[Mother Jones] Six questions sans réponse sur la guerre des drones d’Obama

 
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Six questions sans réponse sur la guerre des drones d’Obama

Par H.H. Bhojani, sur Mother Jonesle 4 février 2014.


Mise à jour
: Hier, le
Washington Post a rapporté que des officiels de l’administration Obama ont déclaré que les frappes de drones au Pakistan ont été "nettement réduites" à la demande du gouvernement pakistanais pendant qu’il poursuit des pourparlers de paix avec les Talibans. Le gouvernement dit qu’il continuera à effectuer des frappes contre des cibles d’al-Qaïda si elles présentent des menaces directes et imminentes envers des Américains. Pendant ce temps, les frappes de drones ont continué au Yémen où un missile tiré sur un convoi de mariage a tué au moins 11 personnes au mois de décembre.

 

Le 23 janvier 2009, le président Barack Obama autorisait sa première frappe de drone. L’attaque, lancée contre un camp au nord-ouest du Pakistan, tua entre 7 et 15 personnes — mais manqua le repaire Taliban que la CIA pensait viser. Au cours des cinq années suivantes, la CIA a effectué plus de 390 frappes de drone connues au Pakistan, au Yémen et en Somalie. (L’Agence a effectué 51 frappes de drone entre 2004 et 2009, durant l’administration Bush.)

Obama a fait une brève référence à la campagne de drone la semaine dernière dans son discours sur l’état de L’Union (*), assurant le Congrès que "J’ai imposé des limites prudentes sur l’usage des drones." Ce n’était pas la première fois que le président reconnaissait la nécessité d’une politique claire sur les drones. En mai dernier, Obama faisait remarquer à l’université de Défense nationale que "cette nouvelle technologie soulève de lourdes questions — à propos de qui est ciblé, et pourquoi". Pourtant, les réponses que l’administration a fournies à ces lourdes questions et les limites prudentes qu’elle a mises en place restent vague.

Voici six questions majeures sur le programme de drone américain qui demeurent sans réponse dix ans après la première frappe :
 

1. Qui est ciblé ?

Un sommaire déclassifié de la feuille de route de la politique présidentielle établit que "la politique des Etats-Unis n’est pas d’utiliser la force létale quand la capture est possible". Si la capture est possible, "la force létale ne sera pas suggérée ou exercée à titre de châtiment ou comme substitut à la poursuite d’un terroriste présumé dans un tribunal civil ou une commission militaire". Selon l’administration Obama, la force létale ne peut être utilisée que contre "al-Qaïda et ses groupes affiliés". Pourtant, comme le rapportait l’année dernière une enquête de McClatchy DC, le gouvernement n’a identifié publiquement aucun groupe affilié à al-Qaïda en dehors des Talibans Afghans. L’examen par McClatchy des rapports top secret des renseignements étasuniens couvrant la plupart des frappes de drone au Pakistan entre 2006 et 2008 et entre 2010 et 2011, montrait que "les opérateurs de drone n’étaient pas toujours certains de qui ils tuaient, malgré les garanties du gouvernement sur l’exactitude des renseignements de ciblage de la CIA". Plus de la moitié des 482 personnes tuées entre septembre 2010 et septembre 2011 n’étaient pas des hauts dirigeants d’al-Qaïda, mais furent "évalués" comme des extrémistes afghans, pakistanais ou inconnus. Les drones n’ont tué que six hauts dirigeants d’al-Qaïda au cours de ces mois-là.

2. Qu’est-ce qui caractérise une "menace imminente" ?

La feuille de route de politique présidentielle décrit un certain nombre de conditions pour l’usage de la force létale, incluant "une menace imminente et continue envers des ressortissants étasuniens". Selon un livre blanc non daté du département de la Justice qui fut divulgué, définir une cible comme une "menace imminente" ne "nécessite pas de preuve claire qu’une attaque spécifique contre des ressortissants ou des intérêts étasuniens aura lieu dans un avenir immédiat". Le document explique que la menace actuelle de complots ou attaques d’al-Qaïda "nécessite un concept plus large que celui d’imminence". Le mémo du département de la Justice soutient que les États-Unis doivent être capables "d’agir en légitime défense dans des circonstances où il y a des éléments d’attaques supplémentaires imminentes, même s’il n’y a pas d’éléments spécifiques sur le lieu d’une telle attaque ou sur la nature précise de l’attaque." Cette large définition légale d’une "menace imminente" semble permettre à l’administration Obama de frapper n’importe quand.

3. Qu’en est-il des "signature strikes" (**) ?

En dehors d’une liste de cibles à éliminer, un élément clé de la guerre des drones est l’utilisation de "signature strikes" — des attaques autorisées par le président contre des cibles affichant une "signature" terroriste, telle que "des camps d’entraînement et des enceintes suspectes". Le gouvernement a refusé de reconnaître l’utilisation de ces "signature strikes" ou d’en discuter les justifications légales. La CIA ne dévoile pas les critères qu’elle emploi pour identifier une "signature" terroriste. C’est particulièrement difficile à faire au nord-ouest du Pakistan, où les militants et les civils peuvent s’habiller se la même manière, et où il est coutumier de porter publiquement une arme.

4. Le Congrès sait-il vraiment ce qu’il se passe ?

Les commissions sur le renseignement de la Chambre des représentants et du Sénat surveillent le programme de drone. Cependant, leur capacité à établir des limites est sévèrement restreinte car le programme est classifié. La sénatrice Dianne Feinstein (Démocrate de Californie), la présidente de la commission du Sénat sur le renseignement, a déclaré en février dernier au journal The Hill : "Pour le moment, c’est très difficile [de surveiller] parce que c’est considéré comme une activité clandestine, donc quand vous voyez quelque chose de mal et que vous demandez à l’aborder, on vous dit non". Le gouvernement a systématiquement refusé de répondre aux demandes d’informations complémentaires de la part des législateurs. Par exemple, depuis 2011, 21 demandes de membres du Congrès sollicitant l’accès aux mémorandums du Bureau du conseil juridique qui fournissent les bases légales des assassinats ciblés ont été refusées. La Maison Blanche a également refusé de fournir des témoins pour représenter le gouvernement lors d’une récente audition des commissions juridiques de la Chambre des représentants et du Sénat sur les assassinats ciblés.

5. Comment sont évitées les victimes civiles — et comment sont-elles recensées ?

La feuille de route de la politique présidentielle stipule que des frappes létales peuvent être réalisées seulement avec "la quasi certitude que des non-combattants ne seront pas blessés ou tués". Cependant, l’administration Obama compte tous les individus masculins d’âge militaire tués par drone comme des militants. Ceci explique pourquoi le décompte officiel de morts civiles varie largement des décomptes indépendants. Alors que la sénatrice Feinstein déclarait l’année dernière que le nombre annuel de victimes civiles par drones était tombé à "un seul chiffre", le Bureau of Investigative Journalism estimait que le nombre total de victimes civiles depuis 2004 au seul Pakistan était passé de 416 à 951.

6. Comment le gouvernement justifie le fait de cibler des citoyens étasuniens ?

En septembre 2011, Anwar al-Awlaki, un pasteur né aux États-Unis, a été tué lors d’une frappe de drone au Yémen. Un mémo secret du département de la Justice a fourni la justification légale pour cibler un citoyen étasunien. Le mémo, obtenu par NBC News, estimait qu’il était légal d’utiliser la force létale dans un pays étranger contre un citoyen étasunien qui est un haut dirigeant d’al-Qaïda ou d’un groupe affilié si un haut représentant a déterminé que l’individu posait une menace imminente, que sa capture était impossible, et que l’opération était compatible avec les lois de la guerre.

Le mémo note que de tels assassinats de citoyens étasuniens sont justifiés à condition que les victimes civiles ne soient pas "excessives". Le fils de 16 ans d’al-Awlaki, Abdulrahman al-Awlaki, également citoyen étasunien, a été tué dans une frappe séparée deux semaines plus tard. Lorsqu’il fut interrogé sur les justifications légales de sa mort, Robert Gibbs, conseiller d’Obama et ancien porte-parole de la Maison Blanche, a répondu qu’Abdulrahman al-Awlaki "aurait dû avoir un père beaucoup plus responsable".

 

Traduction : Seb pour ReOpenNews

* Discours sur l’état de l’Union : discours du président des États-Unis devant les représentants au Congrès afin de présenter sa politique pour l’année en cours.

** Signature strikes : difficilement traduisible en français, ce terme caractérise des frappes visant non pas des cibles identifiées mais des personnes dont le comportement suppose la marque (la signature) d’une activité terroriste.

 


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8 Responses to “[Mother Jones] Six questions sans réponse sur la guerre des drones d’Obama”

  • NOUVEAU DRONE UK qui sélectionne de façon autonome ses cibles:

    bientôt en vente chez tous les bons armuriers.

    http://rt.com/news/killer-robot-drone-uk-735/

  • Paul Vetran

    « I Have a Drone » – Barack Killer King Obama

  • nikechx

    Et sinon le congrès americain vote en huit clos l’autorisation d’armès Al Nosra (Al Quaïda)en syrie….mais silence dans nos chers medias de masse?!!!!

  • Paul Vetran

    PS :
    « Prix Nobel de la Paix », la bonne blague …

  • Phrygane

    Et dire que si la théorie de l’Inside-job est exacte pour le 9/11:

    Ben Laden et Al Qaeda deviennent des épouvantails, en même temps que des collaborateurs, plus ou moins conscients.
    Des prétextes à faire la guerre aux uns et aux autres.

    Vertigineux, non ?

  • Phrygane

    Juste un tout petit problème qui se pose avec de plus en plus d’acuité aux « cerveaux géniaux » desquels une telle stratégie pourrait-être issue :

    Comment faire pour éviter que les gens aient moins peur du chômage et de la pauvreté que du « terrorisme international » ?

    En augmentant encore les budgets de l’US Army ?

  • Eric

    Il va sans dire que si les Etats-Unis étaient une Démocratie au lieu d’être une République, la guerre des drones ne pourrait pas avoir lieu car le peuple américain s’y opposerait. Je vous rappelle que dans une Démocratie le peuple est souverain, tandis que dans une République ce sont les élus du peuple qui sont souverains. Une République est un régime oligarchique et, partant, le contraire d’une Démocratie.

    Je vous invite à visionner ces deux vidéos qui traitent de la Démocratie :

    Interview de Francis Dupuis-Déri : https://www.youtube.com/watch?v=KVW5ogGDlts#t=1601

    Extrait d’une conférence d’Etienne Chouard : http://www.dailymotion.com/video/x16gv8j_tirage-au-sort-explique-aux-noobs_news

  • Doctorix

    Les drones: n’importe qui, n’importe quoi, n’importe quand, n’importe comment, n’importe où.

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