La Constitution US après le 11-Septembre

L’association ReOpen911 a toujours défendu le droit à l’expression et la protection du citoyen. Nous rencontrons souvent des difficultés pour faire comprendre aux mouvements militant pour des causes convergentes de la nôtre que notre combat est aussi celui de la liberté d’expression, du droit de vote non automatisé, des droits de l’homme, et surtout de la paix universelle et inconditionnelle dans le monde. Notre cause est factuelle, centrale et historique de ce point de vue. Pourtant, elle dérange.  Bien peu nous encouragent et si certains, contraints ou pleutres, nous laissent "faire le sale boulot" (!), la plupart hésitent entre une reconnaissance timide et un rejet pur et simple de notre mouvement, que ce soit par lassitude – 10 ans ou presque ont passé -, ou par ce qu’elles considèrent comme du "harcèlement" comme le dit Daniel Mermet, lorsque nous dépassons les frontières de l’univers militant où nous sommes sensés nous terrer.

C’est exactement ce qui transparait dans cet article ô combien politiquement correct sur le journaliste-critique David Shipler qui affronte la sempiternelle question étatsunienne du respect de la Constitution US depuis 2001. Le critique oscille entre admiration et lassitude, entre intérêt et contrariété, entre respect et accusation, face à un auteur engagé, considéré par ailleurs comme un progressiste (libéral) mâtiné d’un soupçon de "libertarianisme" (Ron Paul). Comment se défaire de ces dix années de dérives étatiques dans tous les compartiments de la vie du citoyen américain? Comment ne pas se sentir à la fois responsable, quand on est un journaliste du New York Times, et lassé après tant de publications qui pointent cette dérive indomptable, à laquelle l’Europe donne par ailleurs un quasi blanc-seing? Pourquoi par exemple, avoir militarisé – et privatisé – la réponse au terrorisme?

Mais pour comprendre ces dérives, et avec le même but convergent de celui que semble poursuivre l’auteur de cet article, seule une nouvelle enquête sur leurs prémices et leur fait générateur (le 11/9) serait selon nous à la mesure de l’enjeu : restaurer la confiance entre les citoyens américains et leurs institutions démocratiques,  mais aussi leurs médias. Et au travers de cette cure aussi salutaire qu’indispensable, restaurer la confiance des citoyens du monde entier envers leurs institutions démocratiques et leurs médias, notamment les citoyens des 56 pays qui ont perdu au moins un ressortissant dans les attentats de 2001, et qui à ce titre, sont tous en droit d’exiger la vérité du gouvernement américain, comme tenta de le faire le sénateur centriste Yukihiro Fujita dans l’enceinte du Sénat japonais début 2008.

 

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La Constitution après le 11-Septembre

paru dans le New York Times le 10 juin 2011, par Jonathan Mahler

 traduction mise en forme, Corto

A 11h du matin le 11 septembre 2001, David K. Shipler (ndt. portrait ci-contre) ressentit ce qu’il décrit, toute modestie mise à part et à défaut d’être précis, comme un "moment d’extrême lucidité". Tandis que la plupart d’entre nous restaient rivés devant leur télé dans un état d’hébétude post-traumatique, Shipler chercha une cause plus noble. Ses pensées se tournèrent vers les 10 premiers amendements de la Constitution de notre Nation. Il se souvient avoir pensé "C’est là que se cachent nos libertés civiles" . Le résultat de cette révélation précoce fut un "voyage en autodidacte " qui accoucha de son nouveau livre "The Rights of the People" (Les Droits du Peuple). Le sujet s’avéra trop vaste pour faire l’objet d’un seul livre. Il nous précise qu’un second volume sera publié dans un an.

Pas besoin de boire votre café issu du commerce équitable dans un mug "Edition du Matin", pour adhérer à la thèse centrale de Shipler: Depuis le 11-Septembre, notre gouvernement a traité la "Charte des droits" (Bill of Rights) avec autant de respect qu’un panneau "ne pas marcher sur la pelouse". Et si Shipler s’est élancé bien avant le départ de la compétition, il est depuis retombé à une bonne distance derrière. Il rejoint une longue liste d’auteurs qui se sont aussi intéressés, soit directement, soit indirectement, à l’érosion des libertés civiles aux USA suite aux retombées du 11-Septembre. Il y a matière à scandale, mais pas de ceux qui font recette. A quelques notables exceptions près, la plupart de ces livres ont disparu des présentoirs bien évidence chez Barnes and Noble, pour rejoindre les étagères d’arrière-boutique, voire leur ultime tombe, sous la pile des invendus.

La "bonne foi" de Shipler – il a reçu le prix Pulitzer en 1987 pour son livre "Arabes et Juifs" – permet à ce livre de tenir la distance, car on ne s’en débarrasse pas facilement. Shipler a autrefois travaillé comme correspondant étranger au New York Times, et il a le don de savoir mettre en forme de façon convaincante des matériaux assez lourds et particulièrement ésotériques. Il a aussi une bonne maitrise de l’Histoire, rappelant ostensiblement les autres occasions où nous avons, par le passé, transgressé notre Constitution.

Dès les premières pages de "Les Droits du Peuple", il apparait clairement que ce livre est très différent d"Arabes et Juifs" ou, encore de son livre le plus récent "Pauvre et travailleur" ( "The Working Poor"). Ces deux ouvrages étaient des travaux de reportage, pour lesquels Shipler comptait sur un choix de personnages fameux pour apporter de l’immédiateté et de la nuance aux questions compliquées qu’il abordait. Dans "The Rights of the People", Shipler est moins un journaliste curieux qu’un éditorialiste scandalisé. On ne l’accusera pas de sous-estimer son affaire. Au contraire, il a tendance à la saper par excès d’hyperboles, concluant sa préface sur l’affirmation radicale que ni la Maison Blanche de George W. Bush ou Barack Obama, ni le grand public dans son ensemble, ne sont sans doute prêts à avaler "la perspective la plus terrifiante depuis le 11-Septembre [qui] ne réside pas dans le terrorisme – aussi effrayant qu’il puisse être – mais dans la possibilité que les Américains abandonnent leurs droits à la poursuite chimérique de leur sécurité."

Il est raisonnable de penser que des violations des libertés individuelles sont monnaie courante en temps de guerre, et un rapide coup d’oeil en arrière nous apprend que cela a bien été le cas. Des atteintes à la liberté d’expression en 1798 connues sous le nom de "Lois sur la sédition et les étrangers" ("Alien and Sedition Acts" ) , destinées à bâillonner toute critique pendant la guerre navale non déclarée avec la France, jusqu’aux enquêtes infâmantes pendant la Guerre Froide du "Comité -Mac Carthy- contre les activités anti-américaines" ("Un-American Activities Committee"), le spectre des conflits a invariablement apporté avec lui une paranoïa en forme de subversion interne.  Comme l’écrit Shipher: "Au cours de presque chaque guerre, il semble que ceux qui agitèrent l’autorité de l’Etat étaient en proie à une peur galvanisante, pas seulement de l’ennemi étranger, mais aussi d’un virus imaginaire de résistance et de subversion interne."

Historiquement, il a fallu à la fois une bonne dose de honte rétrospective, le génie de notre système judiciaire indépendant et par-dessus tout, la résilience de notre Constitution, pour nous garantir que des statuts ou encore des politiques entreprises dans l’urgence sous le coup de tels [climats de] peur ne survivraient pas [trop] longtemps (1). La loi finit par l’emporter. En tout cas, elle l’emportait jusqu’à récemment, écrit Shipler. Mais depuis le 11-Septembre, explique-t-il, le système doit encore s’auto-corriger. Les libertés fondamentales qui ont été supprimées à la suite des attentats n’ont toujours pas été restaurées.

Même si les violations concernent tout le spectre constitutionnel, dans ce premier volume Shipler se concentre sur le 4ème amendement, qui, au moins en principe, protège les citoyens de fouilles ou de saisies abusives. Son approche peut paraitre éparpillée, mais elle se construit selon une certaine logique. Après une brève leçon d’histoire, il se transporte sur le terrain, observant la Police dans certains quartiers de Washington, D.C., alors qu’ils bousculent des suspects pour leur faire volontairement renoncer aux droits du 4ème amendement, et qu’ils mettent leurs maisons sens dessus dessous sous prétexte de mandats de perquisition souvent basés sur des "tuyaux percés" provenant de sources scabreuses. "Dans la nuit tombante, depuis une impasse près des voies de chemin de fer", écrit-il, "la Constitution semble une idée bien lointaine".

A partir de là, Shipher s’enfonce dans une activité plus clandestine et politisée, dans le royaume des ombres de la loi de surveillance des activités du Renseignement étranger (Foreign Intelligence Surveillance Act), et des lettres de Sécurité Nationale (National Security Letters), qui sous le régime du PATRIOT ACT, ont élargi les pouvoirs des bureaux locaux du FBI, les autorisant à faire des choses, comme de demander les enregistrements des activités sur les ordinateurs des bibliothèques municipales. Il s’intéresse au cas de Brandon Mayfield, un avocat de l’Oregon et vétéran de l’armée des Etats-Unis, dont la maison et les bureaux furent secrètement surveillés et mis sous écoute après qu’il ait été suspecté par erreur d’être impliqué dans les attentats sur les trains à Madrid.

Shipler impute la faute de ces actes et autres abus à, entre autres, un exécutif zélé, un Congrès "complice du complot", et à des agents du Renseignement et du maintien de la Loi à qui on reprocherait plus facilement d’avoir violé des domiciles, que d’avoir échoué à prévenir de nouveaux attentats. Il dénonce aussi de nombreuses fautes commises dans les Cours de justice. Ses cibles ne sont pas à l’abri de toute critique, mais Shipler peut parfois pousser le bouchon trop loin. Ancien correspondant à Moscou pour le Times, il dresse des comparaisons entre les idéologues de droite de l’administration Bush, et les idéologues de gauche du régime soviétique, observant que tous deux reposaient sur des exécutants encouragés à tirer le maximum des législatures et des systèmes judiciaires faibles. "Les Russes étaient contrôlés pour leur orthodoxie politique avant d’être placés à des postes importants," dit-il. "Les apparatchiks de Bush ont fait la même chose."

Bizarrement,  il m’a souvent fait penser au livre d’Eric Schlosser "Fast Food Nation" . Comme Schlosser, qui s’est positionné pour dénoncer la domination croissante de l’industrie du Fast Food et ses effets pernicieux sur la santé du pays, Shipler semble vouloir secouer les Américains pour les réveiller face aux attaques continuelles contre la charte des droits (Bill of Rights). Lorsque la matière manque d’intensité dramatique, il a tendance à combler à grand renfort de rhétorique et de métaphores.

Que  "Les Droits du Peuple" n’apporte pas grand-chose de sensationnel est, en soi, une puissante déclaration. Parfois, je me suis dit que Shipler aurait dû réduire ses ambitions, et que plutôt que d’essayer de couvrir autant de domaines bien labourés par ailleurs, il aurait dû suivre la direction opposée et compacter dans un court essai ce qu’il avait appris lors de son voyage en autodidacte. Il nous aurait donné quelque chose qui aurait été moins centré sur un catalogage des abus contre le 4ème amendement, et plus sur les raisons pour lesquelles ces questions sont importantes, et pas seulement pour les victimes.  Comme Shipler l’écrit dans ses dernières pages: "Les droits du plus petit des criminels ne sont pas seulement les siens. Ils appartiennent à nous tous."

Jonathan Mahler

 

Contributeur de Times Magazine, et auteur de "L’enjeu: Comment un franc-tireur officier de la NAVY et un jeune professeur de droit risquèrent leur carrière pour défendre la Constitution -et gagnèrent."

 


Références de l’ouvrage

THE RIGHTS OF THE PEOPLE

How Our Search for Safety Invades Our Liberties 

ISBN-10: 140004362X
ISBN-13: 9781400043620
Editeur: Knopf, 19 avril 2011
Pages: 400
Langue: Anglais

 


Notes ReOpenNews : (1) la prolongation des lois exceptionnelles du PATRIOT ACT a été avalisée par Barack Obama depuis le G8 de Deauville récemment. Il a signé avec la procédure dite "de l’autopen", c’est à dire à distance. Rappel: Le PATRIOT ACT de 2001, le Military Commissions Act, la loi HR 1955, le Protect America Act de 2007, et le FISA Amendments Act de 2008 sont une sorte de version policée d’un couvre-feu permanent qui multiplie les cas de suspicion, qui consacre l’ingérence des services secrets dans le FBI, et qui légitime le caractère militaire de la réponse légale au terrorisme, notamment par la création floue du statut "bâtard" d’ "ennemi combattant" ou encore de "combattant illégal". Barack Obama a aussi signé la possibilité de détenir à vie sans jugement des prisonniers issus des "restitutions extraordinaires" post 11-Septembre à défaut de pays d’accueil. Il reste 172 prisonniers à Guantanamo susceptibles de tomber sous le coup de cette loi. Lire Jean Claude Paye à ce sujet.

 


En lien avec cet article:

 


A lire de toute urgence si pas encore fait:

Ce livre explicite les notions d’ennemi combattant et de combattant illégal, et montre comment les nouvelles lois temporaires du Patriot Act nient les droits des personnes auxquelles elles s’appliquent, sachant que leur champ d’application n’a cessé d’être remodelé, dans le sens toujours croissant de situations variées censées menacer la sécurité nationale,.

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6 Responses to “La Constitution US après le 11-Septembre”

  • Doctorix

    Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre l’une et l’autre. »
    Benjamin Franklin (génie et prophète)

  • Gil

    intéressant… mais (pour ne pas lire le livre) y a t’il des articles qui listent les restrictions de libertés du Patriot act

  • Sébastien

    Excusez-moi, mais ce genre d’article dérivé d’un bouquin pour soirée universitaire au clair de lune, c’est de la masturbation intellectuelle.

    Les Etats-Unis ne sont plus une démocratie depuis longtemps. Au moins un Siècle. Il faudrait prendre un peu de recul et retracer la trajectoire de cet empire qui n’est plus aux mains du peuple depuis longtemps.
    Pour qui connait un peu ce pays, il existe une défiance quasi-génétique de l’Amérique « profonde » envers Washington.

    Le problème, c’est que ce genre d’universitaire représente l’aile dite « progressiste » que nous appelons ici « la gauche ». Or, c’est plutôt l’aile droite, voire dite « extrême-droite » des conservateurs, Pères Fondateurs, libertariens/ Républicains (c’est un peu confus à décrire ici vu le nombre de courants qui se mélangent là-bas) qui défendent le plus activement la constitution américaine.

    Cette fracture permet à tous les pouvoirs illégitimes et malfaisants de s’y infiltrer et de s’y installer en gardant séparés de chaque côté ces courants qui ne divergent bien souvent en réalité que sur des points de détails idéologiques.

    Tout cela est voulu. C’est une stratégie. D’où le qualificatif de « complot » toujours glissé opportunément pour empêcher les gens de comprendre la stratégie. C’est un complot au sens premier évidemment, comment appeler cela autrement?

    Etudiez un peu la création de la Federal Reserve en 1913, les tentatives d’assassinats de Présidents, les secrétaires d’état américains, tous d’anciens banquiers ou d’anciens directeurs de la F.E.D. devenus secrétaires d’ état. On y trouve un sacré paquet de coïncidences. Une vraie mafia.

    Une fois le ciel éclairci, cela permet d’aller à l’essentiel et de commencer à entrevoir des solutions. Sinon, ce genre de livre ne sert qu’à gagner du temps (pour certains, à en perdre pour d’autres) en brassant du vent pour les siècles à venir. Ce qui laisse évidemment les mains libres aux magouilleurs de tous poils. Pratique.
    Sauf qu’il y a urgence.

  • Fab

    L’intro mentionne Mermet l’indigné pas gênant ni modeste ni génial, Reopen a-t-il déjà pu échanger avec lui ou ses saints ? ou ne vous référez-vous qu’à la brève intervention qu’il a faite en disant qu’il y avait un lobby du 11 septembre lors d’une émission avec (je crois) le spécialiste de la continuelle propagande abominable mais dont les théories ne marchent pas pour le 911 Noam Chomsky ?

  • @sebastien

    l’auteur est, selon d’autres articles, liberal avec une pointe de libertarien « comme chez tout américain »… j’ai failli ne pas terminer cette traduction, et puis finalement, ce sont les traits de la nation US qui transparaissent dans cet article qui m’ont conduit à le publier quand même!

  • @fab

    exactement.

    juste à notre évocation par lui lors de son échange avec chomsky. Mermet reçoit chaque jour ou presque des dossiers sur le 11/9 de la part de ses auditeurs. Et ce n’est pas prêt de s’arrêter.

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