Marianne2 : Le recul des droits de l’Homme s’est accentué sous la présidence Obama

Loin d’avoir répondu aux immenses attentes que l’élection à la tête des Etats-Unis d’une personne de couleur apparemment empreinte d’idéaux de liberté et de justice avait fait naitre dans le monde entier, l’ère Obama se solde par un bilan désastreux que nous résume ici Stefano Trano pour Marianne2. De la non-fermeture de Guantanamo aux guerres du Moyen-Orient qui ont changé de nature mais sont toujours bien là, de la loi votée en catimini le 31 décembre 2011 sur l’emprisonnement indéfini et sans procès (NDAA) abolissant l’Habeas Corpus, l’un des piliers de la Constitution américaine, aux restrictions du droit de vote sur le point d’être votées demain, le bilan est lourd pour le Prix Nobel de la Paix 2009.

 

Pourquoi faudrait-il nous taire, M. Obama ?

 


Le recul des droits de l’Homme s’est accentué sous la présidence Obama

par Stefano Trano, sur Marianne2, le 12 mars 2012

Depuis les attentats du 11 septembre 2011, le monde du renseignement intérieur américain s’est développé de manière inouïe et le passage au crible de la population n’épargne aucun aspect de la vie privée. Mais sous l’Administration Obama, en pleine dérive vers la droite extrême des Républicains, le piétinement des droits civiques et de la Constitution vont de paire avec une chasse aux immigrants inégalée dans l’Histoire du Pays. Au point d’atteindre des proportions alarmantes. Pire, rien n’est fait pour s’opposer aux Etats dans lesquels les Républicains tentent de "nettoyer" le corps électoral de ses électeurs qui leur sont le moins favorables. Mercredi, devant le Conseil des Droits de l’Homme aux Nations-Unies, une séance houleuse s’annonce.

En 1986, le Congrès américain votait l’Electronic Communications Privacy Act, une mise à jour du dispotif légal de 1968 déjà destiné à limiter l’accès aux communications privées par le gouvernement. Mais le Patriot Act, signé par le président George W. Bush le 26 octobre 2001 dans la fièvre de l’après-11 septembre a vidé progressivement de toute substance l’ensemble de garde-fous censé limiter les abus de l’administration. Barack Obama, le 26 mai 2011, a lui-même prorogé les principales dispositions du Patriot Act pour quatre ans. Il n’existe plus désormais, aux Etats-Unis, de communication privée sous quelque forme que ce soit. Géolocalisation des appels, des emails, des text messages, filtrage et analyse à partir d’algoritmes de l’ensemble des transmissions afin de déterminer un "score" visant à détecter tout risque potentiellement constitué par un individu, une entreprise ou une organisation, fichage par l’analyse approfondie des réseaux sociaux, de sites tels que Wikipédia, pour y consigner toute personne jugée suspecte, et la liste est encore longue. Les tribunaux peuvent également utiliser la demande de suppression de données personelles par un individu contre lui. Mais il y a plus grave encore.

Le 31 décembre 2011, Obama signait le National Defense Authorization Act (NDAA), autorisant pour la première fois dans l’Histoire des Etats-Unis la détention illimitée sans motif ni procédure préalable par les militaires. Les dispositions de cette loi autorisent de facto l’enlèvement de toute personne, militaire ou civile, y compris en dehors des théâtres d’opérations militaires, sans justification ni droit pour cette personne d’être informée et sans limitation dans le temps. Cela vaut pour n’importe quel endroit dans le monde comme vient de le rappeler le Procureur Général de New York et responsable du Département de la Justice à la Maison Blanche, Eric Holder. 

Mais il y a quelques jours, le 28 février, un incident a mis le feu aux poudres et provoque depuis une vive agitation parmi les organisations civiles en lutte contre les abus de l’administration américaine. Alors qu’elles avaient accueillies d’un bon oeil la tenue d’une session du Comité Judiciaire du Sénat devant examiner, le lendemain, les problèmes posés par le NDAA, elles ont eu la surprise de voir apparaître sur la liste des quatre témoins convoqués lors de l’audience le nom de Steven Bradbury. Or, Steven Bradbury, qui était, sous l’Administration Bush, le Chef du Conseil Légal au Départment de la Justice, est l’auteur des fameux manuels destinés à la CIA pour leur permettre de connaître les pratiques "acceptables" en manière de torture des individus en détention. On pouvait y lire, notamment, la manière de projeter des personnes contre les murs, combien de fois celles-ci pouvaient être soumises au supplice de la baignoire (6, avait estimé Bradbury), ou encore, les bonnes méthodes pour gifler ou doucher à l’eau froide (9°C) les détenus interrogés.

Et bien sûr, il y a la non-fermeture de Guantanamo à ce jour, malgré la promesse électorale d’Obama en 2008. Lors du dixième anniversaire de l’ouverture de ce centre de "détention" – s’il est permis de le qualifier de cette manière – le New York Times avait ouvert ses colonnes à Lakhdar Boumédienne, aujourd’hui réfugié en France avec sa famille dont il fut séparé pendant les neuf ans de son enfer après son enlèvement en Bosnie où il travaillait pour le Croissant Rouge. Les avocats américains de Boumédienne étaient parvenus pour la première fois à porter une telle affaire devant la Cour Suprême des Etats-Unis et dans l’affaire Boumédienne vs. Bush, désormais célèbre aux Etats-Unis, celle-ci avait statué sur le droit d’un prisonnier de Guantanamo de contester sa détention et avait ordonné sa libération. Mais cela n’a rien changé à l’opacité totale du fonctionnement de Guantanamo sous l’ère Obama. A celà près que, dans un mouvement similaire à une vaste opération cosmétique destinée à le préparer pour sa réélection, l’entourage d’Obama à la Maison-Blanche laisse entendre que cette fermeture aura bien lieu, sans doute cet été, assortie d’explications sur les difficultés que devait affronter son administration pour parvenir à cette "réussite", du pur cynisme tel au’on n’en manque pas ces temps-ci du côté de la Maison Blanche.

Prochaine étape de la bronca contre le gouvernement des Etats-Unis ce mercredi 14 mars en Suisse, devant le Comité des Droits de l’Homme des Nations-Unis. Les leaders de la légendaire Association Nationale pour la Promotion des Gens de Couleur (NAACP, fondée en 1909 et à la pointe de la lutte pour les droits des Afro-Américains depuis plus d’un siècle) se rendront d’un pas déterminé devant l’assemblée pour dénoncer les nouvelles lois sur le droit de vote qui rétablissent aux Etats-Unis une segrégation de plus en plus intolérable. Le leader actuel du mouvement, célèbre juriste et avocat des droits civiques, entend bien désigner du doigt un grand nombre d’États américains qui, au cours de la seule année écoulée, ont multipliés les lois permettant la privation du droit de vote pour de nombreux électeurs. Il vise explicitement les Républicains, qui dans leur fuite en avant pour gagner les électorats les plus conservateurs et les plus à droite, ne cessent de légiférer afin de "blanchir" le corps électoral.

Plus de 30 États ont ainsi modifié leurs lois, pour y inclure par exemple l’obligation de détenir une carte autorisant au vote, supprimer la possibilité de s’enregistrer le jour des scrutins, interdire aux ex-détenus dans leur ensemble le droit de recouvrer leur droit de vote ou encore réclamant des preuves toujours plus strictes et élaborées de citoyenneté américaine. Or, une étude pointue publiée par le Brennan Center for Justice vient de démontrer que ces nouvelles lois vont éjecter de la population des électeurs pas moins de 5 millions de votants, en particulier parmi les jeunes, les minorités, les handicapés et ceux ayant le plus bas niveau de revenus. Souvent des électeurs considérés comme privilégiant le Parti Démocrate lors des scrutins. Ils justifient ces mesures afin de réduire le nombre de fraudes électorales. Mais comme le relève dans le très sérieux Election Law Journal le Professeur de Droit Justin Levitt, "il y a eu des allégations de fraudes, mais celles-ci demeurent limitées (…) Les promoteurs de ces lois eux-memes s’appuient sur 9 exemples depuis 2000 alors que dans ce pays 400 millions de votes ont été enregistrés dans la même période, ce qui porte le taux de fraude prétendu pour usurpation d’identité à 0,000002%".

Nous reviendrons sur ce sujet dans la semaine.

Stefano Trano

 

Note : (*) Stéphane Trano, 43 ans, est journaliste politique et essayiste. Il est installé depuis 2007 aux Etats-Unis, dont il a sillonné durant trois ans de nombreux états avant de s’établir à Chicago, où il mène depuis trois ans une enquête pour les besoins de son prochain livre consacré à John-Fitzgerald Kennedy (sortie prévue aux éditions L’Archipel en Janvier 2013). Fief de Barack Obama et cœur de son dispositif pour sa réélection en novembre 2012, Chicago est souvent considérée comme la plus « américaine » des grandes villes du pays au rang desquelles elle se classe troisième. Porte du Midwest où se côtoient les géants de l’industrie, la bourse mondiale des matières premières (CFTC) et des écoles réputées d’économie ou d’architecture, Chicago se trouve également au carrefour des états de la « corn belt » – fortement ruraux – et nombre de scrutins y ont déterminé l’issue des élections à la présidence des Etats-Unis


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