Le FBI déjoue encore un complot terroriste… du FBI
Retour sur une étrange affaire de terrorisme survenue aux USA en septembre dernier, au cours de laquelle on a pu une fois de plus admirer le FBI déjouant un complot… du FBI ! En fait, cela revient comme une rengaine, et les exemples commencent à être si nombreux que certains grands médias occidentaux prennent depuis quelque temps des pincettes pour nous raconter les soi-disant "prouesses" du Bureau en matière de contre-terrorisme. Cette fois, il s’agissait d’un jeune étudiant en chimie, Rezwan Ferdaus, bostonien de 26 ans, qui aurait préparé un ‘violent djihad’ contre le Capitole et le Pentagone au moyen d’avions téléguidés, un projet fort heureusement déjoué grâce à un agent du FBI infiltré, dixit le communiqué laconique des autorités américaines. La ficelle est un peu grosse, mais les conséquences de cette politique sont bien réelles. Le journaliste, juriste et écrivain Glenn Greenwald revient sur le rôle du FBI dans ce terrorisme "maison", sur la perte de droits civils consécutive à ces affaires récurrentes aux USA, mais aussi sur la définition à deux vitesses du "terrorisme" selon qu’on se place du côté des USA ou de ses "ennemis".
Rezwan Ferdaus, un apprenti terroriste armé par le FBI ?
Le FBI déjoue son propre complot terroriste
par Glenn Greenwald, sur 911TruthNews, le 29 septembre 2011 (Source Salon.com)
Traduction Vincent pour ReOpenNews
Le FBI a fait l’objet de nombreuses critiques ces dix dernières années – dans l’ensemble justifiées – mais personne ne peut nier son degré d’excellence dans la façon qu’elle a de contrecarrer ses propres complots terroristes. À maintes reprises, le FBI a concocté une attaque terroriste, infiltré la communauté musulmane pour y dénicher des recrues, les a persuadées de perpétrer un attentat en leur fournissant argent, armes et tout le savoir-faire dont ils avaient besoin – tout cela pour surgir au dernier moment, comme des héros de cinéma, interpeller les soi-disant auteurs pervertis par ce même FBI, et se poser en sauveur de la nation en la protégeant du complot qu’il avait lui-même fomenté.
L’année dernière, après plusieurs mois d’encouragement, de soutien et d’appui financier, le FBI a poussé un Américano-Somalien de 19 ans à faire exploser une bombe lors d’un événement populaire pendant les Fêtes de Noël à Portland, dans l’Oregon, avant de l’arrêter au tout dernier moment et d’émettre un communiqué de presse vantant ses mérites dans cette opération. [De même], fin 2009, le FBI avait convaincu un citoyen jordanien âgé de 19 ans, Hosam Maher Husein Smadi, de placer une fausse bombe dans un gratte-ciel de Dallas, et dans le même temps le FBI a convaincu un citoyen de 34 ans né au Pakistan, naturalisé américain de faire sauter une bombe dans le métro de Washington. Et aujourd’hui, le FBI vient à nouveau nous sauver de son propre complot terroriste en arrêtant le citoyen américain de 26 ans, Rezwan Ferdaus, après avoir passé des mois à lui fournir les plans et les matériaux pour attaquer le Pentagone, les troupes américaines stationnées en Irak, et peut-être le Capitole au moyen d’avions téléguidés bourrés d’explosifs.
Aucune de ces affaires ne correspond à un scénario où le FBI aurait découvert un complot en cours et aurait alors cherché à l’infiltrer pour le déjouer. Dans tous les cas, ou retrouve une volonté manifeste du FBI de recruter des musulmans (généralement jeunes et influençables) pour lesquels il estime qu’ils en veulent suffisamment aux Etats-Unis pour pouvoir être poussés à se lancer dans une attaque, bien qu’ils n’aient pas encore commis de délit, du moins jusqu’à ce que le FBI les identifie. Chaque fois que le FBI annonce qu’il a démantelé son propre complot, la couverture médiatique devient inévitablement hystérique (nouvelle interpellation d’un terroriste local), le niveau de psychose augmente invariablement, et la seule réponse offerte est la mise en place de nouvelles mesures de sécurité (le complot terroriste mis en place par le FBI visant le métro de Washington DC a par exemple, entraîné l’annonce par la Police métropolitaine d’une nouvelle politique de fouilles aléatoires des bagages des passagers). J’ai plusieurs observations à faire et questions à poser à ce propos :
(1) Pour l’essentiel, le dernier complot fomenté par le FBI impliquait des attentats contre des cibles militaires : le Pentagone, des troupes américaines stationnées en Irak, et éventuellement des bases militaires. Les États-Unis sont – comme ils le clament continuellement à la face du monde – une nation en guerre. Dans cette guerre, le Pentagone constitue le quartier général, et ses troupes stationnées à l’étranger sont les soldats qui y prennent part. Comment ces attentats sur des cibles strictement militaires et de combat peuvent-ils être raisonnablement étiquetés de ‘terroristes’ ou même jugés ‘illégitimes’ ? Cela fait longtemps que les États-Unis s’attaquent exactement à ce genre de cibles dans de nombreux territoires à travers le monde ; ils ont délibérément tenté de tuer Saddam Hussein et Kadhafi lors de croisades contre leurs pays (ils ont même sciemment fait exploser un immeuble entier de la banlieue pour supprimer Saddam Hussein, qui ne s’y trouvait d’ailleurs pas). Quelle est la définition exacte d’un ‘terrorisme’ qui exclut les attentats perpétrés par les États-Unis tout en incluant ceux visant le Pentagone ou d’autres cibles militaires (ou encore, l’attentat de Nidal Hasan à Fort Hood d’où les soldats partent pour les zones de guerre) ?
(2) En ce qui concerne les bâtiments ciblés qui ne seraient pas strictement des objectifs militaires – le Capitole, par exemple – peut-on parler de cible de guerre « légitime » au regard des standards extrêmement vagues unilatéralement décrétés par les États-Unis et leurs alliés ? L’assaut américain ‘choc et stupeur’ sur Bagdad a détruit ‘’plusieurs édifices gouvernementaux et palais construits par Saddam Hussein’’; au troisième jour de cette guerre, ‘’les bombes américaines ont totalement détruit les principaux édifices gouvernementaux à Bagdad.’’ En Libye, l’OTAN a bombardé à plusieurs reprises des édifices gouvernementaux non militaires. A Gaza, les avions de guerre israéliens ont visé un poste de police occupé par des recrues policières en arguant du fait que les cibles admissibles ‘incluent les institutions strictement militaires et les institutions politiques qui fournissent le financement logistique et les ressources humaines au Hamas’’.
Évidemment, on peut justifier chaque conflit avec un regard différent, mais le Congrès américain qui finance, supervise, et réglemente les guerres de l’Amérique – ne constitue-t-il pas une cible de guerre légitime au regard des (inopportunes) définitions vagues que les États-Unis et ses alliés ont imposées pour justifier leurs attaques ? Si les dirigeants politiques et les fonctionnaires des nations avec lesquelles les États-Unis sont en guerre constituent des cibles légitimes, cela ne signifie-t-il pas que les responsables du Pentagone et, sans doute, ceux du Congrès le sont aussi ?
(3) Le fait que ce complot mettait en scène ‘’des appareils téléguidés bourrés de pains de plastique’’ est trop gros pour être commenté ; en fait, la seule question qui mérite d’être posée est de savoir si le gouvernement américain peut poursuivre Ferdaus pour avoir transgressé les brevets de pilotage de drones. Au-delà de l’ironie de cette situation, il n’est pas d’expression assez forte pour qualifier l’abjection nécessaire à vouloir s’en prendre à de tels édifices au moyen de mini-avions téléguidés.
(4) Les ressources du FBI ne seraient-elles pas mieux employées à détecter et démanteler de véritables complots terroristes – s’il en existe – plutôt que d’en fabriquer de toutes pièces pour ensuite les déjouer ? Cultiver la haine envers les États-Unis et vouloir leur nuire (ou tout autre pays) n’est de fait pas un crime ; tout au plus, cela constitue-t-il un crime de la Pensée. Il ne devient un crime que lorsque l’on franchit la frontière en transformant le projet en réalité. Des millions de gens, à un certain stade, cultivent le désir de nuire à d’autres par la violence, mais ne passent jamais à l’acte : peut-être est-ce même vrai pour une majorité d’êtres humains. Beaucoup d’entre eux n’agiront jamais en l’absence du type d’appui hautement sophistiqué et expert dont seul le FBI est capable. Fabriquer des criminels – contrairement à la recherche et à l’arrestation de véritables criminels – constitue-t-il réellement une activité prudente pour le maintien de la loi ?
(5) Le FBI consacre-t-il autant de ressources pour infiltrer les communautés non-musulmanes afin de convaincre et inciter leurs extrémistes à devenir des terroristes pour pouvoir ensuite les arrêter ? Infiltrent-ils le monde de l’antiavortement, ou le monde du christianisme radical, ou les radicaux de droite antigouvernementaux, en essayant de les recruter en vue de perpétrer des complots terroristes montés de toutes pièces ?
(6) Comme d’habitude, la presque totalité de la couverture médiatique des complots du FBI est aussi sensationnelle que partisane. Le premier paragraphe de l’article du New York Times sur cette affaire décrivait le complot dans ces termes ‘’pour rayer de la carte le Pentagone et le Capitole’’. Mais les charges du FBI contre Affidavit (reproduites ci-dessous) montrent clairement que le plan de Ferdaus consistait à envoyer un seul modèle réduit d’avion (tout au plus de la taille d’un dixième d’un véritable jet américain) sur le Capitole et deux du même type sur le Pentagone, chacun chargé de ‘’2.5 kilos’’ d’explosifs (# 70) ; le Capitole devait subir l’attaque au niveau de son dôme pour garantir l’ « effet psychologique » (# 34). Les États-Unis lancent régulièrement des bombes de 250 kilos ou 500 kilos depuis leurs avions de chasse ; ce complot – même s’il avait été parfaitement exécuté par une personne autre qu’un loup solitaire sans expérience – ne pouvait en aucun cas, ‘rayer de la carte’ à la fois le Capitole et à distance, le Pentagone.
(7) Comme on le découvre désormais dans presque chaque affaire de prétendu complot terroriste contre les États-Unis – en particulier ceux des « terroristes locaux » – le mobile se trouve être un sentiment de colère incontrôlé (et un désir de vengeance) contre la violence permanente exercée par les États-Unis contre des civils musulmans. Voici, disséminées au travers de l’accusation Affidavit, quelques indications quant aux mobiles de Ferdaus, dont sa jubilation à l’idée de tuer des soldats américains en Irak ; son aveu exprimant son ‘’vif intérêt de se rendre en Afghanistan’’ pour aider les insurgés ; sa déclaration selon laquelle ‘’il désirait ‘décapiter’ le ‘centre militaire’ du gouvernement américain et perturber sérieusement…la tête et le cœur du serpent’’ (# 34) (comparez les éléments de langage avec la façon dont les États-Unis ont décrit ce qu’ils ont essayé de faire à Bagdad). Utiliser des drones pour décapiter la structure dirigeante et l’infrastructure gouvernementale d’une nation en guerre ; on peut se demander d’où lui vient cette idée.
Selon le FBI, voici comment Ferdaus s’est exprimé lorsque lui fut clairement demandé pourquoi il voulait commettre un attentat contre les États-Unis :
Parce que ca aurait été une énorme secousse… le truc, c’est que vous voulez les effrayer pour qu’ils sachent qu’ils ne doivent pas foutre le bordel… Ils ont… tué des gens de chez nous, des innocents, hommes, femmes, enfants ; ils sont tous des ennemis (# 19).
Si les allégations du FBI sont exactes, il ne fait alors aucun doute que la haine de Ferdaus s’est renforcée ; il parle de sa volonté de tuer des civils américains parce qu’ils sont devenus une fraction de l’ennemi, et affirme que de tels attentats faisaient partie de ses fantasmes bien avant que l’informateur du FBI ne lui ait parlé.
Vrai ou pas, il est simplement illusoire de croire que l’on peut clamer haut et fort pendant une décennie NOUS SOMMES EN GUERRE –, lancer des bombes et des attaques de drones, décimer des familles dans nombre de pays musulmans (après avoir occupé, interféré politiquement et tué un grand nombre de personnes) – sans que cela ne donne naissance à toujours plus de Rezwan Ferdaus. En fait, la seule chose surprenante est qu’il en existe tellement peu qui sont capables et désireux de s’attaquer [aux USA] que – dans le but de justifier cette interminable guerre contre les libertés civiques (et le terrorisme) – le FBI est obligé de rechercher ceux qu’ils peuvent recruter, convertir, persuader, financer, et diriger pour mener à bien ces complots.
Glenn Greenwald
Traduction Vincent pour ReOpenNews (Ndlr : pour certains des liens URLs, se reporter à l’article original)
En lien avec cet article :
- L’omnipotence d’al-Qaïda et l’insignifiance du « Terrorisme » | par Glenn Greenwald, sur Salon.com, le 23 juillet 2011
- L’implication du FBI dans le terrorisme aux Etats-Unis | par Jean Marc Manach sur Bug Brother (blog hébergé par LeMonde.fr) le 29 septembre 2011
- Les Quatre Pathétiques de Newburgh | 04.07.11 | par Ted Conover sur Slate.com le 23.11.10
- Le danger terroriste est quasiment inexistant | 13.12.10 | par Gregor Seither sur IES News Service le 07.12.10 repris par Libertés Internets
- 25 Américains seulement sont morts des suites du terrorisme l’an passé, moins que d’accidents de voitures, de la grippe, ou de morsures de chiens (2e article) | 13.12.10 | par Zaid Jilani sur Think Progress le 10.08.10
- Quand le FBI déjoue un attentat… du FBI | 30.11.10 | paru sur lesmotsontunsens le 28.11.10
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