Les Britanniques se penchent sur leur guerre d’Irak

La commission d’enquête sur la participation controversée du Royaume-Uni à la guerre en Irak a commencé ses audiences publiques mardi dernier. Cette information a largement été couverte par la presse internationale. Voici une sélection de trois articles sur le sujet.


 John Chilcot, le responsable de la commission Chilcot, à Londres, le 20 juillet 2009
 


L’humanité (France), le 25/11/09 :

Blair au cœur du mensonge irakien

Une enquête officielle explosive s’ouvre à Londres sur le bilan de la participation britannique à la guerre d’Irak et le mauvais rôle joué par l’ex-Premier ministre.

Londres, correspondance particulière.

Si Tony Blair n’a pas pu obtenir le rôle vedette qu’il espérait au sein de l’Union européenne, il se voit contraint maintenant de monter sur scène pour livrer une interprétation dont il se serait certainement bien passé : s’expliquer sur la guerre en Irak. Au bout de plusieurs années d’attente, une enquête publique a été ouverte hier à Londres pour examiner toutes les circonstances qui ont mené l’ancien premier ministre britannique à se lancer avec son ami, l’ancien président George W. Bush, dans cette guerre désastreuse en 2003. Présidée par un haut fonctionnaire d’État retraité, sir John Chilcot, l’enquête se déroulera principalement en public, contre la volonté du successeur de Blair, le malchanceux Gordon Brown. L’actuel premier ministre aurait préféré que cet exercice d’assainissement des écuries d’Augias ait lieu à huis clos, pour ne pas provoquer la moindre vague. Mais la pression de l’opinion britannique et des familles des soldats qui réclamaient cette enquête « indépendante », et voulaient tout savoir, en a décidé autrement. En effet, c’est la cinquième enquête concernant la guerre, mais la première en tout cas qui aura accès à tous les documents officiels s’y rapportant depuis 2001. Chilcot s’est donné pour but d’arriver à « une représentation pleine et profonde » de tout ce qui s’est passé, ce qui constitue une tâche considérable. L’enquête pourrait ainsi durer plus d’un an et ne pas être terminée avant les législatives du printemps prochain.

Une menace jamais avérée.

Parmi les témoins figureront Tony Blair, ses ministres, ses conseillers, les chefs militaires, les fonctionnaires des ministères de la Défense et des Affaires étrangères, ainsi que des familles de soldats tués et blessés en Irak. Bien des révélations ont d’ores et déjà été faites peu avant l’ouverture même de « l’enquête Chilcot ». Il apparaît ainsi évident que Blair préparait la guerre avec Bush bien avant la date de son lancement effectif, tout en assurant au Parlement qu’il ne faisait rien de tel. On sait aussi que Blair a fourni à la presse, à l’instar de Bush, un faux dossier concernant des armes de destruction massive qu’en réalité Saddam Hussein ne possédait pas. Cette menace, jamais avérée, avait contribué à justifier la participation de la Grande-Bretagne à l’invasion de l’Irak en mars 2003.

D’autres questions vont être examinées par la commission, comme par exemple les jeux diplomatiques déployés pour couper court aux efforts de l’ONU qui tentait d’éviter une guerre, considérée aujourd’hui comme illégale. L’état lamentable de préparation de l’armée britannique figure aussi à l’ordre du jour de l’enquête. On sait qu’il n’existait aucune stratégie planifiée pour l’après-Saddam. Et les enquêteurs devraient se pencher sur les abus, les tortures et les massacres imputés aux « libérateurs » de l’Irak.

Tony Blair, « caniche de Bush »

En mars 2003, plus d’un million de personnes avaient manifesté à Londres pour dénoncer la guerre et l’alignement sur les États-Unis, qui vaudra à Blair le surnom peu flatteur de « caniche de Bush ». Les Britanniques vont revivre une des pages les plus controversées de leur histoire récente, qui se sera finalement soldée par le départ forcé de Blair en juin 2007.

Des inquiétudes et des 
interrogations subsistent. Parmi les membres de la commission ne figure aucun juriste habitué des contre-interrogatoires de témoins. Chilcot a lui-même précisé : « L’enquête n’est pas un tribunal et personne n’est en procès. » Certains documents pourraient également faire défaut. Durant l’époque Blair, les grandes décisions, prises en petits comités, n’étaient pas toutes forcément consignées. L’ex-Premier ministre, qui possède des qualités de caméléon, va-t-il pouvoir encore dissimuler sa culpabilité ?

Peter Avis

Le Quotidien d’Oran (Algérie), le 25/11/09 :

Retour sur mensonge

Par M. Saadoune

Quelques mois après le retrait quasi total de ses troupes en Irak, le Royaume-Uni a commencé à procéder à l’examen des conditions d’engagement de son armée aux côtés de celle des Etats-Unis lors de la guerre d’invasion de 2003. Contrairement aux deux enquêtes qui l’ont précédée, les travaux de la Commission présidée par John Chilcot, qui ont officiellement débuté hier, seront exhaustifs et les auditions intégralement publiques.

Tous les acteurs de l’engagement britannique, qu’ils soient politiques, militaires ou relevant de la haute administration, devraient être auditionnés. Le clou de cette parade sera, bien sûr, la déposition de Tony Blair qui, en sa qualité de Premier ministre, assume la responsabilité de la participation de son pays à une guerre inutile et criminelle déclenchée sur une base fallacieuse.

 L’objectif de la commission Chilcot est de produire un rapport «complet et informé» sur le processus de décision qui a débouché sur une aventure militaire aussi illégale qu’impopulaire. Nul n’ignore aujourd’hui que l’existence d’armes de destruction massive martelée par George Bush et Tony Blair était une pure fiction. Ce que la Commission présidée par John Chilcot devra vérifier au premier chef est le degré de sincérité de Blair et du personnel dirigeant. Il s’agira de déterminer si réellement les services de renseignements ont été intoxiqués ou si la direction britannique a délibérément menti et fabriqué des fausses informations pour justifier son engagement.

La thèse de l’intoxication des médias est favorisée par de nombreux observateurs politiques qui ont démonté les différentes phases d’une campagne massive de manipulation de l’opinion par les «spin doctors», dont le notoire Alistair Campbell, communicateur et faiseur d’image du Premier ministre.

Les voix qui exprimaient leur scepticisme quant à la réalité des armes de destruction massive irakiennes avaient été littéralement bâillonnées. On se souvient que le docteur David Kelly, un des experts en armement qui avait osé contester des thèses basées sur de fausses preuves, est mort de manière suspecte quelques jours après des déclarations à la BBC.

La commission Chilcot n’est pas un tribunal, et à ce stade, il n’est pas – pas encore ? – question de juger qui que ce soit. Il s’agit de faire la lumière sur un moment politique crucial et d’en informer le public. Le Royaume-Uni montre ainsi qu’il est un Etat de droit digne de ce nom, en mesure de regarder en face son passé récent et de situer clairement les responsabilités des uns et des autres.

Les Etats-Unis, incapables du même exercice, en sont à tenter de gérer les terribles répercussions des options stratégiques des néoconservateurs, sans pouvoir tirer le moindre bilan de la propagande criminelle d’une partie critique de l’establishment politique. Ni Donald Rumsfeld, ni Dick Cheney, ni Condoleezza Rice, sans même évoquer leur chef, coupables d’autant de déclarations mensongères, ne sont le moins du monde invités à s’expliquer. Au contraire, le président Obama, acculé par le complexe militaro-industriel, n’en finit pas de reporter l’annonce de sa décision inéluctable d’envoyer des troupes supplémentaires en Afghanistan.

Des deux côtés de l’Atlantique, le rapport de pouvoir est ainsi clairement établi entre partisans du droit et ceux des logiques de force.

The Observer (Royaume-Uni) repris par Courrier international, le 24/11/09 :

N’attendez pas de surprises de l’enquête sur l’Irak

Une enquête publique très attendue sur la légalité de l’engagement britannique en Irak vient de s’ouvrir à Londres. Carne Ross, diplomate à l’ONU lors de l’invasion, dénonce un exercice futile, dont le scénario est déjà écrit.

Par Carne Cross

L’objectif déclaré de la commission Chilcot est de “tirer des leçons” de la planification et de la mise en œuvre de l’invasion de l’Irak en 2003, puis de son occupation. C’est précisément ce que demande le peuple britannique : qu’on apprenne des erreurs du passé. Malheureusement, il suffit de lire entre les lignes pour s’apercevoir que l’objectif de cette enquête est beaucoup plus insidieux.

Ce n’est pas la première fois que sir John Chilcot enquête sur l’Irak : il faisait également partie de la commission Butler [établie en juillet 2004 pour déterminer la validité des informations qui ont servi à justifier l’engagement britannique en Irak, elle n’a pas mis en cause le gouvernement]. C’est un peu comme de juger le même crime deux fois avec le même juge et le même jury.

Par ailleurs, une grande partie des témoins ont intérêt à confirmer la version du gouvernement, car ils ont activement participé à son élaboration. Il y a une chose dont on parle peu lorsqu’on aborde la question des politiques d’avant-guerre : c’est le fait qu’on n’a jamais véritablement examiné toutes les options possibles. Les témoins confirmeront sans doute qu’il n’y avait pas d’autre choix [que la guerre] et que les sanctions “ne fonctionnaient pas”. C’est faux : des documents internes du gouvernement permettent d’avancer que jusqu’en 2002 les sanctions ont empêché l’Irak de se réarmer en faisant l’acquisition de stocks importants ou d’armes de destruction massive conventionnelles.

Mais, pour connaître l’existence de ces options non militaires, il faut avoir accès à des informations détaillées concernant les politiques du gouvernement et les circonstances qui prévalaient à l’époque. La plupart de ceux qui sont en position de connaître ce genre de détails n’ont pas intérêt à les révéler au moment de l’enquête. Ils démontreraient ainsi leur complicité dans le choix de les ignorer.

L’enquête risque de se concentrer sur des responsables haut placés, mais ils ne sont pas nombreux à être véritablement au courant des tenants et des aboutissants de la politique britannique à long terme en Irak. Le ministère de la Défense britannique avait bien un spécialiste des questions complexes d’inspection d’armement et de programmes d’armes de destruction massive, mais il n’est malheureusement plus là pour offrir son témoignage. Il s’appelait David Kelly [il a été retrouvé mort près de son domicile en 2003, probablement un suicide]. [Note ReOpenNews : un groupe de médecins légistes conteste ces conclusions]

Etant donné ces faiblesses, pourquoi la commission Chilcot a-t-elle été, d’une manière générale, considérée comme légitime ? Les objectifs du gouvernement sont clairs : il souhaite prendre ses distances par rapport à des décisions que plusieurs des membres actuels du cabinet ont soutenues sans débattre ou exiger un tableau complet de la situation. Le cabinet n’a-t-il pas été mis au courant de l’avertissement des conseillers juridiques du ministère des Affaires étrangères sur le fait que la guerre en Irak était une guerre illégale d’invasion ?

Mais ce n’est pas tout : on veut aussi cacher le fait qu’un gouvernement – que ses dirigeants soient honnêtes ou non – ne puisse pas comprendre la réalité d’endroits comme l’Irak, et puissent encore moins y régner en tant qu’occupant. Un gouvernement peut seulement fonctionner en transformant une réalité complexe et changeante en un éventail de choix politiques simples, élaborés par des responsables comme moi, et présentés et défendus par des ministres.

Il est inconcevable de penser qu’un tel réductionnisme puisse rendre compte avec exactitude de la complexité d’un endroit comme l’Irak. Au Royaume-Uni, les inévitables erreurs de politique peuvent être corrigées grâce aux remarques adressées aux gouvernants par les gouvernés – par l’intermédiaire du Parlement, des médias et de la société civile notamment. En politique étrangère cependant, ce genre de “boucles de rétroaction” n’existe pas. Les gouvernements prennent parfois de bonnes décisions, mais celles-ci relèvent souvent plus de la chance que du jugement.

L’enquête Chilcot ne débouchera sur aucune conclusion embarrassante. Nous aurons droit à des révélations ; des erreurs et des fautes seront dévoilées. En résultera un document imposant, le “rapport Chilcot”, qui recommandera d’être à l’avenir plus consciencieux, d’encourager la transparence, de mieux vérifier les faits et de planifier les mécanismes.

 


Note ReOpenNews :

Dès le deuxième jour des auditions, le 26/11/09, les mensonges du gouvernement britannique ont été confirmés. Selon une brève publiée dans Courrier International :

Beaucoup s’en doutaient, mais c’est maintenant officiel. Quelques jours avant l’invasion de l’Irak en mars 2003, le gouvernement britannique savait que le programme d’armes de destruction massive (ADM) de Saddam Hussein, qui a servi à justifier l’intervention militaire menée par les Etats-Unis, avait été démantelé. "Le 10 mars, nous avons reçu un rapport nous informant que Saddam Hussein n’avait pas relancé le programme d’ADM et qu’il n’avait peut-être pas les missiles pour les lancer", a déclaré un ancien haut fonctionnaire devant la commission d’enquête sur l’engagement britannique en Irak qui a débuté ses travaux le 24 novembre à Londres, rapporte The Independent. Or le Premier ministre de l’époque, Tony Blair, avait présenté un dossier en 2002 affirmant que l’Irak avait les capacités pour déployer ces armes en quarante-cinq minutes. Une des tâches de la commission sera de déterminer si Blair, qui sera appelé à témoigner, a délibérément induit le Parlement en erreur. Elle rendra son rapport au plus tôt à l’été 2010.


 

2 Responses to “Les Britanniques se penchent sur leur guerre d’Irak”

  • M. Chilcot a été clair la semaine dernière. Suite à l’enquête, personne ne sera déclaré coupable et sera traduit en justice. Alors, à quoi sert cette enquête qui est défrayée par les payeurs de taxes.

    Ceci ressemble à l’enquête sur le 11 sept. suivi de « recommandations » afin que cela ne se « reproduise » plus.

    Il y a aussi une autre possibilité quoique bien mince. Pourquoi Gordon Brown ordonne-t-il cette enquête et pourquoi maintenant? Il est possible que que le Tribunal Pénal International ait demandé à l’Angleterre de faire cette enquête et de traduire les coupables en justice – un peu comme le rapport Goldstone sur les crimes de guerre dans Gaza.

    C’est dommage qu’une enquête de ce genre n’ait pas lieu aux Etats-Unis. A propos, on mentionne que cette enquête est couverte par la presse internationale. Non, non, non, pas aux Etats-Unis!!

  • Shrykull

    Clairement, il n’y a pas de surprise à attendre de ces auditions, mais elles ont au moins le mérite d’exister. Une telle enquête, si prévisibles soient ces conclusions, reconnaît que cette guerre était inutile et injustifiée, et donc que les soldats britanniques n’ont rien à faire là-bas.

    Ça soulève quand même une question cette affaire : imaginons que des personnes soient jugées pour cette guerre (on peut toujours rêver, non ?), qui devrait-on condamner ? Ne faudrait-il pas dans une telle affaire juger des médias qui ont martelé comme vraies des affirmations que tout le monde savait fausses ? Quelle part des services secrets et du gouvernement était vraiment au courant ? Dans quelle mesure ? Bref, un procès serait un vrai foutoir… dur dur.

    Pendant ce temps, Gordon Brown annonce l’envoi de 500 soldats supplémentaires en Afghanistan. À la bonne heure…

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