Pourquoi l’Unesco ne peut pas s’associer à Reporters sans frontières
par Salim Lamrani pour le réseau Voltaire
Le 24 mars 2008
Reporters sans frontières, qui avait tenté d’utiliser le patronage de l’UNESCO pour crédibiliser une nouvelle opération de propagande pro-US, a été désavoué par l’Organisation. En effet, les organisations internationales se doivent d’être impartiales. À ce titre, elles ne peuvent ni cautionner les accusations mensongères de RSF, ni valider sa démarche « de deux poids deux mesures » : approuver les censures, tortures et invasions lorsqu’ils sont le fait des États-Unis ; et condamner vigoureusement la moindre faute lorsqu’elle est commise par un État du tiers-monde. Surtout les organisations internationales ne peuvent accepter que des reproches soient faits à des États non pour les pousser à s’améliorer, mais pour les rendre plus vulnérables aux ambitions états-uniennes.
Siège de l’UNESCO à Paris
L’UNESCO retire son patronage à RSF
Le 11 mars 2008, l’Unesco, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, a décidé de retirer son patronage à la Journée pour la liberté sur Internet organisée par Reporters sans frontières (RSF), prévue le 12 mars. Marcio Barbosa, directeur général adjoint de la Division de la liberté d’expression, de la démocratie et de la paix de l’institution onusienne, a refusé d’associer l’Unesco aux campagnes politisées de RSF [2].
Le secrétaire général de RSF a fustigé la décision de l’Unesco en des termes très durs, mensongers, irrespectueux et grossiers :
« Nous ne sommes pas dupes. Plusieurs États, faisant partie de la liste des quinze ‘Énnemis d’Internet’ rendue publique ce jour, sont intervenus directement auprès de la direction générale de l’Unesco. Marcio Barbosa, le directeur général adjoint de cette organisation, a cédé. L’Unesco ne sort pas grandie de cette affaire. Elle fait preuve d’une grande lâcheté à l’heure où les États qui ont obtenu qu’elle se déjuge ainsi continuent à emprisonner des dizaines d’internautes. Malheureusement, il semble que nous soyons revenus vingt années en arrière, à l’époque où les régimes autoritaires faisaient la pluie et le beau temps, place Fontenoy à Paris. Que l’Unesco se soit ainsi déculottée témoigne de l’importance de cette journée et de la mobilisation contre les États censeurs [4]
Plusieurs sources diplomatiques de l’Unesco ont déclaré que l’organisation avait pris sa décision en raison du « manque d’éthique réitéré » de RSF, dans sa volonté but de jeter le discrédit sur un certain nombre de pays [6] ».
Mais cette position de principe s’effrite complètement au vu de la réalité. Le combat de RSF ne touche jamais les puissants. Une information parue dans le New York Times a illustré le double discours de l’entité française et démontre que RSF n’est en réalité aucunement intéressé par la « cybercensure dans le monde ».
Quand Washington censure Internet
Dans son édition du 4 mars 2008, le célèbre quotidien new-yorkais a rapporté une histoire surréaliste de censure sur Internet, qui démontre la portée irrationnelle et fanatique des sanctions économiques que les États-Unis imposent à Cuba depuis 1960 [8].
En réalité, les sites Internet de ce citoyen britannique avaient été placés sur la liste noire du Département du Trésor états-unien. L’entreprise eNom, qui lui avait vendu le nom de domaine, basée à Bellevue à Washington, avait reçu une injonction de la part du Bureau de contrôle des biens étrangers (Office of Foreign Assets Control, OFAC) l’ordre de désactiver les sites, occasionnant un sérieux préjudice financier à Marshall, qui a dû se tourner vers un serveur européen [10].
Le New York Times a raison lorsqu’il note que le blocus limite la liberté de tous. Cet exemple illustre le caractère extraterritorial —et donc illégal— de la législation états-unienne contre Cuba. RSF n’a pas daigné dénoncer cette « cybercensure ». Ici, nul besoin de « mobilisation » ou de « riposte » car le responsable incriminé est la première puissance mondiale.
Pourquoi Reporters sans frontières n’est pas fréquentable
L’Unesco a refusé d’être associée aux campagnes politiques de RSF, à juste titre. En effet, le passif de l’organisation parisienne est lourd. Voici quelques exemples :
• RSF a fait l’apologie de l’invasion de l’Irak en affirmant que « le renversement de la dictature de Saddam Hussein a mis un terme à trente années de propagande officielle et ouvert une ère de liberté nouvelle, pleine d’espoirs et d’incertitudes, pour les journalistes irakiens ». L’organisation a ajouté que « pour les médias irakiens, des dizaines d’années de privation totale de liberté de la presse ont pris fin avec le bombardement du ministère de l’Information, le 9 avril à Bagdad [12], et uniquement après que plusieurs articles stigmatisant cet « oubli » aient été publiés. Désormais, l’organisation reconnaît que ce dernier a été arrêté « sous de fallacieux prétextes de collusions avec Al-Qaeda ». « Faute de savoir si Sami Al-Haj avait été arrêté en raison de sa qualité de journaliste et faute d’information le concernant, RSF a attendu avant de mener d’autres actions [14]. RSF reconnaît que son « silence » au sujet de Sami Al-Haj était « coupable » et que sa « prise de parole est un aveu de cette culpabilité ». Par ce mea culpa, RSF veut faire croire que le cas Al-Haj n’était qu’un malencontreux « oubli » qui, même s’il a duré cinq ans, n’aurait rien à voir avec le fait que ce dernier ait été détenu par l’armée états-unienne [16] seulement, uniquement car cet oubli ait été stigmatisé [18]. La lettre ouverte envoyée par la famille de José Couso à RSF est édifiante :
« La famille Couso, au vu du rapport publié par Reporters sans frontières, « Deux assassinats pour un mensonge », souhaite manifester ce qui suit :
Les conclusions de ce rapport exonèrent les auteurs matériels et reconnus du tir sur l’Hôtel Palestine en se basant sur la douteuse impartialité des personnes impliquées, et sur le propre témoignage des auteurs et responsables du tir, rejetant cette responsabilité sur des personnes non identifiées.
La réalisation du rapport a été signée par un journaliste, Jean-Paul Mari, qui entretient des relations notoires avec le colonel Philip de Camp, militaire qui a reconnu son implication dans l’attaque et la mort des journalistes de l’Hôtel Palestine, et de plus, son rapport s’appuie sur les témoignages de trois journalistes très proches des forces nord-américaines, tous étasuniens, dont l’un d’eux – Chris Tomlinson – a été membre des services de renseignements de l’armée des Etats-Unis durant plus de sept ans. Aucun des journalistes espagnols qui se trouvaient dans l’Hôtel n’a été consulté pour l’élaboration de ce document.
Le rapport contient de nombreuses erreurs, contradictions et irrégularités en ce qui concerne des données importantes comme la situation des chambres de l’hôtel, le lieu de l’impact du tir, le lieu de présence des témoins, etc.
Il nous semble, de plus, que la biographie si « humaine » faite d’un des assassins de José Couso Permuy et de Taras Protsyuk constitue un manque absolu de délicatesse, poussant l’offense jusqu’à remercier ces militaires nord-américains pour leur collaboration au rapport.
Reporters sans frontières – Section espagnole – a souhaité se porter partie civile dans la plainte déposée par la famille le 27 mai 2003 contre les responsables de la mort de José Couso. Au vu de la publication de ce rapport qui, selon votre version, les exonère de toute responsabilité dans l’assassinat des journalistes de l’Hôtel Palestine, la présence de votre organisation […] au procès est absolument incohérente et contradictoire.
Pour cette raison, nous vous exprimons le désir de la famille que vous retiriez votre demande de présence au procès […] [20].
• Haïti, sous la présidence de Jean-Bertrand Aristide, a également été la cible de RSF. Lorsque ce dernier a été renversé par un coup d’État orchestré par la France et les États-Unis [22] ».
• Le Venezuela du président Hugo Chávez, honni par l’administration Bush, a également été l’une des cibles privilégiées de RSF. Lors du coup d’État d’avril 2002 [24] ».
RSF persiste encore à mener une guerre de désinformation contre le gouvernement démocratique d’Hugo Chávez.
• RSF confesse qu’elle reçoit des financements d’organisations telles que le Center for a Free Cuba [26]. Cela est faux puisque ces dernières n’apparaissent pas dans les comptes de 2002 et 2003 [28]. Ce dernier s’était confessé : « Nous étions impatients face à la survie du régime de Castro suite à l’effondrement de l’Union soviétique et du camp socialiste. Nous voulions accélérer la démocratisation de Cuba en employant n’importe quels moyens pour y parvenir [30] : « Absolument, nous recevons de l’argent de la NED. Et cela ne nous pose aucun problème [32] ».
En septembre 1991, Allen Weinstein, qui avait contribué à faire adopter la législation donnant naissance à la NED, déclarait au Washington Post : « Beaucoup de ce que nous faisons aujourd’hui a été fait par la CIA il y a 25 ans de manière clandestine [34] ».
RSF est en réalité financée par une officine écran de la CIA, selon Weinstein, le New York Times et Gershman, ce qui explique ses prises de position contre l’Irak, Haïti, Cuba, le Venezuela et d’autres nations dans la ligne de mire de Washington. Le travail de RSF est tellement apprécié par la Maison-Blanche que le premier rapport de la Commission d’assistance à une Cuba libre – dont le but est de renvoyer Cuba a son statut néocolonial – rendu public par Colin Powell en mai 2004, qui accroît drastiquement les sanctions contre Cuba, cite une seule organisation non gouvernementale en guise d’exemple à suivre : celle dirigée par Robert Ménard [36]. Le 8 mars 2008, le président George W. Bush a d’ailleurs mis son veto à un projet de loi visant à interdire l’utilisation du waterboarding, une cruelle technique de torture qui inflige à la victime une terrible sensation de noyade [38]. Non seulement, Ménard légitime la torture, position moralement insoutenable même contre des criminels, mais il remet également en cause la présomption d’innocence.
Sage décision de l’Unesco
L’Unesco a pris une sage décision en décidant de ne pas s’associer à une association aussi ténébreuse que Reporters sans frontières. « La défense de la liberté de la presse » n’est qu’un rideau de fumée. Son agenda politique occulte est devenu trop évident et son acharnement à l’encontre de certaines nations qui se trouvent sur la liste noire des Etats-Unis n’est en aucun cas le fruit du hasard. Reporters sans frontières est en réalité au service de gouvernements et de puissants intérêts économiques et financiers.
Salim Lamrani
Enseignant, écrivain et journaliste français, spécialiste des relations entre Cuba et les États-Unis.
Auteur de Cuba face à l’empire : Propagande, guerre économique et terrorisme d’État,
Dernier ouvrage publié en français : Double Morale. Cuba, l’Union européenne et les droits de l’homme.
[1] Reporters sans frontières, « L’Unesco retire son patronage à la Journée pour la liberté sur Internet organisée par Reporters sans frontières », 12 mars 2008. (site consulté le 12 mars 2008).
[2] Reporters sans frontières, « Reporters sans frontières lance sur www.rsf.org la deuxième Journée pour la liberté sur Internet », 12 mars 2008. (site consulté le 12 mars 2008). Pour les citations de Robert Ménard voir Marianne, « Reporters sans frontières, les aveux de Robert Ménard », 5 au 11 mars 2001, p. 9.
[3] Reporters sans frontières, « L’Unesco retire son patronage à la Journée pour la liberté sur Internet organisée par Reporters sans frontières », op. cit.
[4] Communiqué officiel cité dans : « RSF pris en flagrant délit de manipulation par l’UNESCO », Réseau Voltaire, 14 mars 2008.
[5] Prensa Latina, « Retira UNESCO coauspicio a Reporteros sin Fronteras », 12 mars 2008.
[6] Reporters sans frontières, « Reporters sans frontières lance sur www.rsf.org la deuxième Journée pour la liberté sur Internet », op. cit.
[7] Adam Liptak, « A Wave of the Watch List, and Speech Disappears », The New York Times, 4 mars 2008.
[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] Ibid.
[11] Reporters sans frontières, « Irak – rapport annuel 2004 ». (site consulté le 18 juillet 2005).
[12] « Le silence de Reporters Sans Frontières sur le journaliste torturé à Guantanamo », par Salim Lamrani, Réseau Voltaire, 30 janvier 2006.
[13] Reporters sans frontières, « Lettre ouverte à ses détracteurs », Réseau Voltaire, 12 septembre 2006.
[14] Reporters sans frontières, « Rapport annuel 2004 », 2004. (site consulté le 29 septembre 2007) ; Reporters sans frontières, « Rapport annuel 2005 », 2005. (site consulté le 29 septembre 2007).
[15] Reporters sans frontières, « Lettre ouverte à ses détracteurs », op.cit.
[16] Reporters sans frontières, « Arrestations et assassinats de journalistes : le cauchemar irakien continue », 19 septembre 2006. (site consulté le 21 septembre 2007).
[17] Salim Lamrani, « Reporters sans frontières et ses contradictions », Réseau Voltaire, 27 septembre 2006. (site consulté le 21 septembre 2007).
[18] Reporters sans frontières, « Deux meurtres pour un mensonge », 15 janvier 2004. (site consulté le 10 janvier 2008).
[19] Famille Couso, « La familia de José Couso pide a Reporteros Sin Fronteras que se retire de la querella », 17 janvier 2004. (site consulté le 18 juillet 2005).
[20] Reporters sans frontières, « Le juge Santiago Pedraz confirme l’inculpation de trois soldats américains pour la mort de José Couso », 25 mai 2007. (site consulté le 19 février 2008).
[21] « Coup d’État en Haïti », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 1er mars 2004.
[22] Reporters sans frontières, « La liberté de la presse retrouvée : un espoir à entretenir », juillet 2004. (site consulté le 23 avril 2005).
[23] « Opération manquée au Venezuela », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 18 mai 2002.
[24] Reporters sans frontières, « Un journaliste a été tué, trois autres ont été blessés et cinq chaînes de télévision brièvement suspendues », 12 avril 2002. (site consulté le 13 novembre 2006).
[25] Center for a Free Cuba, « About us », 2005. (site consulté le 18 juillet 2005).
[26] Reporters sans frontières, « Lettre ouverte à ses détracteurs », op.cit.
[27] En réalité, RSF entretient une confusion en utilisant deux structures juridiques parallèles.
[28] Salim Lamrani, « La Fondation nationale cubano-américaine est une organisation terroriste », Mondialisation, 27 juillet 2006.
[29] Wilfredo Cancio Isla, « Revelan un plan para atentar contra Castro », El Nuevo Herald, 22 juin 2006.
[30] « La NED, nébuleuse de l’ingérence "démocratique" », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 22 janvier 2004.
[31] Robert Ménard, « Forum de discussion avec Robert Ménard », Le Nouvel Observateur, 18 avril 2005. (site consulté le 22 avril 2005).
[32] John M. Broder, « Political Meddling by Outsiders : Not New for U.S. », The New York Times, 31 mars 1997, p. 1.
[33] Allen Weinstein, Washington Post, 22 septembre 1991.
[34] David K. Shipler, « Missionaries for Democracy : U.S. Aid For Global Pluralism », The New York Times, 1er juin 1986, p. 1.
[35] « Le plan Powell pour l’après-Castro », par Arthur Lepic, Réseau Voltaire, 16 juin 2004. Le document cité est téléchargeable à la fin de l’article d’analyse.
[36] Michel Muller, « Quand Washington légalise la torture », L’Humanité, 16 octobre 2006.
[37] Deb Riechmann, « Fustigan a Bush por vetar ley contra ‘submarino’ », El Nuevo Herald / Associated Press, 9 mars 2008.
[38] « Quand Reporters sans frontières légitime la torture », par Salim Lamrani, Réseau Voltaire, 4 septembre 2007.
hé ben !! RSF officine de la cia…merci pour l’info! c’est un peu comme Kouchner ex Msf et bouffon permanent qui retourne sa veste au plus offrant …et s’accommode des excactions des forces d’occupation uniquement quand ce sont des pays amis…Quelle honte!
Les fumiers!!
Ces organisations qui se disent « sans frontières » cautionnent les pays qui sont pour des « politiques interventionnistes », dites de « droit à l’ingérence ». C’est à dire qu’en réalité elles font le jeu des sociétés multinationales – qui, elles, n’ont plus de frontières depuis longtemps déjà et aucun compte à rendre à personne.
Je considère ces « sans frontières » comme des mercenaires.