Zero Dark Thirty : un masque de beauté sur les horreurs de la CIA (2/3)
04 mars, 2013 by Lalo
Zero Dark Thirty raconte la traque supposée d’Oussama Ben Laden par une cellule spéciale de la CIA. Rappelons que ce film est construit sur un scénario imaginaire à partir d’informations extraites d’un récit officiel subjectif et partisan, d’allégations sans preuves et de témoignages invérifiables. Et pourtant les médias célèbrent une œuvre particulièrement documentée… Les critiques de cinéma seraient-ils en passe, au sein des rédactions, de prendre la place abandonnée par les journalistes d’investigation pour nous éclairer sur les zones d’ombre des événements contemporains ? Par ailleurs, cette production nous fait visiter la CIA en compagnie d’une toute jeune fille, l’agent Maya, dont la beauté et la pâleur fantomatique apposent un masque bien trompeur sur la somme terrifiante des crimes que cette agence aura pu commettre hors du territoire américain en moins de 66 ans d’existence, et ce pour soutenir avant tout les intérêts de sociétés privées ou pour assouvir les pulsions impérialistes de l’oligarchie dirigeant les États-Unis.
Jessica Chastain reçoit le Golden Globe Award
pour son interprétation dans Zero Dark Thirty
Zero Dark Thirty : Oscar de l’islamophobie radicale (2/3) Un masque de beauté sur les horreurs de la CIA
« Le gouvernement américain est aujourd’hui
le plus grand pourvoyeur de violence dans le monde. »
Martin Luther King, discours de Riverside Church à New York,
le 4 avril 1967, un an exactement avant sa mort. [1]
Les critiques de cinéma, aux États-Unis comme en France, ont très largement plébiscité Zero Dark Thirty qui a, par ailleurs, reçu 5 nominations aux Oscars dont une pour la catégorie du meilleur film de l’année 2012. L’immense majorité de ces recensions tressent des louanges au film, en se basant le plus souvent sur des critères artistiques et cinématographiques, mais aussi pour une bonne part en reproduisant les arguments du dossier de presse qui met en avant le travail de documentation journalistique qui aurait été effectué durant la phase d’écriture de Zero Dark Thirty. Ainsi, dans leurs différents billets dithyrambiques, Libération parle de « fiction très documentée », Les Inrockuptibles évoquent un « modèle de construction logique et de rigueur intellectuelle », Télérama affirme « On est en plein réalisme. En plein journalisme d’investigation » et soutient que c’est « parce qu’elle est très soucieuse de vérité » que Kathryn Bigelow a filmé des scènes de torture, enfin Le Monde nous dit qu’elle embarque le spectateur « dans le récit documenté et circonstancié d’une chasse à l’homme qui se veut la plus réaliste possible. S’appuyant sur un sérieux travail d’enquête mené par le journaliste, scénariste et producteur du film, Mark Boal… ». Nous sommes curieux de connaître le degré de fiabilité des informations contenues dans les arguments promotionnels ayant pour objectif de vendre un produit culturel aux médias, et nous aurions apprécié que les chroniqueurs de cinéma, qui bénéficient comme leurs confrères d’une carte de journaliste, entreprennent de vérifier par eux-mêmes la réalité de ces faits « s’appuyant sur un sérieux travail d’enquête ». De quel travail d’enquête est-il question exactement si l’on tient compte du fait que les producteurs de Zero Dark Thirty revendiquent pour leur part la licence artistique que leur autorise par nature toute fiction cinématographique afin de ne pas être visés par l’enquête du Sénat des États-Unis qui cherche à savoir si la CIA a fourni ou non des informations classifiées aux auteurs du film ? [2]
A l’image du physique délicat de son héroïne interprétée par Jessica Chastain, Zero Dark Thirty use des talents artistiques qu’il synthétise et de la « beauté » formelle de sa réalisation pour recouvrir d’une pellicule de vernis la laideur des guerres impérialistes entreprises par les États-Unis à la suite du 11 Septembre sur le prétexte fallacieux de la lutte mondiale contre le terrorisme. Et, par le truchement d’une campagne marketing de plusieurs dizaines de millions de dollars, nous sommes invités à célébrer un produit type de la pop culture financé, élaboré et distribué par la multinationale Sony qui promeut aux yeux du monde le bien fondé de la « guerre au terrorisme » et des pratiques contraires aux fondamentaux du respect humain, comme la torture.
Récapitulatif des critiques de presse au sujet de Zero Dark Thirty, présenté sur le site Allociné.
N’en déplaise à la grande majorité des journalistes qui relayent sans esprit critique les prétendues vertus documentaires de Zero Dark Thirty que s’applique à vendre la production, il n’est pas certain que la CIA soit réellement et totalement cette entreprise de bonne volonté que le film présente, soucieuse de protéger le peuple américain des dangers extérieurs, même si elle se montre extrêmement dévouée au point d’assurer le sale boulot et de torturer des milliers de musulmans… pour la « bonne cause », la raison d’État, ou tout autre prétexte permettant de justifier la pratique assidue de tels crimes. Il est intéressant de noter que jamais, au grand jamais, le scénario de Zero Dark Thirty n’aborde l’éventualité que la CIA et les autorités américaines aient pu, d’une façon ou d’une autre, mentir aux citoyens des États-Unis et au monde entier en arrangeant la réalité des faits et en faisant usage de duplicité. Et à aucun moment cette question ne se trouve traitée dans la trame du scénario. En dehors de ce penchant fort malencontreux pour la torture, Kathryn Bigelow et son scénariste Mark Boal nous présentent la CIA comme une entreprise bel et bien régulière, subordonnée au pouvoir démocratique et fondamentalement vertueuse.
Bien que le secret et la duplicité représentent le fond de commerce de la CIA et que la pratique du meurtre et des coups tordus soit au cœur des attributions de cette agence de renseignement, jamais les auteurs n’entreprennent de lever le voile sur la nature délictueuse de l’Agence et nous – citoyens – devrions nous convaincre une bonne fois pour toute que le mensonge et le crime n’ont pas leur place ici pour mener à bien un projet soutenu par un gouvernement d’une grande démocratie moderne telle que les USA, alors même que l’histoire nous démontre que cela s’est déjà produit dans le passé, et à maintes reprises… En effet, ce ne sont pas les exemples historiques qui manquent concernant les actions de la CIA totalement contraires au droit international le plus basique. Et si les grands médias occidentaux subordonnés à l’idéologie atlantiste contribuent à entretenir l’idée selon laquelle la CIA remplirait essentiellement la fonction qui lui est attribuée officiellement, à savoir protéger la nation et le peuple américain, un bref regard sur l’histoire de cette administration suffit à constater qu’il n’en est rien et que les très nombreuses opérations clandestines organisées par l’Agence ont été exécutées, avant tout pour protéger les intérêts financiers de quelques multinationales.
Le documentaire de William Karel, réalisé en 2003, CIA, guerres secrètes – Opérations clandestines, présente ainsi la CIA : « On sait que ses effectifs sont passés de 35 personnes à sa création à près de 100 000 aujourd’hui, et son budget de quelques centaines de milliers de dollars à 28 milliards. La CIA est chargée du contre-espionnage extérieur, mais il lui est interdit d’opérer sur le territoire des États-Unis qui reste le domaine réservé du FBI. Truman avait placé la CIA sous l’autorité directe du Président des États-Unis, mais l’Agence allait très vite lui échapper et devenir le seul service chargé de mener des activités spéciales clandestines et des opérations subversives à l’étranger. »
Le documentaire de William Karel CIA, guerres secrètes – Opérations clandestines
L’holocauste américain
En 2003, l’historien William Blum publie un livre phare, Killing Hope (qui sort l’année suivante en France sous le titre Les guerres scélérates, aux éditions Parangon). Blum est un ancien fonctionnaire du département d’État américain qui établit une liste extrêmement documentée de 55 cas d’interventions militaires ou d’opérations clandestines menées à l’étranger par les États-Unis depuis 1945. Les premières lignes de son introduction donnent le ton : « Les Américains [ont] eux aussi perpétré un holocauste et […] le nier est aussi scandaleux que de nier l’holocauste nazi. La négation de l’holocauste américain est si largement et si profondément ancrée […] que ses négationnistes ne soupçonnent même pas qu’il y a eu des victimes. Pourtant, plusieurs millions de personnes en sont mortes et encore plus de millions ont été condamnées à vivre dans la misère, en raison des interventions américaines, de la Chine et la Grèce dans les années quarante, à l’Afghanistan et à l’Irak de nos jours. »
1. China – 1945 to 1960s: Was Mao Tse-tung just paranoid?
2. Italy – 1947-1948: Free elections, Hollywood style
3. Greece – 1947 to early 1950s: From cradle of democracy to client state
4. The Philippines – 1940s and 1950s: America’s oldest colony
5. Korea – 1945-1953: Was it all that it appeared to be?
6. Albania – 1949-1953: The proper English spy
7. Eastern Europe – 1948-1956: Operation Splinter Factor
8. Germany – 1950s: Everything from juvenile delinquency to terrorism
9. Iran – 1953: Making it safe for the King of Kings
10. Guatemala – 1953-1954: While the world watched
11. Costa Rica – Mid-1950s: Trying to topple an ally – Part 1
12. Syria – 1956-1957: Purchasing a new government
13. Middle East – 1957-1958: The Eisenhower Doctrine claims another backyard for America
14. Indonesia – 1957-1958: War and pornography
15. Western Europe – 1950s and 1960s: Fronts within fronts within fronts
16. British Guiana – 1953-1964: The CIA’s international labor mafia
17. Soviet Union – Late 1940s to 1960s: From spy planes to book publishing
18. Italy – 1950s to 1970s: Supporting the Cardinal’s orphans and techno-fascism
19. Vietnam – 1950-1973: The Hearts and Minds Circus
20. Cambodia – 1955-1973: Prince Sihanouk walks the high-wire of neutralism
21. Laos – 1957-1973: L’Armée Clandestine
22. Haiti – 1959-1963: The Marines land, again
23. Guatemala – 1960: One good coup deserves another
24. France/Algeria – 1960s: L’état, c’est la CIA
25. Ecuador – 1960-1963: A text book of dirty tricks
26. The Congo – 1960-1964: The assassination of Patrice Lumumba
27. Brazil – 1961-1964: Introducing the marvelous new world of death squads
28. Peru – 1960-1965: Fort Bragg moves to the jungle
29. Dominican Republic – 1960-1966: Saving democracy from communism by getting rid of democracy
30. Cuba – 1959 to 1980s: The unforgivable revolution
31. Indonesia – 1965: Liquidating President Sukarno … and 500,000 others East Timor – 1975: And 200,000 more
32. Ghana – 1966: Kwame Nkrumah steps out of line
33. Uruguay – 1964-1970: Torture — as American as apple pie
34. Chile – 1964-1973: A hammer and sickle stamped on your child’s forehead
35. Greece – 1964-1974: "Fuck your Parliament and your Constitution," said the President of the United States
36. Bolivia – 1964-1975: Tracking down Che Guevara in the land of coup d’etat
37. Guatemala – 1962 to 1980s: A less publicized "final solution"
38. Costa Rica – 1970-1971: Trying to topple an ally — Part 2
39. Iraq – 1972-1975: Covert action should not be confused with missionary work
40. Australia – 1973-1975: Another free election bites the dust
41. Angola – 1975 to 1980s: The Great Powers Poker Game
42. Zaire – 1975-1978: Mobutu and the CIA, a marriage made in heaven
43. Jamaica – 1976-1980: Kissinger’s ultimatum
44. Seychelles – 1979-1981: Yet another area of great strategic importance
45. Grenada – 1979-1984: Lying — one of the few growth industries in Washington
46. Morocco – 1983: A video nasty
47. Suriname – 1982-1984: Once again, the Cuban bogeyman
48. Libya – 1981-1989: Ronald Reagan meets his match
49. Nicaragua – 1981-1990: Destabilization in slow motion
50. Panama – 1969-1991: Double-crossing our drug supplier
51. Bulgaria 1990/Albania 1991: Teaching communists what democracy is all about
52. Iraq - 1990-1991: Desert holocaust
53. Afghanistan – 1979-1992: America’s Jihad
54. El Salvador - 1980-1994: Human rights, Washington style
55. Haiti – 1986-1994: Who will rid me of this turbulent priest?
A partir des années 1980, John Stockwell, ancien officier de la CIA, dénonce
la nature criminelle de l’Agence et des interventions militaires américaines,
évoquant littéralement une 3e Guerre mondiale menée par les États-Unis
contre les peuples du tiers-monde [10].
Quelques exemples caractéristiques de crimes commis par la CIA
1953 • Iran
Commandée par le Royaume-Uni et les États-Unis et exécutée par la CIA, l’opération Ajax aboutit au renversement du Premier ministre, Mohammad Mossadegh, et renforce le pouvoir du Chah, Reza Pahlavi. Cette opération secrète met un terme à la politique nationaliste de Mossadegh et permet de préserver les intérêts occidentaux dans l’exploitation des gisements pétrolifères iraniens (British Petroleum en particulier). Les États-Unis reconnaitront officiellement, sous l’administration Clinton, leur implication dans l’organisation et le soutien financier de ce coup d’État [3].
1954 • Guatemala
Le régime démocratique de Jacobo Arbenz Guzmán est renversé par un coup d’État organisé par la CIA afin d’empêcher l’expropriation des terres non exploitées de la société américaine United Fruit spécialisée dans la monoculture de la banane, alors même que le numéro un de la CIA, Allen Dulles, siège au conseil d’administration de United Fruit. L’historien William Blum témoigne : « C’est sans doute une des pires choses que la CIA et le gouvernement américain aient jamais faites. Ils ont mis à la place une dictature militaire qui a tué des centaines de milliers de gens au Guatemala pendant 40 ans. » [4]
1961 • Cuba
Alors qu’il vient de chasser le dictateur Batista, Fidel Castro nationalise les plantations de sucre détenues par des sociétés américaines. Dès lors commence l’escalade entre Cuba et les États-Unis qui conduit au débarquement de la Baie des Cochons visant à renverser Castro. La CIA a entrainé 1400 exilés cubains, mais le gouvernement en place étant très populaire, le soulèvement n’a pas lieu et les mercenaires sont rejetés à la mer. « La CIA espérait que Kennedy, devant le désastre, se sentirait obligé de dépêcher l’armée américaine en renfort. Mais Kennedy refusa et l’opération échoua. La CIA lui attribua la totalité de l’échec de la Baie des Cochons. » [5]
William Colby en charge de l’Opération Phoenix menée au Vietnam par la CIA
avoue devant la commission Church que cette opération a conduit à
1965 • Vietnam L’opération Phoenix est un programme secret de la CIA qui implique l’assassinat ciblé de civils vietnamiens (enseignants, cadres, médecins…) visant à paralyser le fonctionnement du pays et à détruire son infrastructure. Ce programme accompagné de tortures fut exécuté avec une violence sans nom afin de terroriser les populations. William Colby est en charge de l’opération et il sera ensuite nommé directeur de la CIA. Lors des auditions qui auront lieu dans les années 70 devant le congrès, Colby lui-même avouera que ce programme a conduit à l’assassinat de 20 000 personnes en une seule année. A noter que le général Aussaresses, militaire français connu pour son efficacité dans les pratiques de torture durant la guerre d’Algérie, participe à l’opération. [6]
1973 • Chili
Le mardi 11 septembre 1973, le gouvernement socialiste du président démocratiquement élu Salvador Allende est renversé par un coup d’État militaire dirigé par le général Augusto Pinochet et combiné en sous main par la CIA et le Secrétaire d’État Henry Kissinger. Salvador Allende est assassiné (selon la CIA, il s’est suicidé). La liberté de la presse est abolie, le couvre-feu instauré et les opposants au régime arrêtés, exilés, torturés ou exécutés. Les listes des suspects sont fournies par la CIA aux escadrons de la mort de la junte militaire. La dictature militaire dirigera le pays jusqu’en 1990. [7]
1980-1986 • Nicaragua
Les dérives de la CIA ont continué malgré les révélations de la commission Church en 1975, avec en particulier l’Irangate et le financement des groupes armés au Nicaragua dont les conséquences sur la société américaine ont été largement étouffées par les médias, en particuliers le lien entre ces machinations de la CIA et le fléau du crack, le stupéfiant qui a ravagé les États-Unis durant les années 1980. Le livre Black List publié en 2003 rassemble les récits de plusieurs grands journalistes américains racontant comment ils ont été mis à l’index après avoir tenté de publier des articles ou diffuser des reportages sur des sujets mettant en cause des instances ou des personnages élevés du pouvoir. Le premier récit présenté dans le livre est celui du journaliste Gary Webb au sujet de la guerre secrète menée par la CIA au Nicaragua entre 1980 et 1986 qui a donné lieu à une opération clandestine organisée par l’Agence, faisant usage d’un gigantesque trafic de drogue. Cette opération a permis de financer la Contra, un mouvement de lutte armée créé de toutes pièces par la CIA pour déstabiliser le gouvernement sandiniste au pouvoir à Managua. Et le financement de ce groupe armé s’est fait grâce à la vente de la cocaïne dans les ghettos noirs de Los Angeles, contribuant à déclencher la terrible épidémie de crack qui a dévasté ensuite les quartiers pauvres sur l’ensemble du territoire américain. La diffusion du travail de Gary Webb sur Internet, en 1996, donnera naissance à un vaste mouvement de mobilisation citoyenne aux États-Unis pour enrayer le désastre sanitaire dû à cette arrivée massive de drogue, et ce malgré le black-out presque total des médias institutionnels sur le sujet. Le journaliste dénonce précisément la collusion entre l’Agence de renseignement et la presse de son pays : « Les grands médias nationaux courtisent depuis longtemps la CIA. Ils publient des fuites qui arrangent l’Agence, ou bien pourfendent des articles ou des idées qui lui sont préjudiciables. Si cette connivence entre la presse et le pouvoir est si inquiétante, c’est parce qu’elle est devenue la règle. »
Le général Benoît Royal explique comment la CIA utilise les drones
pour procéder aujourd’hui à des assassinats ciblés au Pakistan.
Le paravent de la polémique sur la torture
Durant la première demi-heure du film, nous sommes contraints d’assister à la torture qu’un agent de la CIA inflige à un prisonnier présenté comme étant Ammar, le neveu de Khaled Cheikh Mohammed, accusé d’avoir transféré de l’argent à l’un des 19 pirates de l’air et terroristes présumés du 11 Septembre. Et entre deux sévices, le tortionnaire fait face à sa victime, et déclare : « Tu es responsable de la mort de 3000 personnes innocentes », justifiant ainsi, à l’attention du spectateur, le traitement qu’il lui inflige, sur la base de la tragédie du 11 Septembre.
Il est probable que la polémique à propos de la représentation de la torture dans le film, même si elle a pris à un moment donné des proportions embarrassantes pour la production, était au départ souhaitée par cette dernière, car cette polémique présente trois atouts majeurs :
1 • La polémique sert de paravent. Elle sature le débat autour du film, comme cela a été en particulier le cas aux États-Unis, ce qui écarte du champ des débats médiatiques l’enjeu primordial de l’absence de preuve concernant la réalité de l’assassinat d’Oussama Ben Laden en 2011.
2 • La polémique donne aux auteurs du film un gage de crédibilité aux yeux du public du fait que le film aborde de front certaines pratiques litigieuses normalisées sous l’administration Bush (le spectateur est ainsi susceptible de se dire « si les auteurs montrent sans détour la torture, sûrement font-il de même pour les autres zones d’ombre de cette histoire… »).
3 • La polémique, lorsqu’elle est maitrisée, est un excellent vecteur publicitaire pour un film.
Par ailleurs, contrairement à ce que prétendent les promoteurs du film, Zero Dark Thirty ne dénonce pas réellement l’usage de la torture, mais le justifie aux yeux du spectateur, car dans la logique du récit ficelé par Mark Boal, c’est bel et bien les informations fournies par les prisonniers torturés qui permettent au bout du compte à la jeune héroïne de parvenir au but ultime : attraper son Ben Laden de cinéma.
Le documentaire d’Errol Morris, Standard Operating Procedure,
revient sur les tortures infligées aux prisonniers d’Abu Ghraib en Irak,
loin de la représentation hollywoodienne de ces pratiques dans Zero Dark Thirty.
Hollywood sous tutelle après le 11 Septembre
En décrétant au soir du 11 Septembre que les États-Unis devaient répondre à un acte de guerre, George Bush a lancé une dynamique qui a permis à l’administration au pouvoir de gagner le soutien de bien des acteurs de l’économie américaine. Dans un article publié en 2009 sur Global Research, les deux auteurs, Matthew Alford et Robbie Graham, explorent la question de la collaboration entre les médias américains (dont l’industrie cinématographique) et la CIA, et apportent des éléments d’information éloquents sur l’installation d’une logique de propagande aux États-Unis à la suite du 11 Septembre [8] :
« Nous considérons ici, de prime abord, l’idée selon laquelle Hollywood reste visé par l’infiltration et la subversion de différents organismes publics, en particulier la CIA. Les débats traditionnels sur la propagande cinématographique sont généralement rétrospectifs, et bien qu’un certain nombre d’observateurs ont mis en évidence la relation de longue date affichée entre Hollywood et le Pentagone, peu de choses ont été écrites sur les influences plus clandestines qui pénètrent Hollywood dans le monde de l’après 11 Septembre. Ainsi, notre analyse explore ce champ que Peter Dale Scott nomme la "politique profonde", à savoir, les activités qui ne peuvent être véritablement comprises aujourd’hui en raison de l’influence secrète d’acteurs dissimulés du pouvoir. […] »
Le documentaire Hollywood – Pentagone (cinéma et propagande, les liens secrets)
s’ouvre avec la célèbre réplique du film Patton : « Mettez-vous bien dans la tête
qu’un connard n’a jamais gagné une guerre en mourant pour son pays.
On gagne une guerre en faisant ce qu’il faut pour que les pauvres
connards d’en face meurent pour leur pays. »
« Le 11 Novembre 2001, une réunion a eu lieu à Hollywood entre le chef de cabinet adjoint du président Bush, Karl Rove, et des représentants de chacun des grands studios d’Hollywood pour discuter de la façon dont l’industrie du cinéma pourrait contribuer à la "guerre contre le terrorisme". […] En fait, cette réunion faisait partie d’une série de rencontres entre Hollywood et la Maison Blanche d’octobre à décembre 2001. Le 17 octobre, en réponse au 11 Septembre, la Maison Blanche a annoncé la formation de l’Arts and Entertainment Task Force [groupe de travail portant sur l'industrie du divertissement], et en novembre, Jack Valenti [qui a été conseiller à la Maison Blanche sous Lyndon Johnson puis président de la MPAA, la toute puissante association de l’industrie cinématographique, de 1966 à 2004] devenait le chef de file de la nouvelle mission attribuée à Hollywood dans la "guerre contre le terrorisme". Comme conséquence directe de ces réunions, le Congrès a demandé conseil aux professionnels d’Hollywood sur la manière de façonner un message efficace en temps de guerre à l’attention de l’Amérique et du monde. […] »
« L’imbrication d’Hollywood avec les services chargés de la sécurité nationale reste plus étroite que jamais : l’ex-agent de la CIA Robert Baer nous a dit, "Il y a une symbiose entre la CIA et Hollywood" et il a révélé que l’ancien directeur de la CIA, George Tenet, était actuellement "à Hollywood, en train de parler aux studios." Les affirmations de Baer sont étayées par les réunions de Sun Valley, des rencontres annuelles qui ont lieu dans l’Idaho et qui regroupent plusieurs centaines des plus grands noms des médias américains – y compris les principaux exécutifs des studios hollywoodiens – rassemblés pour discuter de la stratégie collective des médias pour l’année à venir. Dans le cadre idyllique des vastes parcours de golf, des forêts de sapins et des lacs de pêche en eau claire, des transactions sont menées à terme, des contrats sont signés, et la physionomie des médias américains est ainsi tranquillement transformée. La presse n’a pas encore reçu la permission de rendre compte de ces rencontres entre les grands médias et la nature exacte de ce qui est abordé à cette occasion n’a jamais été rendue publique. On sait, cependant, que Tenet était conférencier d’honneur à Sun Valley en 2003 (tout en étant à la tête de la CIA) et de nouveau en 2005. […] »
Du fait de sa nature souterraine, la CIA est une administration qui échappe au contrôle politique des citoyens tel qu’il peut être exercé au sein de l’appareil démocratique américain. À partir de ce constat, les dérives permettant l’instrumentalisation des médias et de l’industrie cinématographique à des fins propagandistes ne sont guère surprenantes. Chacun aura d’ailleurs noté que malgré la popularité des thèses alternatives à la version officielle sur le 11 Septembre, jamais Hollywood n’a pu à ce jour mettre en image un récit qui se démarque véritablement de celui livré en 2001 par l’administration Bush [9]. Comme le remarquent Alford et Graham, il est effectivement pertinent de se référer à l’analyse de Peter Dale Scott au sujet de « l’État profond » tel que cet auteur le définit dans ses derniers ouvrages et articles, pour comprendre comment la puissance monstrueuse de la CIA a pu s’enraciner au sein d’un pays comme les États-Unis.
Avant la chute du Mur de Berlin, ces actions criminelles de la CIA pouvaient être jugées par l’opinion occidentale comme un mal plus ou moins nécessaire dans le cadre de la Guerre froide opposant l’Est et l’Ouest. Et l’on constate qu’effectivement, les crimes de l’agence étaient alors envisagés avec un certain pragmatisme teinté d’indulgence et de fatalisme. L’effondrement de l’URSS a bouleversé la donne et cependant la CIA et l’ensemble des agences américaines ont gardé une place prépondérante dans le fonctionnement global de l’appareil d’État américain, et ce pouvoir qui échappe totalement à l’emprise citoyenne s’est considérablement renforcé après la tragédie du 11 Septembre. Il eut été intéressant que Zero Dark Thirty traite un tant soit peu de cette dimension, de l’opacité qu’elle suppose et des dérives meurtrières qui ont marqué l’histoire de la CIA afin de remettre dans une juste perspective le sujet que le film est sensé traiter.
James Gandolfini : de la mafia (Tony Soprano) à la CIA (Leon Panetta)
A défaut, Zero Dark Thirty constitue une formidable campagne de communication au bénéfice de l’Agence. A noter que le film réserve tout de même une allusion sur le caractère criminel et illégal des activités de la CIA dans le choix de casting retenu par la production pour interpréter Leon Panetta alors directeur de la CIA. Le rôle est tenu par James Gandolfini avant tout connu pour son interprétation de Tony Soprano, le parrain d’une organisation mafieuse dans la célèbre série télévisée Les Sopranos. Voilà qui est bien à l’image de la roublardise des producteurs de Zero Dark Thirty, car quelle que soit l’ambivalence du propos que développe le film, ce choix de casting renforce finalement le sentiment de sympathie du spectateur à l’égard de la CIA.
[3] Barack Obama est le premier président à reconnaître l’implication de son gouvernement et à s’en excuser dans un discours adressé à la communauté musulmane le 4 juin 2009.
[10] L’intervention de John Stockwell est extraite ici du documentaire édifiant de Scott Noble intitulé Les principes du pouvoir (documentaire en trois parties) :
7 Responses to “Zero Dark Thirty : un masque de beauté sur les horreurs de la CIA (2/3)”
citroon
Encore une fois un grand bravo pour cette analyse signée Lalo Vespera !
Simple, clair, précis, sans détour… et « béton » comme d’hab’
J’aime beaucoup en particulier l’encadré sur « Le paravent de la polémique sur la torture »…
Tout cela n’étant évidemment rendu possible que grâce au méga-écran-de-fumée me(r)diatique qui distribue les étoiles… et qui, si on leur demande, nous disent que c’est pas du tout une position « politique » mais tout simplement une position « commerciale » pour vendre leur produit… comme si c’était une position d’une plus grande dignité.
Et pareillement, dans ce domaine médiatique précis, pas plus de respect pour France-Inter que pour Canal+ :
Les uns ne parlant qu’à sens unique, sans mot dire sur les sales ambitions impérialistes de l’état le plus meurtrier de la planète (tout à fait comparable au IIIe Reich Nazi sur ce plan, comme le dit William Blum dans son bouquin Killing Hope)…
les autres s’en mettant plein les poches en ne promouvant qu’un monde ultra-libéral à côté duquel Berlusconi lui-même paraît d’une vulgarité toute relative.
49 millions de pauvres aux Etats-Unis, plus de 12 millions de chômeurs (officiellement…) près de 90 millions d’obèses sur une population de 300 millions (Wikipédia) et les conséquences immenses sur la santé qui vont en découler.
Grand merci à Lalo Vespera pour ce bon travail d’analyse. J’ai lu dernièrement un livre bien documenté du prof Jean Michel VALENTIN sur la permanence et la richesse des liens noués depuis au moins 1947 entre « Hollywood, le Pentagone et Washington » (cf. le titre du livre : http://www.amazon.fr/Hollywood-Pentagone-Washington-Jean-Michel-Valentin/dp/2746703793.
Le 11 septembre n’a pas modifié la donne et l’administration US a simplement si j’ose dire continué à solliciter et à soutenir Hollywood afin que soient produits des films dits « de sécurité nationale » véhiculant les « bons » messages et la « bonne » idéologie selon les impératifs du moment.
Il est vraiment fâcheux que la plupart de nos critiques de cinéma évitent soigneusement d’aborder ces choses là et qu’ils se contentent de commenter et critiquer ces films en surfant sur les infos du dossier de presse qui leur a été obligeamment remis.
Encore bravo pour ce beau travail !!
Un incroyable exemple de propagande où Pentagone et Hollywood fusionnent nous est donné par la mise en scène du « sauvetage » de la soldate Jessica Lynch :
« On se souvient que, début avril 2003, les grands médias américains diffusèrent avec un luxe impressionnant de détails son histoire. Jessica Lynch faisait partie des dix soldats américains capturés par les forces irakiennes. Tombée dans une embuscade le 23 mars, elle avait résisté jusqu’à la fin, tirant sur ses attaquants jusqu’à épuiser ses munitions. Elle fut finalement blessée par balle, poignardée, ficelée et conduite dans un hôpital en territoire ennemi, à Nassiriya. Là, elle fut battue et maltraitée par un officier irakien. Une semaine plus tard, des unités d’élite américaines parvenaient à la libérer au cours d’une opération surprise. Malgré la résistance des gardes irakiens, les commandos parvinrent à pénétrer dans l’hôpital, à s’emparer de Jessica et à la ramener en hélicoptère au Koweït.
Le soir même, le président Bush annonça à la nation, depuis la Maison Blanche, la libération de Jessica Lynch. Huit jours plus tard, le Pentagone remettait aux médias une bande vidéo tournée pendant l’exploit avec des scènes dignes des meilleurs films de guerre.
Mais le conflit d’Irak s’acheva le 9 avril, et un certain nombre de journalistes – en particulier ceux du Los Angeles Times, du Toronto Star, d’El País et de la chaîne BBC World – se rendirent à Nassiriya pour vérifier la version du Pentagone sur la libération de Jessica. Ils allaient tomber de haut. Selon leur enquête auprès des médecins irakiens qui avaient soigné la jeune fille – et confirmée par les docteurs américains l’ayant auscultée après sa délivrance -, les blessures de Jessica (une jambe et un bras fracturés, une cheville déboîtée) n’étaient pas dues à des tirs d’armes à feu, mais simplement provoquées par l’accident du camion dans lequel elle voyageait… Elle n’avait pas non plus été maltraitée. Au contraire, les médecins avaient tout fait pour bien la soigner : « Elle avait perdu beaucoup de sang, a raconté le docteur Saad Abdul Razak, et nous avons dû lui faire une transfusion. Heureusement des membres de ma famille ont le même groupe sanguin qu’elle : O positif. Et nous avons pu obtenir du sang en quantité suffisante. Son pouls battait à 140 quand elle est arrivée ici. Je pense que nous lui avons sauvé la vie 16. »
En assumant des risques insensés, ces médecins tentèrent de prendre contact avec l’armée américaine pour lui restituer Jessica. Deux jours avant l’intervention des commandos spéciaux, ils avaient même conduit en ambulance leur patiente à proximité des lignes américaines. Mais les Américains ouvrirent le feu sur eux et faillirent tuer leur propre héroïne…
L’arrivée avant le lever du jour, le 2 avril, des commandos spéciaux équipés d’une impressionnante panoplie d’armes sophistiquées surprit le personnel de l’hôpital. Depuis deux jours, les médecins avaient informé les forces américaines que l’armée irakienne s’était retirée et que Jessica les attendait…
Le docteur Anmar Ouday a raconté la scène à John Kampfner de la BBC : « C’était comme dans un film de Hollywood. Il n’y avait aucun soldat irakien, mais les forces spéciales américaines faisaient usage de leurs armes. Ils tiraient à blanc et on entendait des explosions. Ils criaient : « Go ! Go ! Go ! » L’attaque contre l’hôpital, c’était une sorte de show, ou un film d’action avec Sylvester Stallone17. »
Les scènes furent enregistrées avec une caméra à vision nocturne par un ancien assistant de Ridley Scott dans le film La Chute du faucon noir (2001). Selon Robert Scheer, du Los Angeles Times, ces images furent ensuite envoyées, pour montage, au commandement central de l’armée américaine, au Qatar, et une fois supervisées par le Pentagone, diffusées dans le monde entier18.
L’histoire de la libération de Jessica Lynch restera dans les annales de la propagande de guerre. Aux Etats-Unis, elle sera peut-être considérée comme le moment le plus héroïque de ce conflit. Même s’il est prouvé qu’il s’agit d’une invention aussi fausse que les « armes de destruction massive » détenues par M. Saddam Hussein ou que les liens entre l’ancien régime irakien et Al-Qaida. »
Encore une fois un grand bravo pour cette analyse signée Lalo Vespera !
Simple, clair, précis, sans détour… et « béton » comme d’hab’
J’aime beaucoup en particulier l’encadré sur « Le paravent de la polémique sur la torture »…
Tout cela n’étant évidemment rendu possible que grâce au méga-écran-de-fumée me(r)diatique qui distribue les étoiles… et qui, si on leur demande, nous disent que c’est pas du tout une position « politique » mais tout simplement une position « commerciale » pour vendre leur produit… comme si c’était une position d’une plus grande dignité.
Et pareillement, dans ce domaine médiatique précis, pas plus de respect pour France-Inter que pour Canal+ :
Les uns ne parlant qu’à sens unique, sans mot dire sur les sales ambitions impérialistes de l’état le plus meurtrier de la planète (tout à fait comparable au IIIe Reich Nazi sur ce plan, comme le dit William Blum dans son bouquin Killing Hope)…
les autres s’en mettant plein les poches en ne promouvant qu’un monde ultra-libéral à côté duquel Berlusconi lui-même paraît d’une vulgarité toute relative.
Très bon texte.Merci.
2013-03-04
UN demands prosecution of Bush-era CIA crimes
http://rt.com/usa/un-crime-cia-bush-804/
Des arguments d’une répugnance fétide, sous la beauté captivante de Jessica Chastain >> Une excellente recette pour faire gober un mensonge d’état.
Mais en ce qui me concerne, la coupe est pleine.
Coût estimé de la guerre d’Irak :
-770 milliards de dollars pour le Pentagone, 4000 milliards de dollars selon Linda Bilmes
http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2011/12/18/04016-20111218ARTFIG00128-irak-la-guerre-coutera-encore-beaucoup-aux-etats-unis.php
Coût estimé de la guerre d’Afghanistan :
-2 milliards de dollars par semaine et 386 milliards déjà dépensés
http://www.news26.tv/politique/579-guerre-en-afghanistan-les-usa-ne-peuvent-plus-payer.html
49 millions de pauvres aux Etats-Unis, plus de 12 millions de chômeurs (officiellement…) près de 90 millions d’obèses sur une population de 300 millions (Wikipédia) et les conséquences immenses sur la santé qui vont en découler.
Enfin, le risque de 85 milliards de coupes budgétaires automatiques
http://www.francetvinfo.fr/austerite-barack-obama-rejette-la-faute-sur-les-republicains_272233.html
Le système qui a érigé la cupidité en principe, pourra-t-il masquer tout cela en emmenant les gens au cinéma ?
Grand merci à Lalo Vespera pour ce bon travail d’analyse. J’ai lu dernièrement un livre bien documenté du prof Jean Michel VALENTIN sur la permanence et la richesse des liens noués depuis au moins 1947 entre « Hollywood, le Pentagone et Washington » (cf. le titre du livre : http://www.amazon.fr/Hollywood-Pentagone-Washington-Jean-Michel-Valentin/dp/2746703793.
Le 11 septembre n’a pas modifié la donne et l’administration US a simplement si j’ose dire continué à solliciter et à soutenir Hollywood afin que soient produits des films dits « de sécurité nationale » véhiculant les « bons » messages et la « bonne » idéologie selon les impératifs du moment.
Il est vraiment fâcheux que la plupart de nos critiques de cinéma évitent soigneusement d’aborder ces choses là et qu’ils se contentent de commenter et critiquer ces films en surfant sur les infos du dossier de presse qui leur a été obligeamment remis.
Encore bravo pour ce beau travail !!
Un incroyable exemple de propagande où Pentagone et Hollywood fusionnent nous est donné par la mise en scène du « sauvetage » de la soldate Jessica Lynch :
« On se souvient que, début avril 2003, les grands médias américains diffusèrent avec un luxe impressionnant de détails son histoire. Jessica Lynch faisait partie des dix soldats américains capturés par les forces irakiennes. Tombée dans une embuscade le 23 mars, elle avait résisté jusqu’à la fin, tirant sur ses attaquants jusqu’à épuiser ses munitions. Elle fut finalement blessée par balle, poignardée, ficelée et conduite dans un hôpital en territoire ennemi, à Nassiriya. Là, elle fut battue et maltraitée par un officier irakien. Une semaine plus tard, des unités d’élite américaines parvenaient à la libérer au cours d’une opération surprise. Malgré la résistance des gardes irakiens, les commandos parvinrent à pénétrer dans l’hôpital, à s’emparer de Jessica et à la ramener en hélicoptère au Koweït.
Le soir même, le président Bush annonça à la nation, depuis la Maison Blanche, la libération de Jessica Lynch. Huit jours plus tard, le Pentagone remettait aux médias une bande vidéo tournée pendant l’exploit avec des scènes dignes des meilleurs films de guerre.
Mais le conflit d’Irak s’acheva le 9 avril, et un certain nombre de journalistes – en particulier ceux du Los Angeles Times, du Toronto Star, d’El País et de la chaîne BBC World – se rendirent à Nassiriya pour vérifier la version du Pentagone sur la libération de Jessica. Ils allaient tomber de haut. Selon leur enquête auprès des médecins irakiens qui avaient soigné la jeune fille – et confirmée par les docteurs américains l’ayant auscultée après sa délivrance -, les blessures de Jessica (une jambe et un bras fracturés, une cheville déboîtée) n’étaient pas dues à des tirs d’armes à feu, mais simplement provoquées par l’accident du camion dans lequel elle voyageait… Elle n’avait pas non plus été maltraitée. Au contraire, les médecins avaient tout fait pour bien la soigner : « Elle avait perdu beaucoup de sang, a raconté le docteur Saad Abdul Razak, et nous avons dû lui faire une transfusion. Heureusement des membres de ma famille ont le même groupe sanguin qu’elle : O positif. Et nous avons pu obtenir du sang en quantité suffisante. Son pouls battait à 140 quand elle est arrivée ici. Je pense que nous lui avons sauvé la vie 16. »
En assumant des risques insensés, ces médecins tentèrent de prendre contact avec l’armée américaine pour lui restituer Jessica. Deux jours avant l’intervention des commandos spéciaux, ils avaient même conduit en ambulance leur patiente à proximité des lignes américaines. Mais les Américains ouvrirent le feu sur eux et faillirent tuer leur propre héroïne…
L’arrivée avant le lever du jour, le 2 avril, des commandos spéciaux équipés d’une impressionnante panoplie d’armes sophistiquées surprit le personnel de l’hôpital. Depuis deux jours, les médecins avaient informé les forces américaines que l’armée irakienne s’était retirée et que Jessica les attendait…
Le docteur Anmar Ouday a raconté la scène à John Kampfner de la BBC : « C’était comme dans un film de Hollywood. Il n’y avait aucun soldat irakien, mais les forces spéciales américaines faisaient usage de leurs armes. Ils tiraient à blanc et on entendait des explosions. Ils criaient : « Go ! Go ! Go ! » L’attaque contre l’hôpital, c’était une sorte de show, ou un film d’action avec Sylvester Stallone17. »
Les scènes furent enregistrées avec une caméra à vision nocturne par un ancien assistant de Ridley Scott dans le film La Chute du faucon noir (2001). Selon Robert Scheer, du Los Angeles Times, ces images furent ensuite envoyées, pour montage, au commandement central de l’armée américaine, au Qatar, et une fois supervisées par le Pentagone, diffusées dans le monde entier18.
L’histoire de la libération de Jessica Lynch restera dans les annales de la propagande de guerre. Aux Etats-Unis, elle sera peut-être considérée comme le moment le plus héroïque de ce conflit. Même s’il est prouvé qu’il s’agit d’une invention aussi fausse que les « armes de destruction massive » détenues par M. Saddam Hussein ou que les liens entre l’ancien régime irakien et Al-Qaida. »
http://www.reopen911.info/News/2012/06/18/propagande-des-couveuses-en-irak-aux-massacres-en-syrie/
Toutes les beautés du monde n’effaceront pas les 9 MILLIONS de morts des guerres en proche-orient. (Et qui ont servi à quoi, déjà ?)