Mort de Ben Laden : nous avons déjà vu le film
La culture cinématographique "hollywoodienne" aurait-elle le pouvoir de conditionner le peuple américain (et pas seulement lui) à accepter ce mauvais scénario de série B américaine que constitue le récit mal ficelé de l’assassinat de Ben Laden le 1er mai au Pakistan ? C’est l’idée que défend le professeur en Arts & Nouveaux Médias Jean-Noel Lafargue sur le site Owni.fr. M. Lafargue relève notamment certains détails de séries ou de films bien connus (24 Heures, Mission impossible, etc…) ou encore de jeux-vidéo, qui rappellent furieusement ce que nous racontent les autorités US aujourd’hui. Comme le dit l’auteur, avec cet épisode de la mort de Ben Laden, "la frontière qui sépare la fiction de la réalité me semble bien fine, l’une servant souvent à justifier l’autre, et réciproquement."
Hollywood, symbole modial du mythe du cinéma
Mort de Ben Laden: nous avons déjà vu le film
par Jean-Noël Lafargue, sur Owni.fr, le 11 mai 2011
Jean-Noël Lafargue analyse l’assassinat du chef d’Al-Qaida à l’aune d’un pilier du soft power américain, la culture. Cinéma, comics, séries télévisées, jeu vidéo nous ont préparés à trouver normal cet événement à la réciproque inimaginable.
Des militaires d’élite américains ont exécuté Oussama Ben Laden dans sa propriété d’Abbottabad, au Pakistan, sans s’être donné la peine d’avertir les autorités de ce pays. Une telle action n’a pas de réciproque possible. On n’imagine pas, par exemple, les services secrets britanniques venir sur le sol américain venger leurs morts en assassinant Wernher von Braun, inventeur des missiles V2 dont plusieurs milliers ont été lancés sur Londres pendant la Seconde Guerre mondiale et dont la fabrication a causé la mort de milliers de déportés employés à leur fabrication. Non, Wernher von Braun est mort dans son lit aux États-Unis, où il a eu le temps de participer au succès de deux grands mythes modernes de son pays d’adoption, la Nasa, qu’il a contribuée à créer, et la société Disney, avec qui il a réalisé des films éducatifs et prospectifs.
Ce destin n’a rien de comparable avec celui d’Oussama Ben Laden bien entendu : von Braun n’était qu’un ingénieur ayant mis ses recherches au service du Reich, de gré ou de force, tandis que Ben Laden est un chef de guerre et un chef religieux a priori totalement responsable de ses actes1. Si je fais ce parallèle malgré tout, c’est parce que le mélange de recherche scientifique, de responsabilité militaire, de propagande politique et d’entertainment qui font la carrière de Wernher von Braun et qui constitue un mélange a priori farfelu est en fait une illustration typique du lien qui existe aux États-Unis entre science, armée, politique, propagande et industrie culturelle.
Captain America démolit le portrait d’Adolf Hitler en 1941 puis s’occupe de l’empereur Hiro Hito dès l’année suivante. Superman ou Tarzan en ont fait de même, comme tous les héros costumés, jusqu’à l’ombrageux dieu Namor qui a accepté de quitter son humeur misanthrope pour démolir des sous-marins nazis. Même l’entreprenante petite orpheline Annie, fille adoptive d’un marchand d’armes, a mis sur pied les "Junior Commandos", une troupe d’enfants affectés à alerter les adultes si des soldats allemands ou japonais avaient été repérés dans leur voisinage. Le cinéma ou le dessin animé ont été touchés par le même mouvement patriotique qui, bien que spontané et œuvrant à la libération de l’Europe et de l’Asie, relève pourtant bel et bien de la propagande.
En effet, s’il semble naturel pour les Américains d’avoir exécuté un Saoudien sur le sol pakistanais, si cela nous semble logique à tous, ce n’est pas par respect pour la première puissance financière et militaire du monde ni par assentiment envers une justice expéditive des plus suspectes, c’est que nous avons déjà vu le film.
Nous l’avons vu sous différentes formes plus ou moins fantaisistes, par exemple dans The West Wing, où le président Bartlet commande à distance des opérations militaires de récupération d’otages, dans une mise en scène proche de celle de la désormais célèbre photographie du président Obama et de son équipe :
Presque un épisode de la série "The West Wing".
Nous l’avons aussi vu dans 24 heures Chrono ou dans Alias, séries dont même le climat de suspicion (qui manipule qui exactement, qui ment, quelle est la vérité ?) semble avoir inspiré la communication erratique de l’équipe gouvernementale américaine, plusieurs fois reconstruite : pourquoi n’y a-t-il pas de photo ? Pas de corps ? Comment Ben Laden a-t-il été surpris, était-il armé, a-t-il résisté, comment est-il mort ?…
On se rappellera de la première version qui avait été donnée lors d’une conférence de presse : se servant d’une femme comme bouclier humain, Ben Laden aurait été abattu d’une balle en pleine tête.
Dans l’émission Place de la Toile du 8/05, le philosophe des sciences Mathieu Triclot faisait remarquer que ce scénario était similaire à un épisode du jeu Call of Duty: Black Ops, édité il y a six mois par la société Activision et où le joueur, qui incarne un agent de la CIA, se retrouve à tuer Fidel Castro d’une balle en pleine tête alors qu’el commandante (qui s’avérera être un sosie) tente lâchement de s’abriter derrière une femme.
Call of Duty: Black Ops (fin 2010)
Dans les fictions qu’ils produisent, par exemple Mission: Impossible2, les Américains sont habitués à trouver tout naturel d’entrer et de sortir de pays étrangers comme s’ils étaient chez eux ou de pratiquer leur justice sans s’embarrasser de droit international.
Le cinéma venait tout juste de naître quand le studio Vitagraph a produit son premier film de propagande, en reconstituant et en mettant en scène un épisode guerrier censé justifier la guerre hispano-américaine (1898) ; en 1933, le justicier Doc Savage explique à des Sud-Américains que son pays n’hésitera pas à les envahir s’ils ont la mauvaise idée d’attenter à ses intérêts en nationalisant leurs mines d’or ; les exemples de justification d’ingérence sont innombrables.
Après une période de remise en cause importante (Civil Wars, série publiée en 2006-2007 pendant laquelle Captain America s’élevait contre la restriction des libertés des super-héros par le gouvernement américain – allusion à peine voilée au Patriot Act), le héros à la bannière étoilée choisit son camp et empêche de nuire un activiste qui s’est attribué son costume (qui est en quelque sorte son double et affirme partager ses valeurs) pour diffuser des informations secrètes qui, bien que vraies, peuvent mettre des vies en danger. On lira ici une réponse à Julian Assange, Bradley Manning et Wikileaks : "vous avez peut-être raison, vous êtes peut-être de bonne foi, mais on ne va pas vous laisser faire pour autant." (Secret Avengers #12.1).
En revanche — et ce n’est pas un hasard —, les fictions américaines sont chargées de méfiance envers tout ce qui vient d’ailleurs. On peut trouver ça paradoxal concernant un pays qui s’est précisément construit et qui continue de se construire par l’accueil régulier d’étrangers, mais c’est plutôt rusé : en ne donnant à l’étranger que le choix entre un patriotisme exalté d’une part et, d’autre part, le soupçon d’être un saboteur, un poseur de bombes ou un assassin potentiel du président, il n’y a pas vraiment de marge de manœuvre.
Pas besoin de rappeler ici le nombre de fictions qui s’intéressent aux extra-terrestres, qualifiés d‘aliens (mot qui, on finira par l’oublier, signifie juste « étranger »), de visiteurs ou d’envahisseurs. Ce qui vient d’ailleurs est suspect et l’hyper-vigilance américaine a abouti à ce que ce pays ne soit, malgré des dizaines de guerres en un siècle, jamais véritablement attaqué sur son sol par d’autres pays3
Mars Attack (1996) est, malgré ses clins d’œil parodiques au cinéma des années 1950, le film le plus politique de Tim Burton. Il s’ouvre par une séquence où un redneck raciste demande à son voisin philippin si c’est le Nouvel An dans son pays, car il sent une odeur épouvantable de viande brûlée. Après une guerre sans merci contre des extraterrestres particulièrement fourbes, l’Amérique sauvera le monde grâce à la chanson "Indian love call" de Slim Whitman et pourra se reconstruire en partant de Las Vegas, la cité du divertissement. Jack Nicholson incarne ici un des rares présidents américains du cinéma qui soit à la fois bête et couard.
Outre les pays étrangers qui sont vus comme un terrain de jeu et l’étranger dont on se méfie, les fictions populaires4 américaines diffusent assez insidieusement plusieurs autres clichés, comme la figure du président des États-Unis — parfois trompé par ses conseillers, mais foncièrement honnête et courageux5, parfois même homme d’action, par exemple dans Air Force One ou Independance Day —, le goût pour la victoire6 et le refus systématique de la défaite militaire (qui ne saurait être que provisoire), comme le montre de manière éloquente le livre Diplopie, de Clément Chéroux, où l’on voit que la presse américaine a spontanément remplacé les images catastrophiques du World Trade Center attaqué par des clichés de pompiers érigeant le drapeau américain sur les ruines de Ground Zero dans une parodie d’une célèbre photographie de victoire lors de la bataille d’Iwo Jima.
La photo "Raising the Flag on Iwo Jima" (image de gauche), par Joe Rosenthal a été reprise et pastichée très souvent dans des fictions, sur des couvertures de comic-books ou même dans le "monde réel".
En conclusion, je dirais une fois de plus que la frontière qui sépare la fiction de la réalité me semble bien fine, l’une servant souvent à justifier l’autre, et réciproquement.
Jean-Noël Lafargue
Billet initialement publié sur Le dernier blog sous le titre “Opérations extérieures”.
Notes de l’auteur :
- Un parallèle plus évident aurait été d’imaginer l’assassinat, par des Soudanais, de l’ancien président Clinton qui, pour détourner l’attention du public en pleine affaire Lewinsky, avait lancé un raid punitif contre ce qu’il avait qualifié d’usine d’armement terroriste et qui s’est avérée n’être que la principale usine de médicaments du pays, notamment d’aspirine, causant, selon l’ambassadeur allemand au Soudan à l’époque la mort de dizaines de milliers de civils. On pourrait aussi imaginer des habitants de l’État du Madhya Pradesh qui viendraient sur le sol américain punir les dirigeants de Dow Chemicals responsables de la catastrophe de Bhopal, qui a fait plusieurs milliers de morts. En fait, de Santiago du Chili à Hiroshima en passant par le Moyen-Orient, des centaines de millions de gens ont des raisons directes de reprocher sa politique extérieure aux États-Unis. [↩]
- Au sujet de Mission : Impossible, j’ai lu récemment une interview de l’actrice Barbara Bain qui expliquait que de nombreux épisodes de la série relataient des évènements qui ont effectivement eu lieu, mais que ni l’équipe ni le public n’y voyait autre chose qu’une fiction fantaisiste à l’époque. En fait, un des scénaristes était (selon Barbara Bain) véritablement proche des services secrets américains. [↩]
- Ce sera pour une autre fois mais je réalise qu’il faudrait s’intéresser au cinéaste new-yorkais (et sans doute fallait-il l’être) Barry Sonnenfeld qui, dans son adaptation du comic-book Men in Black ou dans sa relecture de La Famille Addams a affirmé très clairement le droit à la différence et à l’étrangeté, le droit de vivre sur le sol américain sans pour autant s’imposer d’entrer dans le moule, en ayant le droit de conserver ses coutumes, ses bizarreries, pour peu, tout de même, de rester caché. [↩]
- Le peuple n’est pas seulement la cible des fictions populaires mais aussi, comme l’a écrit Umberto Eco, leur commanditaire. [↩]
- Au fait, les Américains auraient-ils élu Barack Obama président si la série 24 n’avait pas préparé l’idée d’un président noir avec le personnage de David Palmer ? [↩]
- Dans U-571, par exemple, les Américains s’attribuent un fait de guerre historique bien réel, mais britannique et ayant eu lieu des mois avant l’entrée en guerre des États-Unis. [↩]
En lien avec cet article :
- Paul Craig Roberts : Mort de Ben Laden, les Américains vivent dans le 1984 de George Orwell | par Paul Craig Roberts, sur GlobalResearch.ca, le 11 mai 2011
- Paul Craig Roberts : La seconde mort d’Oussama Ben Laden | par Paul Craig Roberts, mondialisation.ca, Le 3 mai 2011
- Mort de Ben Laden : Est-ce la fin de l’Histoire ? | par le Pr Chems Eddine Chitour, mondialisation.ca, le 7 mai 2011
- Ben Laden affaibli par une dialyse selon l’expert Richard Labévière | sur oumma.com, le jeudi 5 mai 2011
- L’impuissance des élections | paru sur Investig’action, le 11 nov. 2010
- L’empire américain est ruiné par ses guerres | par Eric Margolis, sur ContreInfo | 10 février 2010
- La Vérité est tombée en emportant la Liberté avec elle | par Paul Craig Roberts sur CounterPunch | 24 mars 2010
« un épisode du jeu Call of Duty: Black Ops, édité il y a six mois par la société Activision et où le joueur, qui incarne un agent de la CIA, se retrouve à tuer Fidel Castro d’une balle en pleine tête »
Y a vraiment ça dans Call of Duty ? ò__Ô Je savais que les FPS avaient souvent un côté patrotico-pouet-pouet, mais à ce point-là…
Ce dont je me doutais se trouve confirmé. Ah, l’intuition.
Donc, bonne analyse, forcément!
Les jeux vidéos ne servent, c’est une évidence pour les gens ayant suffisamment conscience du monde qui les encercle, qu’à cela: isolation du sujet, névroses, violence contenue/exacerbée, malaxage des bas instincts, abrutissement, fatigue…..
Dans d’autres textes, on relèvera aussi l’association, plutôt que les simples liens, entre Hollywood et le Pentagone et l’armée.
Hollywood reste la première arme de destruction massive des Etats-Unis. Vous ne verrez plus jamais les films comme avant qu’ils disaient. Tu m’étonnes!
Pour info:
http://www.fnac.com/BD/9-11-prelude-au-11-septembre-2001/cp8048/w-4?SpaceID=2#bl=HGACPAS1
A la une
9/11 prélude au 11 septembre 2001
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Découvrir la série 9/11
Neuf ans après les attentats du World Trade Center, Oussama Ben Laden et Al Qaida, inspirent toujours autant les créateurs de fiction, et donc bien sûr les auteurs de bande dessinée.
La saga 9/11 retrace les événements qui ont conduit au drame du 11 Septembre 2001. Cette série, admirablement documentée, nous emmène sur les traces de Ben Laden, d’Arabie Saoudite au Pakistan, en passant par les agences de renseignement américaines et le monde de la finance internationale.
Eric Corbeyran, décidément très actif (et on ne va pas s’en plaindre), est ici le maître d’oeuvre, en binôme avec Jean-Claude Bartoll, ancien grand reporter, de ce 9/11 qui tente de démêler, en empruntant les voies de la fiction, les méandres complexes et profonds de cette page d’histoire contemporaine traumatisante. Les faits, relatés avec rigueur, prennent à la lumière de l’actualité de ces derniers jours la dimension d’un thriller haletant, pour ne pas dire glaçant…
Oui, il y a vulgarisation (le support l’exige, on s’en doute), mais dans le bon sens du terme. On a cherché à donner à voir, à faire comprendre, et non à simplifier, nuance…
A l’image du travail de documentation, le trait du dessinateur Jeff se veut méticuleux et soucieux d’englober un maximum de détails (on parlera même de rendu photographique pour certains passages) afin de cerner au mieux un sujet difficile, tant thématiquement qu’émotionnellement.
On ne va pas vous mentir, il s’agit là d’une série plus complexe à lire que la plupart des titres d’espionnage qui sortent en bande dessinée. Mais c’est aussi le grand mérite de ce titre qui entend proposer, au-delà de la simple distraction bédéphilique, une fiction réaliste (car basée sur des faits réels), pour ne pas dire une tentative d’explication des évènements, sans jamais tomber dans le sensationnel, l’approximatif, le délire conspirationniste ou l’opportunisme.
Alors oui pour le coup, on parlera d’une vraie réussite !
Publié le 04/05/2011
En fait je me demandais si obama et son equipe était pas en train de se faire une petite partie de call of duty.
Ce qui me fait bien rire, si on peut dire, c’est la queue de cet » hélicoptère ultra secret », deja comment croire que l’armèe americaine a pu laissé, a la vu des photographes une partie d’un appareil secret qu’aucun expert ne connait, et je me demande aussi comment l’hélico a évacué la zone sans sa queue, surement pas en volant en tout cas..
c’est vraiment la pseudo preuve pour tenter de faire croire a « l’opération ben laden »
Pour Grospanda :
http://i.imgur.com/rBYu8.jpg