes relations bilatérales entre Tel-Aviv et Ankara. Amplement documenté, Israël et la Turquie sont partenaires dans le projet d’attaques aériennes des États-Unis contre l’Iran, qui est dans un état avancé de préparation depuis la mi-2005. » [3]
La récente visite d’état du président israélien Shimon Peres et du ministre de la défense israélien, Ehoud Barak à la Turquie était l’indication la plus manifeste de cette alliance contre l’Iran.
La visite d’état par le ministre de la défense israélienne BARAK et du président Peres
À bord de son avion en direction d’Ankara le 11 février dernier, le ministre de la défense israélien Ehoud Barak a déclaré qu’il présenterait les rapports des services de renseignement israéliens aux principaux dirigeants de la Turquie concernant les plans nucléaires de l’Iran :
« Il est important … d’essayer de convaincre [la Turquie] des faits. » [4]
À la suite de cette visite, les officiers de la défense israélienne ont fait les déclarations suivantes:
« La Turquie est intéressée à acquérir un système de défense de missiles devant la menace de la poursuite de la course de l’Iran vers l’énergie nucléaire. » [5]
« Tous les pays de la région comprennent que la menace iranienne n’est pas seulement contre Israël. Les missiles de longue portée de l’Iran peuvent atteindre [des cibles] bien au-delà d’Israël. » [6]
Toutefois, Barak avait une autre attitude à l’égard de la Syrie:
« La Turquie joue un rôle naturel dans certaines médiations et elle a trouvé une bonne façon de dialoguer avec la Syrie. Il y a du respect envers la Turquie autant en Syrie qu’au Liban. Ce respect doit être utilisé pour bloquer le flux d’armes en provenance de l’Iran destiné au Hezbollah qui transite par la Syrie. Nous respectons la Syrie, mais nous nous attendons aussi que la Syrie respecte tout autant l’identité d’Israël. Vous ne pouvez pas imposer la paix. … Il faut deux parties consentantes. » [7]
Cette déclaration doit être considérée comme faisant partie de la stratégie « diviser pour régner » visant à isoler l’Iran. Puisque le principal allié de l’OTAN ne sera pas en mesure d’attaquer l’Iran et la Syrie en même temps, ils ont besoin de rompre l’alliance stratégique entre ces deux pays et d’y aller une étape à la fois.
Les déclarations de Barak faisaient écho à ceux du Président israélien, Shimon Peres, lors de sa visite à Ankara en novembre de l’année dernière.
L’auteur Kemal Camurcu a analysé le discours de Peres au parlement turc pour un comité à participation majoritaire des parlementaires du Parti pour la justice et le développement (AKP):
« Peres a été applaudi par les parlementaires de l’AKP pour avoir dit : " Vous ne réalisez pas et vous ne comprenez pas que votre véritable ennemi est votre voisin de la porte d’à côté, l’Iran!" Le but de sa visite était de déclarer à l’ensemble de la région que "Il y a deux tendances dans la région: l’Iran en tant que parrain du terrorisme et la Turquie favorable à la paix." Il a déclaré cela et il a reçu des applaudissements! Considérant ses interviews, son discours dans le Parlement turc et les sujets d’actualité sur "le partage des renseignements," il est plausible d’affirmer que le seul but de la visite de Peres était d’expliquer à Ankara la « menace iranienne » [8].
Ces déclarations sont d’autant plus importants, compte tenu qu’elles sont faites à un moment où les États-Unis, Israël et leurs alliés européens étaient désespérés d’obtenir un soutien à la Conférence d’Annapolis face à l’ampleur de l’opposition de cette initiative dans l’ensemble du Monde Arabe. Toutefois, tout cela a été en grande partie non rapporté dans les principaux médias turcs. Le principal député du Felicity Party (Saadet Partisi) monsieur Sevket Kazan explique le véritable ordre du jour derrière cette conférence:
« Cette guerre contre l’Iran sera lancée par les États-Unis et Israël avec le soutien de la Turquie. Une fois que la puissance de ces deux [pays] se sera révélée insuffisante, le Royaume-Uni, la France et finalement les forces de l’OTAN, y compris la Turquie, seront également engagés. » [9]
Le soutien des États-Unis et d’Israël contre les séparatistes kurdes PKK
Lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue israélien en visite Ehoud Barak, le ministre de la Défense Vecdi Gonul a déclaré:
« Nous remercions Israël pour son soutien à la Turquie dans l’industrie de la défense. Nous remercions M. Barak pour l’envoi d’équipement et de dispositifs que la Turquie utilise dans le sud-est et dans les opérations transfrontalières [contre le PKK]. » [10]
À la veille de cette visite, le site alternatif Fikritakip a fait la remarque suivante:
« Depuis quelque temps, il est frappant de constater que tous les soirs Show TV a présenté très longuement les armes « de haute-technologie » et les systèmes de défense fournis par Israël à la Turquie dans sa lutte contre le PKK … Cela démontre que les milieux nationalistes, qui passaient pour être anti-israéliens, sont en réalité reconnaissants à ce pays pour son soutien contre le PKK. » [11]
Les reportages des médias turcs sur le soutien des États-Unis contre le PKK allaient dans le même sens et ils se sont avérés avoir contribué à dissiper le sentiment anti-américain à travers la population turque. En fait, avant que les États-Unis n’aient commencé à apporter leur soutien à la fin de l’année dernière, ils étaient accusés par les grands médias turcs et par les hommes politiques non seulement de fermer les yeux sur l’utilisation de la violence du PKK, mais aussi de lui fournir un soutien clandestin.
Dans un article paru dans un journal, l’ancien député Mehmet Bekaroglu pose la question suivante:
« N’est-il pas étrange que les États-Unis déclare que : "le PKK soit un ennemi commun de la Turquie, des États-Unis et de l’Irak," tout en encourageant, voire même en fournissant l’armement, la formation et les renseignements à l’appui du même PKK sous le nom de PJAK, contre un autre pays de la région, à savoir l’Iran? » [12]
En fait, ce n’est pas si étrange compte tenu de la stratégie « diviser pour régner » des États-Unis, de l’Union européenne et d’Israël dans le monde musulman basée sur l’exploitation de toutes les hostilités et les divisions existantes. Jusqu’à tout récemment, ils soutenaient en même temps les forces armées turques, le PKK et son organisation soeur PJAK ainsi que le Gouvernement Régional du Kurdistan en Irak. Selon l’Agence de Presse Firat, la raison derrière le soutien des États-Unis est:
« Un accord conclu entre les États-Unis, la Turquie et l’Administration fédérale du Kurdistan du Sud pour la construction dans le sud et dans le nord du Kurdistan [c'est-à-dire le nord de l'Irak et le sud-est de la Turquie respectivement] de deux bases militaires stratégiques US dirigées contre l’Iran. » [13]
La base en Turquie serait située dans le district de Yuksekova, à la frontière iranienne. Inutile de dire que, dans l’éventualité d’une guerre contre l’Iran, les États-Unis et leurs principaux alliés de l’OTAN utiliseront toutes les bases à leur disposition sur le territoire turc, y compris les secrètes. Il est important de garder à l’esprit que la tristement célèbre base militaire US de Incirlik (au sud de la Turquie), qui a joué un rôle crucial dans toutes les invasions anglo-US de l’après guerre froide au Moyen-Orient, contient 90 ogives nucléaires.
Rétrospectivement, le rejet de la motion parlementaire de mars 2003 visant à autoriser les troupes US à utiliser le sol turc comme une base pour l’invasion de l’Irak ne semble pas avoir eu beaucoup d’impact puisque de toute façon, l’armée US est clandestinement allée de l’avant avec ses plans.
Le système de défense antimissile
« La Turquie joue un rôle de leadership régional au Moyen-Orient. La frontière commune de la Turquie avec l’Irak, l’Iran et la Syrie offrent l’occasion de faire avancer la paix et la stabilité, de lutter contre la prolifération des armes nucléaires, et de vaincre les terroristes dans une région qui est aujourd’hui l’épicentre de la politique étrangère états-unienne. » [14] (Le sous-secrétaire US aux affaires politiques, Richard Burns, à la suite de sa visite en Turquie en septembre 2007)
Le chef de l’Agence des Missiles de Défense du Pentagone, le général Henry Obering a déclaré récemment:
« Les États-Unis espèrent mettre un troisième grande composante antimissile en Europe ainsi que ceux en cours de négociation avec la Pologne et la République tchèque pour contrer l’Iran… La troisième étape auparavant non annoncée en Europe… serait placée plus près de l’Iran qui accélère les efforts pour construire des missiles balistiques capables de transporter des armes meurtrières au-delà du Moyen-Orient… Le puissant système de radar "en territoire avancé" irait du sud-est de l’Europe, peut-être en Turquie, le Caucase ou dans la région de la mer Caspienne. » [15]
En fait, « la troisième étape auparavant non annoncée en Europe » a été annoncée en mars 2007 par l’ambassadeur des États-Unis à l’OTAN, Victoria Nuland:
« Le système de défense contre les missiles de longue portée de l’Iran et d’autres pays… va couvrir la plupart des territoires des pays membres de l’OTAN et il ne sera pas nécessaire d’avoir un second système au sein de l’OTAN. Mais la menace des missiles à courte et à moyenne portée de l’Iran est toujours présente pour des pays comme la Turquie. Afin de contrer cela, à l’exemple de la Turquie et des États-Unis, nous travaillons au niveau bilatéral ainsi que dans le cadre de l’OTAN. » [16]
Des pressions pour couper les liens économiques avec l’Iran
À l’instar des principaux partenaires commerciaux de l’Iran dans l’Union européenne, la Turquie a été soumise à de fortes et continuelles pressions des États-Unis pour couper ses liens économiques avec l’Iran:
« La récente conclusion d’un mémorandum destiné à la Turquie sur la coopération énergétique avec l’Iran est troublante. Ce n’est pas le moment pour faire des affaires comme d’habitude avec l’Iran. Nous demandons à tous nos amis et tous nos alliés, y compris la Turquie, de ne pas récompenser l’Iran en investissant dans son secteur pétrolier et gazier, alors que l’Iran continue de défier le Conseil de sécurité des Nations Unies en poursuivant ses recherches nucléaires à des fins militaires. » [14]
En janvier de cette année, M. Stuart Levey, le sous-secrétaire aux affaires terroristes et du renseignement financier, a exhorté la Turquie à faire preuve de vigilance dans ses relations financières avec l’Iran:
« Il est essentiel de partager l’information afin de discuter des risques … et la vigilance est nécessaire afin de veiller à ce que les institutions financières de la Turquie ne soient pas malmenées par des institutions financières iraniennes et les banques d’État iraniennes. » [17]
La relation particulière de l’Union européenne avec la Turquie
L’ancien ministre des Affaires étrangères allemand, Joschka Fischer, a fait la déclaration suivante en octobre 2006:
« La Turquie doit être un pilier de la sécurité pour la communauté européenne, et les efforts visant à faire dérailler cette relation sont absolument irréfléchis. » [18]
Le chercheur Mahdi Darius Nazemroaya fait valoir que:
« La chancelière [allemande] Angela Merkel a intensifié ses appels à l’inclusion de la Turquie dans le cadre de l’Union européenne par le biais d’une "relation spéciale," mais pas dans le cadre de l’actuel bloc européen. Cela préfigurait ce que Nicolas Sarkozy souhaitait proposer plus tard aux Turcs. » [18]
Le chroniqueur Umur Talu explique ce que cette « relation spéciale » implique:
« Le Président français Sarkozy, qui "ne veut pas de la Turquie dans l’UE," mais qui s’accroche aux États-Unis et à Israël et qui "veut une attaque contre l’Iran" adoptera une "politique de la carotte et du bâton" à l’égard de la Turquie. Autrement dit, il va utiliser l’Union européenne comme appât pour notre territoire, notre espace aérien et nos bases. » [19]
Le fait que la Turquie soit devenue membre de l’OTAN en 1952, mais qu’elle se soit vu refuser l’adhésion à l’Union européenne depuis la création de l’Union européenne est tout à fait révélatrice. Les États-Unis et les principaux pays de l’Union européenne ont une politique commune envers la Turquie: Ils utilisent le PKK, l’accession à l’Union européenne, les résolutions sur le Génocide Arménien de 1915 comme atouts pour amener l’opinion publique turque dans les rangs des États-Unis et en conformité des objectifs de la politique étrangère de l’Union européenne.
La déclaration suivante de Brad Sherman, du parti Démocrate US, est plutôt étrange étant donné la complicité conjointe US-turque dans les génocides en Afghanistan et en Irak ainsi que dans la perspective d’un autre génocide en Iran:
« Car, si nous espérons arrêter de prochains génocides, nous devons admettre ces actes horribles du passé ». [20]
Après tout, les leaders mondiaux du pouvoir sont tout à fait disposés à utiliser les génocides et les massacres de masse passés comme une excuse pour mener leurs propres génocides. [21]
Les cellules turques « GLADIO » sont toujours à l’oeuvre
Danièle Ganser, l’auteur de « Les armées secrètes de l’OTAN: Opération GLADIO et le terrorisme en Europe de l’Ouest, » (I) explique le schéma en cours à travers les pays de l’OTAN:
« Au cours des 50 dernières années, les États-Unis ont organisé des attentats en Europe de l’Ouest, qui ont été faussement attribués à la gauche et à l’extrême gauche [de la Grèce et de la Turquie] pour les discréditer aux yeux de leurs électeurs. Cette stratégie demeure encore présente aujourd’hui, inspirant la peur de l’Islam et pour justifier des guerres pour le pétrole. » [22]
Depuis le début de 2007, des attentats à la bombe, des assassinats, des meurtres, des complots déjoués, des ultimatums au gouvernement lancés par les forces armées, les constantes spéculations sur l’imminence d’un coup d’État, la guerre en territoire turc ou transfrontalier avec le PKK, la mise en scène des manifestations de style démocratique "des révolutions de couleurs," (II) les opérations de police fortement médiatisées et de nouvelles lois anti-terrorisme ont dominé l’opinion publique turque.
« La détention à Istanbul [fin janvier] des membres présumés d’un ténébreux groupe ultranationaliste turc a ravivé les accusations que des éléments au sein de l’appareil de sécurité turques ont longtemps tenté de déstabiliser le pays par le biais d’une campagne d’attentats à la bombe et d’assassinats. Cela inclus supposément des opérations sous fausse bannière [III] qui ont été attribuées à des séparatistes kurdes et islamistes violents [sic]. » [23]
L’assassinat du chroniqueur et journaliste d’investigation de gauche Ugur Mumcu en 1993, a été considérée par les institutions laïques de la Turquie, les médias et les forces armées comme une occasion de galvaniser de façon général des sentiments anti-islamistes et en particulier des sentiments anti-iranien. L’assassinat a été imputé à l’Iran, qui aurait utilisé le Hezbollah (turc) comme un pion.
En réalité, le Hezbollah sunnite (turc) a très peu en commun avec son homonyme au Liban et c’est un fait établi que ce groupe a été créé et utilisé par les institutions paramilitaires de la Turquie contre le PKK au cours des années 1990. En fait, lors du 15e anniversaire de l’assassinat de Mumcu le mois dernier, son frère à la fois avocat Ceyhan Mumcu a lancé l’appel public suivant:
« Soyons prudents à partir de maintenant et ne prétendons pas que Ugur Mumcu, a été assassiné par l’Iran. Bien que j’aie souvent réitéré ce fait, malheureusement certaines personnes font encore des déclarations contraires à la presse. Selon mes recherches, les États-Unis ont pris la décision de l’assassiner en mai 1992. » [24]
Récemment, des dépêches sur le Hezbollah (turc) ont de nouveau commencé à apparaître dans les médias turcs. Il y a des raisons d’interpréter cela dans le cadre d’une opération psychologique subtile pour dresser l’opinion publique turque contre l’Iran.
Les cellules belliqueuses d’Al-Qaïda
Au cours des deux derniers mois, il y a aussi eu une augmentation des reportages sur Al-Qaïda:
« Les agences de sécurité ont reçu des renseignements spécifiques selon lesquels des cellules d’Al-Qaïda ont infiltré la Turquie et elles envisagent de mener des attentats terroristes contre des cibles israéliennes et des sites associés aux États-Unis… À la lumière de cette menace, de récentes directives de sécurité ont été relayées aux agences gouvernementales israéliennes et aux entreprises opérant dans toute la Turquie. » [25]
Ils (les reportages de la presse) ont été suivis par des opérations anti-terroristes à travers le pays. [26] La menace a été reprise par le procureur général US, Michael Mukasey, lors de sa visite à Ankara ce mois-ci:
« Nous surveillons de près Al-Qaïda. Et nous avons vu au cours des derniers temps qu’ils ont accru leurs activités en Turquie… Il semblerait qu’Al-Qaïda pourrait avoir choisi la Turquie comme base. » [27]
Retournons en novembre 2003 lorsque le chercheur Michel Chossudovsky a écrit que les attentats à la bombe au consulat britannique et au siège social de la banque HSBC à Istanbul coïncidaient avec la visite du Président George Bush à Londres, qui a eu lieu le lendemain où s’est achevé la rencontre annuelle du Groupe de Défense conjoint Turco-US à Williamsburg aux États-Unis:
« Les attentats ont créé les conditions pour un rôle plus actif de la Turquie dans le théâtre de guerre en Irak… Les attentats à la bombe à Istanbul ont également servi à faire respecter la légitimité chancelante du premier ministre Tony Blair face à la montée de l’opposition politique concernant la participation de la Grande-Bretagne dans les guerres menées par les États-Unis. » [28]
Cela ressemble à une stratégie similaire qui est à l’œuvre face à une autre menace de guerre. Comme dans le cas du Hezbollah (turc), il n’est pas vraiment question de savoir si Al-Qaida a un quelconque lien avec l’Iran. Cela permet de confondre l’islamophobie et le racisme servant à mettre le feu à la guerre.
L’iranophobie des médias turc
Intitulé « Les tanks du PKK ou la bombe atomique de l’Iran?, » l’article de Kadri Gursel donne un parfait exemple de la propagande anti-iranienne de la presse turque:
« L’Iran a fourni au PKK la protection et un appui logistique dans les années 1990, qui était une période où la Turquie avait une étroite coopération régionale avec les États-Unis; il fomente le terrorisme à l’aide d’une cellule du Hezbollah et il soutient ouvertement les mouvements islamistes par le biais de ses représentants diplomatiques. Les assassins formés par l’Iran ont tué nos intellectuels. L’Iran a tout fait cela pour déstabiliser la Turquie, qui est perçue comme un adversaire naturel.
Une fois que l’Iran réalisera son premier essai nucléaire, il deviendra une super-puissance à l’échelle de ses missiles. Ensuite, on s’attend à un comportement encore plus téméraire car il aura la capacité de soutenir sa politique étrangère agressive avec un bouclier dissuasif nucléaire. » [29]
Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas eu de guerre entre les deux pays depuis la signature du traité de paix d’Qasr-e-Shirin signé en 1639.
Dans une récente interview publiée dans un journal, l’ancien président turc Suleyman Demirel mentionne encore un autre argument typique contre l’Iran :
« Ils ne cessent de me demander: Qu’est-ce qui nous arrive? Allons-nous devenir comme l’Iran? Vers où sommes-nous en train d’aller? Est-ce que ces changements individuels nous feront finalement devenir un Iran? Voilà le problème. La nation est anxieuse et effrayée à la perspective d’une contre-révolution. » [30]
Dans sa lettre ouverte publiée dans le quotidien turc Milliyet, Handan Haktanir, l’épouse de l’ambassadeur de Turquie à Téhéran de 1991 à 1994, donne une sombre mise en garde aux femmes turques:
« Contre certains règlements adoptés au nom de la liberté d’une manière très innocente, mais qui ensuite ouvre la voie à un régime beaucoup plus répressive. Selon mes amies iraniennes, à commencer par l’introduction du port du hijab obligatoire dans les écoles, il a fallu trois ans pour que cet insidieux et graduel processus soit complété et alors, il était trop tard. » [31]
Le débat ad-nauseam sur le port du foulard sur la tête en public et la laïcité de l’État turc semblent avoir une motivation souterraine visant à alimenter l’hostilité contre l’Iran. En fait, sauf pour quelques exceptions, même les religieux de l’opposition extraparlementaire et les médias sont, au mieux, ignorant de la menace contre l’Iran et, au pire, ils augmentent la crainte de la sphère d’influence croissante de l’Iran en Irak ou au Moyen-Orient et des menaces contre les intérêts nationaux de la Turquie. Les préjugés sunnites contre les prédominants chiites de l’Iran jouent certainement aussi un rôle. Quant aux diverses nuances de l’opposition de la gauche extraparlementaire et les médias, sauf exceptions, ils ne font pas beaucoup plus que de prononcer de belles paroles sur l’Irak, la Palestine et Guantanamo Bay.
Alors, quel est l’impact de toutes ces manipulations des citoyens turcs? L’ensemble de la société est extrêmement polarisée sur des bases ethniques, sectaires et les identités de classe, en montrant trop d’intolérance et de méfiance entre eux, dans un état de peur et de confusion, largement désensibilisés à la poursuite des guerres au Moyen-Orient et en Afghanistan (sans parler de n’importe où ailleurs) et inconscient de la menace qui s’approche contre ses deux autres voisins, à savoir l’Iran et la Syrie. En bref, l’ancienne « stratégie de la tension » (IV) des Opérations Gladio s’est avéré très efficace.
La prochaine importante étape vers la guerre: La visite de Cheney en mars
Le quotidien turc Hurriyet a rapporté la prochaine visite de Dick Cheney sous le titre « Cheney viendra pour les Mollahs » :
« La menace "nucléaire" de l’Iran est la raison derrière la visite qu’envisage de faire en Turquie le vice-président des États-Unis Dick Cheney… Au cours de sa visite en mars, Dick Cheney donnera de "graves" messages sur l’Iran… Il dira: « L’Iran est une menace très sérieuse. Aidez-nous et supportez-nous. » [32]
Le chroniqueur Nagehan Alci du quotidien turc Aksam s’inquiète de cette visite:
« La dernière visite de Cheney remonte à 2002, dans la période précédant la guerre en Irak pour demander le soutien à la guerre au premier ministre turc, M. Ecevit. Il était dans une grande tournée au Moyen-Orient afin de mesurer l’état d’esprit au sujet de la guerre… Si cette visite se matérialise, alors Cheney discutera de l’appui fourni par les troupes turques en Afghanistan et de la situation en Irak.
Mais le principal sujet sera l’Iran. Cheney pourrait donner le signal que l’option d’une intervention militaire en Iran est sur la table, mais il ne parlera pas ouvertement de ces plans. En revanche, il mentionnera les sanctions qu’ils veulent faire passer au Conseil de sécurité des Nations Unies. Il mettra l’accent sur la nécessité d’isoler l’Iran et que la puissance nucléaire de l’Iran menace aussi la Turquie. (Il a donné un avertissement semblable [contre l'Irak] en 2002). » [33]
Pendant la période d’avant la guerre en Irak, il y avait en Turquie une écrasante unité contre la guerre, que l’on estime englober 90 à 95% de citoyens turcs. Une guerre contre l’Iran sera probablement tout aussi impopulaire, mais cette fois, il semble que les citoyens turcs semblent être trop distraits et trop divisés pour prendre la menace au sérieux jusqu’à la dernière minute, alors que le parlement se livre à une conspiration du silence. D’où la raison d’être du présent article qui se veut une tentative pour corriger le manque d’information et de souligner particulièrement les opérations psychologiques dirigées en Turquie pour ouvrir la voie à un conflit avec l’Iran, ceci afin que les turcs et que le public mondial perçoivent le danger et qu’ils agissent à temps pour l’éviter. Nous vous encourageons à faire circuler cet article à tous les intéressés et à toutes les parties concernées.
GLOSSAIRE
(I) Opération Gladio: Initialement mis en place comme un réseau de cellules clandestines pour être activées derrière les lignes dans le cas d’une invasion soviétique dans l’Europe occidentale, Gladio évolua rapidement en un outil de répression politique et de manipulation, dirigée par l’OTAN et par Washington. Utilisant les milices de droite, les provocateurs du gouvernement et des unités militaires secrètes, non seulement Gladio a répandu largement le terrorisme, les assassinats et la subversion électorale dans les États démocratiques comme l’Italie, la France et l’Allemagne de l’Ouest, mais Gladio a aussi renforcé les tyrannies fascistes en Espagne et au Portugal, a encouragé le coup d’État militaire en Grèce et a facilitée la répression des Kurdes en Turquie.
(II) Les révolutions de couleurs: La révolution safran en Birmanie, comme la révolution orange en Ukraine ou la révolution des roses en Géorgie et les différentes couleurs des révolutions instiguées ces dernières années contre les États stratégiques entourant la Russie, est un exercice bien orchestrée pour des changements de régime dirigés par Washington.
(III) Des opérations sous fausse bannière (False Flag – littéralement Faux Drapeau): Des opérations secrètes menées par les gouvernements, des compagnies ou d’autres organisations, qui sont conçues pour apparaître comme si elles avaient été réalisées par d’autres entités. Le terme est dérivé du concept militaire consistant à faire voler un avion sous une fausse couleur, c’est-à-dire en battant pavillon d’un pays autre que le sien. Les opérations sous fausse bannière ne sont pas limitées à la guerre et aux opérations anti-insurrectionnelles, elles ont été utilisées en temps de paix, par exemple au cours de la stratégie de tension en Italie. [NDT : La plus connue des opérations sous fausse bannière est certainement le 11 septembre 2001.]
(IV) La stratégie de tension: Une façon de contrôler et de manipuler l’opinion publique en utilisant la peur, la propagande, la désinformation, la guerre psychologique, des agents provocateurs, ainsi que des actes terroristes sous fausse bannière. Selon l’historien Danièle Ganser, « c’est une tactique qui consiste à commettre des attentats à la bombe et de les attribuer à des tiers. Par le terme « tension » on se réfère à la tension émotionnelle, à ce qui crée un sentiment de peur. Par le terme « stratégie » on se réfère à ce qui alimente la peur des gens envers un groupe particulier. »
Traduit par Dany Quirion pour Alter Info
Source : http://www.campaigniran.org/casmii/index.php?q=node/4153
REFERENCES
by Michel Chossudovsky, Global Research, 11 February 2008
Zeynep Gurcanli, Hurriyet Online, 15 February 2008
by Kasim Cindemir, Hurriyet, 17 February 2008