John Pilger : Il est temps de reconnaître le caractère criminel du gouvernement de Tony Blair

Bien qu’il semble que les Blair, Bush, Cheney, ou Rumsfeld commencent à avoir quelques problèmes avec la justice de certains États ou celle internationale, la propagande des guerres préventives et de la guerre à la terreur qu’ils ont tous contribué à créer et à alimenter sera-t-elle en mesure de les protéger encore longtemps ? Les récents développements en Libye et aujourd’hui en Syrie montrent que nous sommes encore loin de percevoir le pouvoir de nuisance que cette rhétorique post-11-Septembre a eu sur les populations occidentales, sur nous. Combien de temps encore pourrons-nous nous permettre de ne pas juger ces criminels, fussent-ils d’anciens hommes politiques ? Le fait d’être d’anciens leaders politiques de pays démocratiques les dédouane-t-il pour autant de leurs crimes qui se comptent désormais en millions de morts ? Notons au passage que le juge espagnol Garzon, celui qui s’était proposé d’émettre des mandats d’arrêt contre les responsables de haut niveau de l’administration Bush, a été mis hors-jeu pour 11 ans par la justice espagnole (même s’il vient d’être acquitté – comble de l’ironie), ce qui, c’est certain, doit faire réfléchir les autres.

 

L’ex-Premier ministre britannique, Tony Blair

 


Il est temps de reconnaître le caractère criminel du gouvernement de Tony Blair

par John Pilger, JohnPilger.com, le 16 février 2012

John Pilger est une figure du journalisme d’investigation anglo-saxon, activiste anti-guerre et défenseur des droits de l’Homme, qui s’était exprimé le 23 octobre 2010 à Londres sur le probable "laisser-faire" (ce qui s’appelle la théorie LIHOP, pour Let It Happen On Purpose) de l’administration Bush lors des attentats du 11-Septembre. Pilger a été correspondant de guerre au Viêt-nam, au Cambodge, en Égypte, en Inde, au Bangladesh et au Biafra. L’un de ses premiers films, Year Zero (Année Zéro) a attiré l’attention de la communauté internationale sur les violations des droits de l’homme commises par les Khmers rouges au Cambodge. Il a obtenu de nombreux prix de journalisme et d’associations des droits de l’homme (le Prix Sophie en 2003), dont, deux fois, le prix britannique du Journalist of the Year. Cet activiste anti-guerre n’a de cesse de rappeler la responsabilité de ceux qui savent, des « intellectuels », aux misères et aux violences du monde : « Briser le mensonge du silence n’est pas une abstraction ésotérique mais une responsabilité urgente qui incombe à ceux qui ont le privilège d’avoir une tribune. » En outre, John Pilger possède son propre site web où il communique ses idées et ses craintes.

Traduction VD pour LeGrandSoir

Dans cette sorte de théâtre Kabuki qu’est devenu le monde politique britannique, les grands crimes n’ont jamais eu lieu et les criminels sont en liberté. Après tout, c’est du théâtre. Ce qui importe, ce sont les coups de théâtre et pas les actes commis et jugés sans la moindre considération pour leurs conséquences. Il s’agit d’une mesure de préservation adoptée à la fois par la caste dirigeante et ses critiques. Le discours d’adieu d’un des plus doués d’entre eux, Tony Blair, était empreint d’ « un profond sentiment de conviction éthique », s’est ému le présentateur à la télé, Jon Snow, comme si l’attrait que Tony Blair exerçait sur les fans de Kabuki relevait du mysticisme. Le fait que Tony Blair soit un criminel de guerre n’avait aucune importance.

L’évacuation du caractère criminel de Blair et ses gouvernements est décrite dans le livre de Gareth Peirce, « Dispatches from the Dark Side : on torture and the death of justice », publié ce mois-ci chez Verso. Peirce est la plus illustre avocate des droits de l’homme en Grande-Bretagne ; ses combats contre des injustices célèbres et pour que justice soit rendue aux victimes des crimes d’État, tels que la torture et les enlèvements (« rendition »), n’ont pas d’équivalent. Ce qu’il y a d’inhabituel dans son compte-rendu de ce qu’elle appelle « le tohu-bohu moral et juridique » post-11/9, et à l’examen des mémoires de Blair et Allistair Campbell, de comptes-rendus de réunions ministériels et des fichiers du (service de renseignement britannique) MI6, c’est qu’elle s’en tient à la loi.

Grâce à des avocats comme Pierce, Phil Shiner et Clive Stafford-Smith, la mise en accusation de puissances dominantes n’est plus un sujet tabou. Israël, l’homme de main des Etats-Unis, est désormais perçu comme l’État le plus voyou du monde. Donald Rumsfeld et tous ses semblables évitent désormais certains pays où la loi s’applique pour des crimes commis à l’extérieur des frontières, de même que George W. Bush et Blair.

Dans un déploiement « d’oeuvres pour la paix » et en faveur du « développement » qui lui permettent d’augmenter la fortune accumulée depuis son départ du gouvernement, les voyages de Tony Blair se limitent aux émirats du Golfe, aux Etats-Unis, à Israël et à quelques havres tels que le petit pays africain du Rwanda. Depuis 2007, Blair a effectué sept visites au Rwanda, où le jet privé du Président Paul Kagamé est mis à sa disposition. Selon Blair, le régime de Kagamé, dont les opposants ont été brutalement réduits au silence sous des accusations montées de toutes pièces, est « innovant » et un « leader » en Afrique.

S’agissant de Blair, le livre de Pierce réussit l’impossible : nous choquer. En suivant toutes les « thèses injustifiables, l’agressivité sans bornes, les falsifications et les violations conscientes de la loi » qui ont mené aux invasions de l’Afghanistan et de l’Irak, elle qualifie l’agression de Blair contre les Musulmans comme étant à la fois criminelle et raciste. « Des êtres humains supposés avoir des opinions islamistes devaient être neutralisés par tous les moyens, et définitivement… selon le langage de Blair, un "virus" qui devait être "éliminé" et nécessitait "une myriade d’interventions dans les profondeurs des affaires d’autres nations" ». Des sociétés entières furent réduites à des « taches de couleur » sur une carte avec laquelle le Napoléon travailliste comptait « modifier l’ordre du monde ».

Le concept même de guerre fut éliminé et remplacé par « nos valeurs contre les leurs ». Les auteurs des attentats du 11/9, la plupart des Saoudiens qui avaient appris à voler aux Etats-Unis, furent oubliés. A la place, les « tâches de couleur » virèrent au rouge-sang – d’abord en Afghanistan, pays pauvre parmi les pauvres.

Aucun Afghan ne faisait partie d’Al-Qaeda, au contraire, ils se détestaient. Peu importe. Lorsque les bombardements ont commencé le 7 octobre 2001, des dizaines de milliers d’Afghans furent punis par la faim par le retrait du Programme Alimentaire Mondial en plein hiver. Dans un village qui fut frappé, Bibi Mahru, j’ai vu le résultat d’une seule bombe de « précision » MK82 qui a massacré deux familles, dont huit enfants. « Tony Blair », écrit Alistair Campbell, « a dit qu’il fallait qu’ils comprennent que nous leur ferions du mal s’il refusaient de nous remettre Oussama Ben Laden. »

Le personnage de dessin animé qu’était devenu Campbell était quant à lui déjà à l’oeuvre pour concocter une nouvelle menace contre l’Irak. Le « résultat », selon le MIT Centre for International Studies, fut entre 800 000 et 1,3 million de morts : des chiffres qui dépassent les estimations de Fordham University pour le génocide Rwandais.

Et pourtant, écrit Pierce, « les échanges de mails, les communiqués internes du gouvernement n’indiquent aucune dissension ». Des interrogatoires sous la torture étaient menés « sous les ordres explicites… de ministres du gouvernement. » Le 10 janvier 2002, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Jack Straw, envoya un courrier électronique à ses collègues pour leur dire que l’envoi de citoyens britanniques à Guantanamo était « la meilleure manière d’atteindre nos objectifs de lutte contre le terrorisme. » Il rejeta « l’unique alternative de rapatriement au Royaume-Uni. » (Nommé par la suite « ministre de la Justice », Straw a supprimé des comptes-rendus officiels contre l’avis du Commissaire à l’information). Le 6 février 2002, le ministre de l’Intérieur, David Blunkett, a précisé qu’il « n’était pas du tout pressé de voir des individus revenir en Grande-Bretagne (de Guantanamo) ». Trois jours plus tard, le ministre des Affaires étrangères, Ben Bradshaw, écrivait « Il faut faire tout notre possible pour empêcher le rapatriement des détenus vers la Grande-Bretagne ». Pas un seul des détenus auxquels il faisait allusion n’avait été mis en accusation ; la plupart avaient été vendus aux Américains par des chefs de guerre afghans pour toucher les primes. Peirce décrit comment les fonctionnaires des Affaires étrangères, avant une inspection de Guantanamo, avaient « vérifié » que les prisonniers britanniques étaient « traités humainement », ce qui était totalement faux.

Plongé dans ses mésaventures et ses mensonges, et n’écoutant que la « sincérité » susurrée par son dirigeant, le gouvernement travailliste n’a consulté aucun de ceux qui disaient la vérité. Peirce cite une des sources les plus fiables, Conflicts Forum, dirigé par l’ancien officier des services de renseignement, Alastair Crooke, qui disait que « isoler et diaboliser les groupes (islamiques) qui ont le soutien de la population, renforcera la perception que l’occident ne comprend que le langage de la force militaire. » En ignorant volontairement cette vérité, Blair, Campbell et tous les autres ont semé les graines des attentats du 7/7 à Londres.

Aujourd’hui, un nouvel Afghanistan et un nouvel Irak s’annoncent en Syrie et en Iran, peut-être même une guerre mondiale. Une fois de plus, des personnages comme Crooke tentent d’expliquer aux médias qui salivent à l’idée d’une « intervention » en Syrie que la guerre civile dans ce pays demande un certain doigté, de patientes négociations, et pas les provocations des Services spéciaux britanniques et des exilés stipendiés habituels qui chevauchent le cheval de Troie anglo-américain.

John Pilger

 

Traduction VD pour LeGrandSoir


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One Response to “John Pilger : Il est temps de reconnaître le caractère criminel du gouvernement de Tony Blair”

  • paul vetran

    TONY 2012?

    Plus sérieusement, pour comprendre la politique étrangère de Tony Blair, il faut inclure dans l’équation son conseiller et éminence grise, David Manning.
    Ce même David Manning avait rendez-vous avec Richard Armittage au Département d’Etat à Washington, le 10 septembre 2001, la veille des attaques. Or le matin du 10 septembre, Richard Armittage avait aussi rendez-vous avec un certain Pierre Moscovici…
    Pourquoi ces deux personnalités, dont le point commun est leur attachement à l’état hébreux, ont rencontré Armittage, spécialiste des coups tordus de la CIA et dont la légende remonte à l’opération Phoenix pendant la guerre du Vietnam?
    Ont ils été informés de l’imminence des attaques? Et si oui, quel était leur rôle?

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