La Parenthèse enchantée (4/11) : Collusion au sommet du pouvoir

Une fois refermée la parenthèse enchantée du 11-Septembre durant laquelle l’action vertueuse et la sincérité de l’exécutif américain sont incontestables du point de vue des auteurs et des partisans de la version officielle sur cet événement, il est unanimement reconnu que l’invasion de l’Irak a été échafaudée sur une salve de mensonges rabâchés entre le printemps 2002 et l’été 2003 par ce même exécutif.

Mais si la duplicité de cette manœuvre guerrière a finalement éclaté au grand jour, elle est loin de représenter le seul effondrement démocratique lié à ce conflit pour le moins illégitime. En effet, il est tout aussi avéré que plusieurs sociétés en lien direct avec le gouvernement des États-Unis ont engrangé de gigantesques profits par le biais de la guerre en Irak. Parmi ces sociétés, Carlyle et Halliburton ont la particularité d’impliquer le sommet de l’exécutif étasunien, à savoir le Président George W. Bush et le Vice-président Dick Cheney. Et à ce titre, elles sont représentatives d’une collusion ostensible qui s’est banalisée à partir du 11-Septembre, devenant une "seconde nature" du fonctionnement étatique américain et qui, à force de récidives, ne semble plus choquer outre mesure au sein des institutions de ce pays. Et pourtant, d’un point de vue démocratique et citoyen, en quoi cela peut-il être salutaire que le pouvoir exécutif de la première puissance mondiale se subordonne ainsi – et de si bonne grâce – à l’économie de marché, et plus spécifiquement à une économie de guerre ?

 

 
 Le Président George W. Bush et le Vice-président Dick Cheney
 

 


Collusion au sommet du pouvoir

Chaque semaine cet été, jusqu’au mardi 11 septembre 2012, ReOpen911 publie un extrait du livre de Lalo Vespera, La Parenthèse enchantée (à paraitre en 2013).

Article précédent : False Flag Civilization

 

« Dans les services du gouvernement, nous devons nous prémunir contre l’influence non justifiée, qu’elle soit voulue ou non, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque d’un accroissement désastreux des abus de pouvoir existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de ce complexe mettre en danger nos libertés ou nos processus démocratiques. »
Dwight Eisenhower, Président des États-Unis. Extrait de son discours d’adieu, janvier 1961.
 

 

L’argent organisé : Carlyle et la famille Bush

Carlyle est un géant des fonds d’investissement, le premier aux États-Unis. Ce groupe gère le capital de ses clients en l’investissant dans des activités particulièrement rentables de secteurs ciblés (aérospatiale, défense, énergie, santé, immobilier, médias, etc.). Par ailleurs, Carlyle, dont le siège est à Washington D.C., est un groupe étroitement lié avec de nombreux responsables politiques de premier ordre, aux USA comme à l’étranger.

En 2001, le directeur de Carlyle est le puissant Frank Carlucci, alter ego et ami proche de Donald Rumsfeld. En effet, depuis ses études à Princeton, le parcours de Frank Carlucci est parallèle à celui du secrétaire à la Défense de George W. Bush. Carlucci fera de son côté une carrière édifiante à la CIA, jalonnée de coups tordus sur le continent africain, et deviendra finalement, sous Carter, le numéro deux de l’agence de renseignement. Comme son ami, il dirigera le Pentagone et comme lui, il saura tirer profit de ses connexions en politique pour accomplir de belles acrobaties lucratives dans le monde des affaires, entre autres en dirigeant le groupe Carlyle de 1989 à 2005 [1].

 
Frank Carlucci (à droite) ici en compagnie de
Henry Kissinger, Madeleine Albright et Condoleezza Rice (2008)
 

La société Carlyle est née dans les années 1980 durant lesquelles elle a connu des débuts chaotiques, mais c’est en travaillant ses soutiens politiques que le groupe est devenu très rentable, en particulier à l’arrivée de Carlucci. Carlyle se spécialise alors dans la prise de contrôle de sociétés d’armement. Et en 2001, l’industrie de la défense est au cœur des activités du fonds d’investissement. Carlyle est alors (en volume financier sur la période 1998-2003) au neuvième rang des sociétés sous contrat avec le Pentagone pour un total de plus de 9 milliards de dollars [2].

En 2001, le groupe va tirer d’importants profits des conséquences directes du 11-Septembre grâce à sa multitude de sociétés spécialisées, par exemple dans le nettoyage des sites menacés par l’anthrax ou dans la vérification des antécédents d’employés d’entreprises ou d’administrations pour s’assurer qu’ils ne présentent aucun lien avec de quelconques activités terroristes, ainsi que le détaille The Observer [3]. Et emporté dans une logique mercantile et arrogante, Carlyle n’hésite pas à faire valoir sa réussite commerciale en corrélation avec le nouvel enjeu militaire qui fait suite aux attaques de 2001. En effet, le fonds d’investissement, en 1997, avait fait l’acquisition de United Defense, une entreprise d’armement en sous-performance à l’époque et qui était restée très peu rentable jusqu’au 11-Septembre. A la suite des attentats, les budgets de la Défense américaine décollent et la valeur de United Defense monte en flèche. Le groupe revend alors ses parts, et Chris Ullman, le porte-parole de Carlyle, déclare à propos de cette opération : « C’était un des meilleurs investissements de Carlyle. Nous avons fait gagner plus d’un milliard de dollars sur cette affaire, et nous sommes très heureux de servir correctement nos investisseurs. » [4] 

Mais au-delà même de l’arrogance de ses communicants, il est pertinent de se demander si cette réussite commerciale de Carlyle est due au seul talent de ses dirigeants et à leur flair d’investisseur, et par quel prodige ce flair est la seule faculté qui a permis au fonds d’investissement de miser sur des entreprises qui se trouveront exactement au cœur des activités économiques relancées par le choc du 11-Septembre. Posons peut-être la question différemment : est-il légitime de supposer que ces dirigeants aient pu bénéficier de contacts décisifs et d’informations exclusives, voire préalables, favorisant leur commerce ?

Il s’avère que par une de ces coïncidences qui saturent cette journée originale dans les archives de l’Histoire, alors que le premier avion percutait le World Trade Center le matin du 11 septembre 2001, Carlyle tenait à l’hôtel Ritz-Carlton de Washington sa conférence annuelle des investisseurs, réunissant d’anciens chefs d’État occidentaux, des experts de la défense et quelques fortunes du Moyen-Orient. Comme le relate le Times [5], parmi les invités de Frank Carlucci figuraient, entre autres, George H.W. Bush, le père du Président américain de l’époque, et Shafig Ben Laden, le frère d’Oussama Ben Laden, bientôt la figure terroriste la plus recherchée de l’histoire des États-Unis. Or huit jours plus tard, Shafig Ben Laden fera partie des treize membres de la famille Ben Laden bénéficiant, dans des conditions déconcertantes, d’un vol spécial pour quitter le sol américain, selon, entre autres, les informations du Washington Post, informations qui ne seront jamais démenties [6].

 
L’entrée de l’hôtel Ritz-Carlton Washington
 

Le 27 septembre 2001, le Wall Street Journal [7] révèle en détail comment Carlyle gère conjointement l’argent des familles Bush et Ben Laden depuis un bon nombre d’années : « Par le biais de cet investissement [dans Carlyle] et de ses liens avec la royauté saoudienne, la famille Ben Laden a fait connaissance avec certains des plus grands noms du parti républicain. Ces dernières années, l’ancien Président Bush, l’ex-secrétaire d’État James Baker et l’ex-secrétaire à la Défense Frank Carlucci, ont fait le pèlerinage au siège de la famille Ben Laden à Djeddah. » Et le journal rapporte des propos selon lesquels « il n’existe pas société plus étroitement liée aux États-Unis et à leur présence en Arabie Saoudite que le groupe Ben Laden. » Sur l’instant, ces informations stupéfiantes choquent les Américains et embarrassent l’exécutif. Mais la terreur de l’Anthrax a bien des vertus. La menace immédiate conditionne les esprits, et l’administration parvient à noyer le poisson.

Le 25 mars 2002, à la suite de nouvelles révélations du Los Angeles Times, la représentante démocrate du Congrès américain, Cynthia McKinney, déplore : « Des personnes proches du gouvernement sont en passe de faire d’énormes profits à partir de la nouvelle guerre que mène l’Amérique. L’ancien Président Bush est membre du conseil du groupe Carlyle. Le Los Angeles Times rapporte que sur un seul jour le mois dernier, Carlyle a obtenu 237 millions de dollars en vendant des actions United Defense Industries. » [8] Mais alors que se prépare la guerre en Irak, les républicains font bloc pour défendre Bush senior et accusent violemment Cynthia McKinney d’antipatriotisme. Ainsi, dans le concert des bruits de bottes, cette affaire sera elle aussi étouffée.

 

Profiteurs de guerre

  
 
Halliburton, KBR et Dick Cheney
 
Halliburton est une entreprise dite "parapétrolière", une multinationale qui fournit des services aux entreprises d’exploitation du pétrole. Le groupe emploie plus de 50 000 personnes à travers le monde et s’est notamment développé dans les secteurs des forages pétroliers profonds et de l’exploitation du gaz de schiste.
 
KBR (Kellogg, Brown and Root) était jusqu’en 2007, une filiale d’Halliburton, spécialisée dans la construction de raffineries, l’exploitation de champs pétroliers et les pipelines [9].
 
Dick Cheney a été président d’Halliburton de 1995 jusqu’à la campagne électorale avec Bush en 2000. Jouant à fond les atouts du positionnement exceptionnel de Dick Cheney, la compagnie est devenue la première mondiale de son secteur.
 
 
 

Très courant aux États-Unis, le “revolving door” (porte tournante) est le principe qui consiste, tout au long d’une carrière, à faire des allers-retours entre différents postes de responsable politique et des fonctions dirigeantes dans les milieux d’affaires.

 
 
 Dick Cheney, secrétaire à la Défense de 1989 à 1993,
accompagne George Bush senior en visite en Arabie Saoudite.
 

Tout comme Donald Rumsfeld ou Frank Carlucci, Dick Cheney est un as de cette gymnastique. De 1989 à début 1993, sous l’administration Bush père, il est à la tête du Pentagone et en première ligne durant la guerre du Koweït (1990-1991) qui déloge Saddam Hussein de ce petit État, grand producteur de pétrole. En 1995, il est engagé pour diriger le géant des services pétroliers Halliburton, jusqu’en août 2000. Il quitte alors l’entreprise et rejoint Bush fils en campagne électorale, empochant personnellement, lors de son départ, 35 millions de dollars [10]. En janvier 2001, Dick Cheney prend ses fonctions de Vice-président, pour deux mandats, à savoir huit ans au sommet de l’exécutif américain.

À partir de cette date, les perspectives commerciales d’Halliburton s’ouvrent en grand sur le marché des services pétroliers, et les contrats se multiplient à travers la planète pour l’entreprise et sa filiale KBR : Algérie, Egypte, Pérou, Arabie Saoudite, avec des montants de plusieurs milliards de dollars [9].

En 2003, avec l’invasion de l’Irak, l’activité commerciale d’Halliburton prend encore de l’essor grâce aux contrats signés avec le Pentagone. La même filiale KBR s’accorde avec le gouvernement pour éteindre les puits de pétrole incendiés sur le territoire irakien, et pour rétablir l’industrie pétrolière. Selon le magazine Forbes, aucune autre société n’a été consultée pour ce contrat qui porte sur des dizaines de millions de dollars. Le Center for Public Integrity indique pour sa part que la valeur totale des contrats d’Halliburton avec le Département de la Défense s’élève sur l’année 2003 à 4,3 milliards de dollars, soit près de neuf fois le montant de l’année précédente :

 
 
Progression des contrats d’Halliburton
avec le Pentagone entre 1998 et 2003 [11]
 

En 2002, le Washington Post révèle que des années plus tôt, à l’époque où il était lui-même à la tête du Pentagone, Dick Cheney avait embauché cette même filiale d’Halliburton, KBR, pour mettre en œuvre un plan d’externalisation des opérations militaires vers des entrepreneurs privés. Quelques temps plus tard, en 1995, Cheney devenait PDG du groupe.

Par ailleurs, un rapport publié la même année par le Congressional Research Service démontre que, contrairement à ce qu’il a toujours affirmé, Cheney bénéficie encore d’un arrangement financier avec Halliburton. En effet, il continue à percevoir une rémunération de l’entreprise et conserve aussi des stock-options, en parallèle avec l’exercice de la vice-présidence [12]. En réponse à toutes ces révélations, la porte-parole de Dick Cheney, Cathie Martin, rétorque en toute simplicité que la question est de savoir si le Vice-président a un éventuel conflit d’intérêts avec Halliburton, et selon elle : « la réponse à cette question est non ». Les faits ne soutiennent guère cette position de principe.

Le documentaire de Robert Greenwald "Irak à vendre, les profiteurs de guerre" détaille le quotidien des soldats présents en Irak, soumis aux exigences commerciales des puissantes sociétés prestataires sous contrat avec le Pentagone. Les témoignages sont éloquents, parfois terrifiants. Ils racontent comment les militaires sont incités au gaspillage, voire à la destruction des équipements (véhicules, installations, fournitures) afin de gonfler les carnets de commande d’Halliburton. Le film relate les tristes mensonges qui permettent à l’entreprise de faire du profit en compromettant la santé des soldats, et plus ordinairement, l’exploitation commerciale outrancière des moindres besoins logistiques, en toute impunité, sur cette zone de non droit qu’est l’Irak occupé, après 2003.

  

Le documentaire “Iraq for Sale” [13] 
 

En 2005, le Vice-président et son épouse Lynne Cheney déclareront un revenu brut de 8,82 millions de dollars, en grande partie le résultat de la levée d’options sur les actions Halliburton qui avaient été mises de côté en 2001 [14]. Nous noterons par ailleurs que Lynne Cheney a été, de 1994 à 2001, administratrice du premier fournisseur en armement du Pentagone, Lockheed Martin, dont elle a quitté la direction quelques jours seulement avant que son mari n’entre en fonction [15]. Elle restera cependant membre influent de l’American Enterprise Institute (AEI – Institut Américain de l’Entreprise), un think tank néoconservateur, porte-voix du patronat en faveur de l’impérialisme économique. L’AEI est aussi à l’initiative du PNAC, le groupuscule néoconservateur qui a rédigé le programme de la présidence Bush. Par le biais de l’AEI, Lynne Cheney sera en mesure de proposer de nouveaux collaborateurs au Pentagone dans le cadre de la restructuration des services du DoD visant à favoriser la préparation de la guerre en Irak [16].

 
Restructuration du Pentagone en vue de la guerre en Irak [16] 

  

 
Le cas Unocal en questions
Extrait de l’article "Le 11 Septembre en Questions" par Guillaume de Rouville [17] 
 
Les attentats du 11 Septembre n’ont-ils pas été une formidable aubaine pour la société pétrolière et gazière américaine Unocal qui négociait, sans succès, depuis de nombreuses années avec les Talibans la création d’un pipeline gazier devant traverser l’Afghanistan ? L’envoyé spécial, Zalmay Khalilzad, détaché par l’administration Bush auprès du gouvernement afghan pour représenter Washington, n’est-il pas un ancien cadre d’Unocal ? Le Président afghan, Hamid Karzaï, nommé par Washington à l’issue de la guerre, n’était-il pas lui aussi un ancien employé d’Unocal ? (l’Afghanistan, le Turkmenistan et le Pakistan ont signé en décembre 2002 un accord de coopération prévoyant la construction du pipeline tant espéré. La société Unocal prétend aujourd’hui ne plus être intéressée par le projet) [18].
 
Henry Kissinger, choisi par Bush pour présider la commission d’enquête du Congrès américain sur les attentats du 11 Septembre, n’était-il pas l’un des consultants choisis par la société Unocal pour lui permettre de faire avancer le projet de pipeline en Afghanistan ? (devant le tollé que suscita sa nomination, Henry Kissinger dû décliner l’offre de présider la commision d’enquête) [19].
 
Qui a commandité l’assassinat du Commandant Massoud, tué deux jours avant les attentats du 11 Septembre ? Le commandant Massoud n’était-il pas un opposant déclaré de la présence américaine dans son pays ?
 
Pourquoi l’administration américaine a-t-elle soutenu le régime Taliban, au moins jusqu’en 2000, en lui fournissant, à travers le canal des services secrets pakistanais (l’ISI), financement et armes pour lutter, notamment, contre l’Alliance du Nord du Commandant Massoud ? [20] N’était-ce pas parce que l’administration américaine voyait dans le régime Taliban, le seul mouvement politique structuré capable de stabiliser la région et de permettre la réalisation du projet pétrolier d’Unocal ?
 
 
 
 

L’alliance entre néoconservateurs et marchands d’armes

 
Lockheed Martin est en 2001 le premier industriel mondial de l’armement et le premier fournisseur du Pentagone [1]. Très tôt après le 11-Septembre, le groupe engage une importante campagne de lobbying en faveur d’une attaque de l’Irak, et se donne les moyens de prendre appui sur des acteurs majeurs de l’appareil d’État américain. Mais par quelle méthode ?

Au départ des années 1990, les entreprises du secteur de la défense sont contraintes dans leur développement par la stagnation des budgets militaires qui résulte de la fin de la guerre froide. Dès 1993, Lockheed Martin débauche des bureaux de la banque d’investissements Lehman Brothers un certain Bruce Jackson [2], ancien conseiller au Pentagone et ex-officier du renseignement militaire. Le numéro un de l’armement promet à Bruce Jackson une place de choix au sein de sa direction et lui attribue pour mission de fournir à la firme de nouveaux débouchés pour remplir ses carnets de commande, en particulier en Europe centrale et orientale où, après l’effondrement du bloc soviétique, nombre d’États viennent grossir les rangs de l’OTAN [3].

Bruce Jackson créera tout d’abord, au cœur des mandats démocrates de Bill Clinton, une série de groupes d’influence néoconservateurs qui feront efficacement levier sur diverses instances publiques et militaires, américaines ou internationales, à commencer par l’OTAN et le Congrès des États-Unis.

Jackson est un membre très actif du Parti Républicain (en 1996, il est coresponsable des finances de la campagne présidentielle de Bob Dole). Et en lien étroit avec les intérêts politiques de son camp, il fonde pour commencer le "Comité Américain pour l’Elargissement de l’OTAN" (renommé ensuite USCN pour U.S. Committee on NATO). La devise en résume assez bien l’ambition : « Renforcer l’Amérique. Fixer l’Europe. Défendre les valeurs. Développer l’OTAN. ». Notons que l’on trouve d’ores et déjà dans ce comité les idéologues exaltés de la guerre d’Irak, Paul Wolfowitz et Richard Perle. Et pour encadrer encore davantage ces nations sorties du giron de Moscou, le lobbyiste de Lockheed Martin crée également le "Projet sur les Démocraties en Transition" (PTD) avec le prétexte de promouvoir les réformes démocratiques dans les pays issus de l’ancien bloc soviétique [4].

Les groupes d’influence initiés par Bruce Jackson jouent un rôle de premier plan en 1997 pour presser le Congrès des États-Unis d’avaliser la future intégration de la Pologne, la Hongrie et la République Tchèque au sein de l’OTAN tout en fournissant des garanties de prêts à ces nouveaux arrivants sans ressource afin qu’ils soient en mesure d’acheter de nouveaux armements aux principaux fournisseurs américains. Puis, quelques temps plus tard, le comité œuvre à l’identique avec les "Dix de Vilnius" : Roumanie, Bulgarie, Slovaquie, Slovénie, Croatie, Albanie, la Macédoine et les trois États Baltes. Mais à l’occasion de la campagne des États-Unis pour gagner le soutien de l’Europe en vue de l’intervention programmée en Irak, les pressions stratégiques du comité sur les "Dix de Vilnius" sont mises en lumière et le chantage financier du comité, exposé au grand jour, provoque la colère de la "vieille Europe". Jackson confiera plus tard au Financial Times : « L’idée était de briser le monopole franco-allemand sur l’élaboration de la politique étrangère européenne… Si la France et l’Allemagne pouvaient dire aux autres Européens ce qu’il est bon de faire, nous pouvions faire la même chose. » [5]. Du point de vue de Lockheed Martin, la révélation des pratiques dévoyées de ses émissaires relève de l’anecdote, et à la faveur de son palmarès, Bruce Jackson est promu, en 1999, vice-président du leader mondial de l’armement.

 

Date de l’intégration initiale de pays européens au sein de l’OTAN
 

Après le retour des républicains au pouvoir en 2001, puis à la suite du 11-Septembre, la Maison Blanche fait appel à Bruce Jackson : « Nous avons besoin que vous fassiez pour l’Irak ce que vous avez fait pour l’OTAN. » [5] En 2002, Jackson quitte officiellement ses fonctions chez Lockheed Martin et met en place un nouveau comité, cette fois centré sur la cible prioritaire des néoconservateurs, le "Committee for the Liberation of Iraq" (CLI) qui a très simplement pour objectif de vendre la guerre d’Irak à la sphère politique et à l’opinion américaine, mais qui concentre en fait toute sa communication, aux États-Unis comme à l’étranger, sur les vertus de la démocratie libérale qu’il conviendrait d’exporter dans la région du Golfe Persique afin de libérer les populations du régime jugé néfaste de Saddam Hussein et de la menace des armes de destruction massive qu’il est supposé détenir… [6]

Ainsi, il est aisé de comprendre par quel biais l’alliance entre les néoconservateurs et les marchands d’armes permet à ces derniers de servir très efficacement leurs intérêts exclusivement commerciaux, tout en laissant supposer aux instances démocratiques américaines et aux médias que l’intention fondamentale de la dynamique de guerre qu’ils soutiennent est de nature altruiste et vertueuse. Et ils parviennent à ce prodigieux retournement de la raison en usant d’une logique de marketing appliquée à la géopolitique, en fait une nouvelle forme de propagande emballée dans un artifice de rhétorique jouant sur les valeurs démocratiques et humanitaires auxquelles adhèrent massivement les populations occidentales.

Dans un article que lui consacre The American Prospect en 2003, le magazine politique surnomme Bruce Jackson, le « ministre sans portefeuille », et raconte comment les gouvernements étrangers ont une propension à traiter avec Bruce Jackson comme avec un représentant de l’administration des États-Unis. Le mensuel remarque aussi que parmi les "simples" citoyens, hommes d’affaires du privé qui ont une influence déterminante sur les affaires publiques et la politique étrangère américaine, Jackson se distingue comme celui qui traduit à merveille le langage des industriels de l’armement pour le bénéfice des néoconservateurs, et vice versa [5]. 

  

L’avion de chasse F-22 Raptor de Lockheed Martin
 

Effectivement, dans la période cruciale qui précède l’invasion de l’Irak, il est indéniable que l’influence de l’ancien lobbyiste de Lockheed Martin sur l’appareil d’État américain est considérable. Outre les groupes d’influence qu’il a initiés, Bruce Jackson est à la fois conseiller auprès de l’American Enterprise Institute où siège Lynne Cheney, l’épouse du Vice-président, mais aussi conseiller du Centre pour la Politique de Sécurité (CSP pour Center for Security Policy), think tank très influent en partie financé par Lockheed Martin et dont plusieurs membres tels que Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz, Douglas Feith, Richard Perle ou John Bolton ont été nommés à des postes stratégiques de l’administration Bush [7]. Enfin, Jackson rejoint la direction du PNAC dont nous avons déjà observé l’impact décisif sur le destin des États-Unis en amont et en aval du 11-Septembre [8].

Pour finir, il est intéressant de remarquer dans quelles circonstances Bruce Jackson a débuté sa carrière. Affecté au Pentagone dans les années 1980 comme officier du renseignement militaire, il a travaillé sous les ordres de trois faucons notoires que nous retrouverons aux premières loges du pouvoir en 2001 : Richard Perle, Paul Wolfowitz et Dick Cheney alors secrétaire à la Défense sous l’administration Reagan. C’est aussi à cette époque qu’éclata incidemment le scandale de l’Iran-Contra, une opération secrète qui prévoyait la livraison d’armes au régime iranien en contrepartie d’un financement de la guérilla d’extrême droite au Nicaragua, le tout dans le dos du Congrès américain. Le grand déballage qui s’ensuivit mit en lumière une partie des mécanismes profondément corrompus à l’œuvre sous le vernis de la démocratie américaine, et il révéla l’existence du programme de la COG, la Continuité de Gouvernement instaurant une logique de pouvoir échappant à tout contrôle du citoyen américain, et dans lequel était impliqué un des responsables de l’Iran-Contra, Oliver North. Nous reviendrons dans le prochain article sur ce programme dont on apprit ensuite qu’il était en partie orchestré par un groupe extra-gouvernemental parallèle qui incluait deux personnages qui seront aussi au sommet de l’exécutif américain le 11-Septembre : Dick Cheney et Donald Rumsfeld ! 

 
Dick Cheney et Donald Rumsfeld
 

Dans son ouvrage La route vers le nouveau désordre mondial, Peter Dale Scott cite Franklin D. Roosevelt, précisément en exergue de son chapitre sur le rôle joué par le duo Cheney-Rumsfeld durant la présidence de Gerald Ford. Roosevelt a été président des États-Unis de 1933 à 1945, et trois ans après son arrivée au pouvoir, alors qu’il œuvrait pour rétablir l’économie du pays, suite à la crise financière de 1929, Roosevelt déclara : « Nous avons dû lutter avec les vieux ennemis de la paix : le monopole commercial et financier, la spéculation, la pratique bancaire immorale, l’antagonisme des classes, la défense des intérêts particuliers, les profiteurs de guerre. Ils ont commencé à considérer le gouvernement des États-Unis comme un simple appendice de leurs propres affaires. Nous savons maintenant qu’il est tout aussi dangereux d’être gouvernés par l’argent organisé que par le crime organisé. » [9] En 1936, le président des États-Unis luttait contre l’emprise des profiteurs de guerre sur les instances du pouvoir américain. À partir de 2001, ces profiteurs se sont installés au sein même du pouvoir, au sommet de l’exécutif : la présidence et la vice-présidence.

 

Lire l’article suivant : Les bénéfices de la dissimulation

 

Lalo Vespera
La Parenthèse enchantée
Parution du livre en 2013

 


En lien avec cet article

Autres articles extraits de La Parenthèse enchantée :
 
 

Organigramme

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Sources et références

[1] Voltairenet.org "L’honorable Frank Carlucci" par Thierry Meyssan (11 février 2004)
ReOpen911 – 911Blogger "Le 11-Septembre ou le deuxième épisode du film Iran-Contra : Armitage, Carlucci et leurs amis" par Kevin Ryan (8 avril 2012)
 
[2] The Center for Public Integrity – Top Contractors by Dollars (1998 – 2003)
Archive en PDF du tableau de classement des premiers fournisseurs du Pentagone sur la période 1998-2003 : en volume financier, Carlyle est au neuvième rang des sociétés sous contrat avec le DoD, cumulant un total de plus de 9 milliards de dollars.
Cette archive a été sauvegardée à partir du précédent site de The Center for Public Integrity renommé iwatchnews.org qui hélas n’offre désormais qu’une version résumée des précédents contenus :
Voltairenet.org "Le Carlyle Group, une affaire d’initiés" (9 février 2004)
 
[3] The Observer – UK "Bush Sr’s Carlyle Group Gets Fat On War And Conflict" par Jamie Doward (25 mars 2003)
L’article de The Observer détaille entre autres comment Carlyle a tiré d’importants profits des conséquences du 11-Septembre.
 
[4] iWatch News by The Center for Public Integrity "Outsourcing the Pentagon – Investing in War – The Carlyle Group profits from government and conflict" par Asif Ismail (18 novembre 2004)
Dédié à la surveillance des organismes publics et privés, le Centre pour l’Intégrité Publique explique ici comment Carlyle a fait en 1997 l’acquisition de United Defense.
 
[5] UK Times Online “Heady times for Carlyle in the wake of chaos and grief that gripped a nation” par Dan Briody (8 mai 2003)
Kevin Ryan "Carlyle, Kissinger, SAIC and Halliburton:
A 9/11 Convergence – Part 3 of Demolition Access To The WTC Towers" (12 décembre 2009)
 
[6] The Washington Post “Plane Carried 13 Bin Ladens Manifest of Sept. 19, 2001, Flight From U.S. Is Released” par Dana Milbank
(22 juillet 2004)
 
[7] The Wall Street JournalBin Laden Family Is Tied To U.S. Group” par Daniel Golden, James Bandler et Marcus Walker (27 septembre 2001)
 
[8] KPFA Radio : Interview de Cynthia McKinney (25 mars 2002)
Sur les archives du site democrats.com est cité un extrait de l’interview de la représentante démocrate du Congrès américain. Une retranscription complète de l’interview est disponible sur le site : http://www.apfn.org/apfn/wtc_history.htm
ReOpen911-Prison Planet “Affaire de l’anthrax : un comité d’experts indépendants remet en cause les conclusions du FBI” par Steve Watson (16 février 2011)
http://www.reopen911.info/News/2011/02/17/affaire-de-lanthrax-un-comite-dexperts-independants-remet-en-cause-les-conclusions-du-fbi/
 
[9] Polaris Institute – Halliburton : Corporate profile (octobre 2005)
Août 2001: KBR signe un contrat avec BP/Sonatrach, pour des services multiples avec un investissement de 1,7 milliards de dollars.
Novembre 2001 : Halliburton décroche un contrat de 140 millions de dollars pour développer un nouveau champ pétrolier en Arabie saoudite pour Aramco, le consortium de compagnies pétrolières qui contrôle le pétrole saoudien. L’information est révélée par le Boston Globe et relayée par Michael C. Ruppert dans son article "Coup d’État" (8 juin 2004)
Ruppert rapporte les révélations du Boston Globe sur le contrat Halliburton-Aramco,
Décembre 2001: KBR obtient un contrat évalué à 1 milliard de dollars pour construire un projet de gaz naturel liquéfié dans le port égyptien de Damiette. Le contrat a été attribué par SEGAS, société d’exploitation du géant espagnol Union Fenosa.
 
[10] CNNCheney sold $35 million in Halliburton stock in August” Reuters (12 septembre 2000)
CNN “KBR: Cheney faults ‘desperate’ attacks on Halliburton” (23 janvier 2004)
Voltairenet.org "Dick Cheney, le patron des Républicains – La guerre comme politique" (18 octobre 2004)
 
[11] The Center for Public Integrity – Halliburton / Outsourcing The Pentagon
Archives en PDF de la fiche détaillée sur les données financières et commerciales montrant la progression des contrats d’Halliburton avec le Pentagone entre 1998 et 2003, et du tableau des premiers fournisseurs du Pentagone.
Ces archives ont été sauvegardées à partir du précédent site de The Center for Public Integrity renommé iwatchnews.org qui propose désormais une version résumée des précédents contenus :
 
[12] CBS NewsCheney’s Halliburton Ties Remain” AP (26 septembre 2003)
 
[13] "Irak à vendre, les profiteurs de guerre" (Iraq for Sale)
Documentaire de Robert Greenwald (2006)
 
[14] National Corruption Index – Dick Cheney
 
[15] Time Magazine "Lynne Cheney: Is A Career A Conflict?" par Ann Blackman & Amanda Ripley (15 janvier 2001)
Washington Business Journal "Vice president-elect’s wife steps down from Lockheed board" (5 janvier 2001)
The Washington Post "Vice President’s Wife Back at Work" par Karen Gullo (22 janvier 2001)
Right Web - Lynne Cheney
 
[16] Voltairenet.org "L’institut Américain de l’Entreprise à la Maison Blanche" (21 juin 2004)
Voltairenet.org "Le dispositif Cheney – Fabrication de la guerre contre l’Irak" par Thierry Meyssan (6 février 2004)
 
[17] L’idiot du Village "Le 11-Septembre en Questions" par Guillaume de Rouville
 
[18] PakNews – CaptiveMinds.org "Agreement on 3.2 billion gas pipeline project signed" (28 December 2002)
 
[19] Strategic Analysis-Idsa-india.org "The Afghan Conflict and Regional Security" par P. Stobdan (août 1999).
 
[20] The San Francisco Chronicle "It’s all about oil" par Ted Rall (2 novembre 2001)
Inter Press Service "US Taliban Policy Influenced by Oil" par Julio Godoy (16 novembre 2001).
 
 
L’alliance entre néoconservateurs et marchands d’armes
 
[1] iWatch News by The Center for Public Integrity "Outsourcing the Pentagon – Who benefits from the politics and economics of national security?" par Larry Makinson(29 septembre 2004, mise à jour 16 septembre 2011)
 
[2] Right Web – Tracking militarists’ efforts to influence U.S. foreign policy – Bruce Jackson
 
[3] Voltairenet.org "Une guerre juteuse pour Lockheed Martin" (7 février 2003)
 
[4] Right Web - U.S. Committee on NATO
Right Web - Project on Transitional Democracies
 
[5] The American Prospect "Minister Without Portfolio" par John Judis (11 avril 2003)
 
[6] Dedefensa.org – Semaine du 11 au 17 novembre 2002
Right Web - Committee for the Liberation of Iraq
 
[7] Voltairenet.org "Center for Security Policy – Les marionnettistes de Washington" par Thierry Meyssan (13 novembre 2002)
 
[8] Asia Times "New champions of the war cause" par Jim Lobe (6 novembre 2002)
Project for the New American Century – Bruce P. Jackson
Project for the New American Century – About PNAC – Project Directors
 
[9] Peter Dale Scott "La route vers le nouveau désordre mondial" (The Road to 9/11) Editions Demi Lune (Publié aux États-Unis en 2007).
 
 
 
 

 

 

2 Responses to “La Parenthèse enchantée (4/11) : Collusion au sommet du pouvoir”

  • Corto

    La liste des sociétés consultées par Cheney AVANT le 11/9 dans le cadre de son ENERGY TASK FORCE

    http://www.washingtonpost.com/wp-srv/politics/documents/cheney_energy_task_force.html

  • Zorg

    « Or huit jours plus tard, Shafig Ben Laden fera partie des treize membres de la famille Ben Laden bénéficiant, dans des conditions déconcertantes, d’un vol spécial pour quitter le sol américain sans même que le FBI ne les interroge auparavant, selon, entre autres, les informations du Washington Post, informations qui ne seront jamais démenties [6]. »

    L’article du Washington Post en question dit le contraire :

    « The commission staff reported that each of the Saudi flights « was investigated by the FBI and dealt with in a professional manner prior to its departure. » The staff said that 22 people on the bin Laden flight were interviewed by the FBI and that the FBI checked databases for information on the passengers. The commission said none of the passengers was on the terrorist watch list. »

    http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/articles/A4014-2004Jul21.html

    Erreur manifeste qu’il conviendrait de corriger…

    note 28 du chapitre 10 du rapport de la commission :

    « The Bin Ladin flight and other flights we examined were screened in accordance with policies set by FBI headquarters
    and coordinated through working-level interagency processes. Michael Rolince interview (June 9, 2004).
    Although most of the passengers were not interviewed [les 142 passagers des 6 vols partis entre le 14 et 24 septembre 2011], 22 of the 26 people on the Bin Ladin flight were interviewed by the FBI. Many were asked detailed questions. None of the passengers stated that they had any recent
    contact with Usama Bin Ladin or knew anything about terrorist activity. »

    http://web.archive.org/web/20041020144854/http://www.decloah.com/mirrors/9-11/911_Report.txt

    Ainsi selon le rapport de la commission, plusieurs questions détaillées ont été posées . Toutefois, comme le fait remarquer History Commons, la commission ne dit pas à combien de personnes de ce vol furent posées de questions précises…

    Mieux, il apparaitrait que ce vol contenait 29 et non 26 passagers :
    « Craig Unger, author of the book House of Bush, House of Saud, publishes the flight manifest during the same week as the 9/11 Commission’s final report is released, and this list contains 29 names (including the three security personnel), not 26. [Craig Unger website, 7/22/2004] The 2005 book Al-Qaeda Will Conquer by Guillaume Dasquié also makes note of this three-person discrepancy. »
    http://www.historycommons.org/context.jsp?item=a092001notallinterviewed#a092001notallinterviewed

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