L’Islande, terre d’asile pour la presse ?

A l’heure où les journalistes italiens manifestent dans les rues de Rome contre  la Loi Bavaglio sur les écoutes téléphoniques (interprétée par les journalistes comme une menace pour la liberté de la presse), où les autorités américaines parlent de "bombarder virtuellement le site Wikileaks pour le faire taire, va-t-on voir les véritables journalistes d’investigation commencer à s’expatrier en Islande pour échapper aux menaces ou aux poursuites liées à la diffusion d’informations qu’ils opèrent ? Au vu des lois qui doivent bientôt y être votées, c’est en tout cas un scénario possible d’après cet article de Bakchich.info.

 


"Le poids des mots"
Dessin de Bar

 


paru du Backchich.info le 2 avril 2010

 

Une proposition de loi vise à doter l’Islande de la législation la plus avancée au monde en matière de protection de la liberté d’information. Ça pourrait déménager !

Pour l’Islande, le 2 août 2009 pourrait devenir une date plus importante que la création du Parlement en l’an 930.

Ce soir-là, le journal télévisé de la RUV doit faire des révélations fracassantes sur les agissements des dirigeants de la banque Kaupthing, l’une des trois banques nationalisées in extremis fin 2008 avant qu’elles n’entraînent la quasi-banqueroute d’un pays dévasté par la corruption de son secteur financier. Au lieu de cela, les téléspectateurs, consternés, apprennent que la Kaupthing a obtenu une ordonnance interdisant la diffusion du reportage.

RÉVOLUTION

L’affaire, qui a provoqué un énorme scandale dans l’île de 320 000 habitants, est à l’origine d’une révolution en marche : dix-neuf des soixante-trois députés islandais ont déposé une proposition de loi visant à doter le pays de la législation la plus avancée au monde dans le domaine de la protection des libertés d’expression et d’information.

Le projet, baptisé Immi (Icelandic Modern Media Initiative), est ambitieux : attirer les ONG qui luttent pour la défense de la liberté d’expression, les éditeurs Internet, les groupes de presse, grands et petits. Bref, tous ceux qui, de près ou de loin, se consacrent à l’investigation et rencontrent des difficultés croissantes pour exercer leur métier.

Pour plusieurs journalistes anglais du Guardian confrontés aux dispositions liberticides de la législation anglaise en matière de diffamation, le constat est sans appel : que l’édition en ligne de leur journal soit réalisée à Londres, New York, Paris ou Reykjavik ne fait aucune différence pour le lecteur dès lors qu’il y trouve son compte. En revanche, un environnement juridique protecteur faciliterait grandement la tâche de la presse d’investigation, notamment en réduisant les coûts judiciaires. Ce type de délocalisation est déjà une réalité : notamment vers la Suède afin de bénéficier de sa remarquable loi sur la liberté de la presse. Autre exemple, celui de Malaysia Today, qui a fini par déménager aux États-Unis pour mettre un terme aux persécutions que le journal subissait.

Discrètement conseillés par des juristes comme l’ex-juge d’instruction Éva Joly et par des militants de la liberté d’expression tel Julian Assange, le fondateur du site Wikileaks.org, dont la spécialité est de révéler les documents que les gouvernements veulent cacher à leurs citoyens, les députés islandais sont partis à la pêche aux législations offrant la meilleure protection des sources et des dénonciateurs de scandales.

Au hit-parade de ce Graal journalistique, la loi belge de 2005 qui garantit notamment la confidentialité de la communication entre un journaliste et sa source. Les lois sur la liberté de l’information danoise et norvégienne de 1970 ont également été épluchées par les parlementaires islandais. Sans oublier la loi américaine dite USA Federal False Claims Act protégeant – enfin – les fonctionnaires fédéraux qui dénoncent les scandales dont ils peuvent être témoins.

Les descendants de Vikings semblent aussi avoir apprécié la New York Libel Terrorism Protection Act et la législation équivalente adoptée par l’Etat de Floride en juillet 2009, qui s’opposent à l’exécution de tout jugement d’où qu’il vienne, dès lors qu’il paraît contraire au premier amendement de la Constitution sur la liberté d’expression.

LE PRÉCÉDENT WIKILEAKS

Julian Assange a longuement exposé aux Islandais le conflit qui l’a opposé à la Commission sud-africaine de la concurrence (Sacc) en décembre 2008.

À l’époque, la Sacc avait publié un rapport sulfureux de 590 pages sur une entente occulte entre les quatre principales banques du pays. Le rapport, qui n’avait pas été rendu public par crainte des réactions des clients grugés, s’était retrouvé sur Wikileaks. La Sacc demanda rapidement son retrait, injonction que le site déclina. Le gouvernement sud-africain déposa une plainte afin d’identifier et de sanctionner la source de la fuite.

En réponse, Wikileaks porta à la connaissance de la Sacc que si l’information judiciaire était ouverte, les enquêteurs sud-africains risquaient des poursuites pénales en vertu des lois belge et suédoise. Wikileaks avait en effet protégé la communication entre le journaliste et sa source par l’intermédiaire de la Belgique et de la Suède d’où le rapport avait été publié. Ces deux législations pouvaient donc être invoquées pour exiger l’arrêt de l’enquête et pour laisser planer de sérieuses menaces pénales à l’encontre des enquêteurs sudafricains en cas de visite dans les deux pays. Il faut croire que les avocats d’Assange furent convaincants puisque l’information judiciaire fut abandonnée et la source protégée.

PARADIS

Nul doute que si son Parlement vote la proposition des dix-neuf députés en juin prochain, l’Islande deviendrait le premier paradis de la presse. Et pourrait voir rapidement s’installer sur son sol, la crème de la crème mondiale du journalisme d’investigation. Un cauchemar pour les tristement célèbres cabinets d’avocats britanniques qui prospèrent sur les décombres de plus en plus abondants du droit d’expression et d’information.

2 Responses to “L’Islande, terre d’asile pour la presse ?”

  • Luisa

    Si les journalistes d’investigation s’installent aisement en Islande, les Etats-Unis n’auront d’autre choix que de censurer le net de facon a les faire taire. Nous n’aurons aucun droit a l’information.

    Si toutefois les Americains echouent, alors les journalistes seront probablement traques et possiblement assassines en laissant croire a un « accident ».





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