William Pitt : Voici ce que je sais
Certains se reconnaitront sans doute dans ce billet d’humeur de William Pitt, un éditorialiste du site alternatif américain Truth-out, qui, au travers d’un article écrit il y a 10 ans, constate que bien peu de choses ont changé, ou alors en pire, et que malgré tout, malgré la défaite probable contre des forces qui nous dépassent, malgré les Bush, Obama, Romney et ces indéracinables "forces au pouvoir", il faut plus que jamais se battre, car l’enjeu, c’est tout simplement celui d’un monde meilleur.
Voici ce que je sais
Par William Rivers Pitt, Truthout | Od-Ed, le 2 février 2012
Traduction GV pour ReOpenNews
Mark Twain
Une bouteille de Whisky, un verre one-shot, et un article à écrire.
Je vais commencer par mentir en disant que cette combinaison n’était pas encore apparue sur mon bureau, mais ce fut si rare pour que je considère cela comme un cas à part, et donc allons-y.
Voyez-vous, quelque chose m’a frappé comme un coup de massue dernièrement : mon tout premier article pour Truthout date de début 2002, et j’ai dû fouiller un peu avec l’aide de mes amis sur Facebook, et hop, je l’ai retrouvé : « Hell to pay », publié le 17 janvier 2002.
J’ai loupé à 2 semaines près l’occasion de fêter mon 10e anniversaire avec cette fantastique association qu’est Truthout. Je suppose que par convention, le plaisir doit en être atténué d’autant : on fête son anniversaire le jour anniversaire, et donc célébrer ça avec deux semaines de décalage, ça fait un peu bidon, mais finalement je m’en moque pas mal.
J’étais occupé ailleurs.
10 ans, une bouteille de Whisky, un verre one-shot, et un article à écrire.
Dieu tout puissant, comme le temps file. Au passage, et je me fous pas mal si vous êtes d’accord ou pas, mais pour moi Stephen King est le meilleur auteur de la seconde moitié du XXe siècle. Dans Salem’s lot, il écrivait « Oh mon Dieu, doux Jésus, le temps est un fleuve », et ses propos étaient à la fois superbes et tellement vrais. Le temps est un fleuve ; on n’y met jamais deux fois de suite les pieds au même endroit.
10 ans, les gars.
Retour sur ce que j’écrivais il y a 10 ans :
« Ceux qui dans ce pays n’avaient jamais entendu parler du géant de l’énergie Enron Corporation ont eu l’occasion d’entendre citer le nom de cette compagnie dans un contexte plutôt odieux. L’histoire qui émerge est tout simplement stupéfiante : Enron, une compagnie qui vaut plusieurs milliards de dollars à Wall Street, est soudain victime de la plus immense faillite de l’histoire dans l’univers connu. 4000 employés sont brusquement mis à la porte après qu’on les ait empêchés de vendre leurs actions de la société, qui étaient censées assurer leurs retraites, du moins tant qu’elles avaient une valeur. Pendant ce temps, les hauts dirigeants d’Enron qui étaient au courant ont pu vendre leurs actions quand elles valaient encore de l’or, et ont empoché un joli milliard de dollars.
Tout cela pourrait n’être qu’un exemple de plus de la cupidité sans limites des grandes corporations, s’il n’y avait pas en arrière-plan ces liens politiques et financiers ombilicaux entre les Bush et Enron. Le grand chef d’Enron, Kenneth Lay, était sans aucun doute le meilleur ami financier que George W. Bush ait jamais eu. K. Lay et plusieurs employés d’Enron ont à eux-seuls financé une bonne partie de la campagne présidentielle de Bush en 2000, allant jusqu’à prêter à Bush un avion d’affaire d’Enron pour tous ses voyages à étapes. Avant même que Bush n’envisage de loger à la Maison Blanche, il avait travaillé en étroite collaboration avec Enron sur la politique énergétique du Texas.
Les démêlées de Bush avec l’industrie de l’énergie résonnent d’ailleurs comme un écho familier avec le cas Enron : il fut un temps où Bush était un haut dirigeant d’une société pétrolière nommée Harken Oil. Le 22 juin 1990, Bush vendit ses actions d’Harken et empocha la somme de 848 560 dollars, faisant pour le coup un profit de 200%. Une semaine plus tard, Harken annonçait 23,2 millions de dollars de perte trimestrielle, et l’action chuta vertigineusement, perdant 60% de sa valeur des 6 derniers mois. Bush avait touché le pactole, tandis que les autres investisseurs avaient perdu des millions. Harken fut un Enron en miniature, et aurait pu servir d’avertissement au peuple américain si la presse avait prêté un peu plus d’attention à cette affaire pendant la campagne présidentielle de 2000.
Les liens entre Bush et les talibans étaient si étroits que ces derniers sont allés jusqu’à embaucher une experte en relations publiques américaines, Laila Helms, pour qu’elle lisse le terrain entre les deux gouvernements. Les réunions entre ces deux nations étaient fréquentes, la dernière eut lieu en août [2001], à peine quelques semaines avant les attentats du 11-Septembre. Toutes ces actions avaient été entreprises pour exploiter les immenses réserves énergétiques du Turkménistan au profit des grandes compagnies énergétiques américaines.
Les relations douillettes entre Bush et les talibans contrecarraient les investigations de l’ex-directeur adjoint du FBI, John O’Neill. O’Neill était le chef de l’équipe chargée d’Oussama Ben Laden, et dirigeait l’enquête sur les connexions entre Ben Laden et les attentats à la bombe du World Trade Center en 1993, la destruction de camps militaires américains en Arabie Saoudite en 1996, les attentats à la bombe de 1998 en Afrique, et l’attentat contre l’USS Cole en 2000.
O’Neill claqua la porte du FBI deux semaines avant la destruction des tours du World Trade Center. Sa décision était due au fait que son enquête était continuellement entravée par les liens entre l’administration Bush et les talibans, et par les intérêts des compagnies pétrolières américaines.
O’Neill aurait déclaré la chose suivante : « Les principaux obstacles dans l’enquête sur le terrorisme islamique sont les intérêts des compagnies pétrolières US, et le rôle joué par l’Arabie Saoudite. » Après son départ du FBI, O’Neill fut nommé responsable de la sécurité du World Trade Center. Il mourut le 11 septembre 2001, en essayant de sauver les vies de ceux pris au piège après l’attaque, et périt lorsque la tour s’écroula sur lui. L’ironie de cette histoire est à glacer le sang.
C’est une chose de dorloter et de courtiser des grandes compagnies énergétiques pour des visées politiques ou financières. Mais c’en est une autre de dorloter et de courtiser un régime criminel qui soutient le terrorisme et d’entraver les enquêtes du contre-terrorisme qui s’ensuivent, dans le but d’exploiter des ressources naturelles. Dans le premier cas, cela coûte leur retraite à un certain nombre de personnes. Dans le deuxième, ce sont des milliers de personnes qui y laissent la vie. Le premier est un crime. Le deuxième est une abomination. George W. Bush est mouillé jusqu’au cou dans les deux. L’enfer ne suffira pas…»
10 ans, une bouteille de Whisky, un verre one-shot, et un article à écrire.
Rien n’a changé.
J’avais commencé à écrire là-dessus pendant la procédure d’impeachment de Clinton, je publiais alors sur des sites Web créés de mes petites mains en utilisant quelques connaissances rudimentaires en HTML : le premier site s’appelait The Rotten Core, et le second WillPitt.com, tous deux ont disparu depuis. Truthout a fait appel à mes services voilà 10 ans, et j’ai bien sûr répondu par l’affirmative.
Et depuis ? Une bouteille de Whisky, un verre one-shot, et un article à écrire.
Et aussi, l’affaire Enron, de stupides niches fiscales préjudiciables au budget, le 11-Septembre et les aberrations du « personne n’aurait pu imaginer », les tentatives d’assassinat à l’anthrax contre des démocrates, le discours de Bush sur l’état de l’Union où il affirmait que l’Irak détenait 26 000 litres d’anthrax, 38 000 litres de toxines du bacille botulique, 500 tonnes de gaz sarin, moutarde et d’agents neurotoxiques VX, 30 000 munitions pour envoyer le tout, des laboratoires mobiles d’armement biologiques, des avions-drones pour pulvériser les saloperies mentionnées ci-dessus, de l’uranium provenant du Niger utilisé dans son programme nucléaire (« nukular » comme le prononça G.W.Bush) irakien extrêmement avancé… sans oublier la dénonciation de l’agent secret de la CIA Valerie Plame, dont le nom fut révélé parce que son mari avait osé dire la vérité sur l’administration Bush dans les journaux.
En fait, l’idée même que Saddam Hussein ait été un allié de Ben Laden est ridicule, car Oussama voulait la tête de Saddam depuis des décennies, et que la véritable origine du terrorisme mondial est l’extrémisme sunnite wahhabite qui provient d’Arabie saoudite, mais tout cela reste caché en raison des partenariats qui unissent la Maison Bush à celle des Saudi depuis plusieurs dizaines d’années. Oh, et tant pis si ceux qui ont gagné en pouvoir à cause de notre invasion de l’Irak sont responsables de la mort de 200 Marines à l’aéroport de Beyrouth en 1983… oui, l’Iran. Nous leur avons apporté l’Irak sur un plateau, avec votre argent, mais apparemment maintenant les forces au pouvoir (powers-that-be) ont arbitrairement décidé de les bombarder eux-aussi. Et puis, il y a eu Katrina. Et Haditha. Et la NSA qui espionne les coups de fil de tout un chacun. Et ce nouveau gars, Obama, qui laisse tomber la lutte pour la protection sociale et qui nous arnaque un peu plus chaque fois, doublant les effectifs en Afghanistan, et oh, j’allais oublier, s’octroyant le pouvoir de tuer n’importe quel Américain « suspecté » de terrorisme. Vous devriez baisser la tête, parce que… on ne sait jamais.
Etc. etc. etc.
Une bouteille de Whisky, un verre one-shot, et un article à écrire.
Ces choses arrivent, ces choses sont importantes, et bon sang, c’était mon boulot d’écrire des chroniques sur ces événements. Ça m’a coûté cher, d’une façon que vous comprendrez certainement, vous qui m’avez accompagné tout au long du chemin. Mes cheveux ont blanchi maintenant, et je ne dors plus beaucoup. C’est comme ça.
10 ans.
Il y a des jours où je m’approche de mon clavier et je me demande si cette ancienne rage est toujours là, cette rage qui m’a fait cracher 15 000 mots à la semaine, comme lorsque je m’occupais du Blog de Truthout, et qu’en plus, on attendait de moi que je ponde deux articles par semaine.
Et [aujourd’hui], je lis que Mitt Romney dit qu’il ne s’inquiète pas (lire, il se fout pas mal) des pauvres. Je lis que la Komen Foundation abandonne la planification parentale pour prouver sa bonne foi sur le front contre l’avortement. Merci, sales escrocs, de supprimer les programmes de dépistage des cancers pour prouver que vous êtes pour la vie.
Et ouais, il y a encore du boulot.
Et la rage est toujours là.
Je le dis depuis bien longtemps, et je l’ai souvent répété, mais ça vaut le coup de le redire ici : je ne m’attends pas à voir les choses pour lesquelles je me bats changer pendant le temps qui me reste. Les enjeux vont bien au-delà désormais. Je m’attends à échouer, à mourir dans la défaite. Ça n’a pas d’importance pour moi. Le combat en vaut la peine, car ces choses sont importantes, et j’entends consacrer les années qui me restent à ce combat, peu importe le résultat. Tôt ou tard, nous gagnerons. Écrivez-le ; je viens juste de le faire. Je ne serai probablement plus là pour le voir, mais la victoire se suffit à elle-même, car un monde meilleur est possible, et c’est tout ce qui compte.
Une bouteille de Whisky, un verre one-shot, et un article à écrire.
A la vôtre, à la nôtre, à ce combat.
A l’espoir d’y arriver.
Aux prochaines 10 années. Puissent-elles être meilleures que les 10 dernières.
William Pitt
Traduction GV pour ReOpenNews
En lien avec cet article :
- Vous avez aimé George W. Bush ? Vous allez adorer Mitt Romney… | par Emmanuel PARISSE (AFP) – 7 oct. 2011
- Les secrets peuvent être conservés efficacement pendant des décennies, même s’ils sont connus de milliers d’initiés paru sur WashingtonsBlog, le 25 mai 2011
- Tragédie du 11-Septembre : un aperçu de la face cachée (en 2 parties) | par Mark H. Gaffney, pour le ForeignPolicyJournal, le 11 février 2011
- Pétrole et 11 septembre 2001 par Hocine Malti, pour Algeria-Watch, le 8 avril 2008
- Vol de secrets nucléaires : Le london Times confirme les déclarations de Sibel Edmonds | par Gregoire Seither, IES News Service, le 20 janvier 2008
Merci pour cette force, merci pour cet espoir, merci d’être la, on se sens moins seul, et merci pour la traduction et les passerelles vers l’information sans filtres, vers la vision globale de ce monde que certains pourrissent.Ils finirons en enfer avec le diable.
Effectivement un verre one shot permet parfois de tenir le coup.
(avec modération bien sur)
Merci monsieur William Pitt.
Et rendez vous à ceux qui veulent bien Samedi 11 fevrier pour protester contre ACTA qui est la muselière d’Internet qu’ils veulent nous enfiler.
Pitt désespère mais se bat toujours…
Je me souviens de vieilles lectures, sur un prophète et guérisseur extraordinaire qui s’appelait Edgar Cayce.
Il s’était vu un jour projeté dans le futur, où il voyait la moitié de l’Amérique engloutie sous les eaux, par une sorte de Déluge des temps modernes, à peu près à la période actuelle.(la physique quantique autorise à croire en ce genre de vision, peut-être..?)
A mon grand regret, je crains que cette vision terrible ne soit la dernière chance pour l’humanité…Si le peuple américain ne sait pas se débarrasser de ses dirigeants pervers, peut-être Dieu s’en chargera-t-il?
A part lui, je ne vois rien qui puisse arrêter cette terrible machine de guerre.
Mais ça ne m’empêche pas de me battre: Dieu a besoin des hommes.
Moais…
Pas la peine d’écrire ce qu’il écrit s’il ne connait même pas le pacte du Quincy : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pacte_du_Quincy