Robert Fisk: Le fléau que les Américains laissent derrière eux en Irak

Robert Fisk écrit pour The Independent, journal britannique de référence très orienté sur les affaires internationales avec une indépendance d’opinion qu’on aimerait retrouver de ce côté du channel. Il a attiré notre attention en 2007, peu de temps après le lancement de ce site par de jeunes citoyens interpelés par les lacunes et mystères de la version officielle. Son article,  majeur à nos yeux (article original ici), questionnait les auteurs des rapports techniques sur les WTC 1 et 2 (FEMA) et sur le WTC7 (NIST). Il y implore les experts de déterminer une version définitive des événements, qui fasse cesser la rumeur, en prenant en considération les avis d’experts que nous connaissons bien mais que les experts officiels ignorent ou filtrent.

Cependant, Robert Fisk n’a pas besoin de ces approfondissements pour condamner violemment – comme nous – les agressions de l’Afghanistan et de l’Iraq. Il utilise simplement "l’autre bout de la lorgnette", à savoir sa connaissance impressionnante du terrain, et un regard lucide et sans concession sur la réalité de celui-ci, bien différente de ce que les politiques décrivent à longueur de tribunes médiatiques complaisantes. Entre la remise en cause des prémices de ces pseudo-guerres comme nous l’expliquons chaque jour, et le travail de Fisk sur le terrain, qui est pour nous une forme de "confirmation par l’horreur", il nous semble que tout journaliste normalement constitué devrait se poser des questions sur les 2 tableaux et non sur un seul, avec la ferme volonté de dépasser la surface des événements. Mais il n’en est rien : seules les bombes qui tuent le plus souvent des innocents, difficilement dissimulables, retiennent leur prudente attention sans même condamner. Les explosions des tours du WTC restent pour eux une énigme anecdotique ou le sujet de plaisanteries sans lendemain.

Nous vous recommandons aussi ses livres en version originale ici, et leurs traductions en français ici.

 

photo: scooplz / al Jazeera soldat américain au début de la seconde guerre d’Iraq

 


 

Le fléau que les Américains laissent derrière eux en Irak

 

Le premier homme à la tête de la première unité de l’armée d’invasion américaine qui a atteint la place Fardous, au centre de Bagdad, en 2003 était le Caporal David Breeze du 3ème bataillon, du 4ème régiment de Marines. Et pour cette raison, il m’a fait remarquer qu’il n’était pas un soldat car les Marines ne sont pas des soldats. Ce sont des Marines.

Comme il n’avait pas parlé à sa mère depuis deux mois, je lui ai offert mon téléphone satellite pour qu’il l’appelle dans le Michigan. Tous les journalistes savent qu’ils auront droit à une bonne histoire s’ils prêtent leur téléphone à un soldat en guerre. « Allo » a hurlé Breeze, « Je suis à Bagdad. Je vous appelle pour vous dire que je vous aime. Je vais bien. La guerre sera terminée dans quelques jours. A bientôt ».

Et oui, ils disaient tous que la guerre serait finie rapidement mais ils n’avaient pas demandé leur avis aux Irakiens sur cette agréable opinion. Les premiers attentats suicides – un policier en voiture et deux femmes - avaient déjà touché les Américains sur l’autoroute conduisant à Bagdad. Il y en aurait des centaines de plus. Il y en aurait des centaines d’autres en Irak à l’avenir.

Disons-le tout haut : nous ne partons pas

Aussi nous ne devrions pas être dupes de la farce recréée sur la frontière koweitienne dans les heures suivantes, le départ d’Irak des « dernières unités de combat » deux semaines avant la date prévue, ni des cris infantiles de « Nous avons gagné » de très jeunes soldats, dont certains ne devaient pas avoir plus de douze ans lorsque G. W. Bush a lancé son armée dans cette aventure irakienne catastrophique. Ils laissent derrière eux 50 000 soldats, hommes et femmes, soit un tiers des forces d’occupation US, qui seront attaqués et qui auront de toute manière, encore, à combattre la résistance. 

Officiellement, cependant, ils sont là pour entraîner les milices et les tireurs et les plus pauvres des pauvres qui rejoignent la nouvelle armée irakienne dont les commandants savent parfaitement qu’ils ne pourront assurer la défense de leur pays avant 2020. Mais ils seront toujours sous occupation, car il est certain que l’un des « intérêts américains » à défendre est leur présence, concomitamment à celle de milliers de mercenaires armés et indisciplinés, de l’Ouest et de l’Est, qui tirent à tout venant pour garantir la sécurité des diplomates et hommes d’affaires occidentaux. 

Aussi disons-le tout haut : nous ne partons pas. Au contraire, les millions de soldats américains qui ont traversé l’Irak laissent aux Irakiens un fléau qu’ils ont apporté d’Afghanistan : al-Qaïda. Ils y ont importé le virus de la guerre civile. Ils ont contaminé l’Irak avec une corruption sans commune mesure. Ils ont imprimé le sceau de la torture à Abou Ghraib et les honteuses prisons d’Afghanistan. Ils ont confessionnalisé un pays qui, malgré la brutalité du régime de Saddam, avait, jusqu’à présent, rassemblé les sunnites et les chiites. 

Le Dawa était « des terroristes », maintenant ce sont des « démocrates » 

Et parce que les chiites vont immanquablement gouverner cette « démocratie », les soldats américains ont offert à l’Iran la victoire qu’il avait cherché à obtenir si vainement dans sa guerre contre Saddam en 1980-1988. Les hommes qui avaient attaqué l’ambassade américaine au Koweït dans les mauvais jours, alliés de ceux qui avaient soufflé la base des Marines à Beyrouth en 1983, aident maintenant à gouverner l’Irak. Le Dawa, à l’époque, était « des terroristes » maintenant, ce sont des « démocrates ». C’est drôle comme nous avons oublié les 241 conscrits américains qui ont péri dans l’aventure libanaise. Le caporal Breeze devait avoir, alors, deux ou trois ans. 

Ils sont venus, ils ont vu et ils ont perdu 

Le désastre américain d’al-Qaïda en Irak a infecté la Jordanie avec les attentats à Amman, et le Liban de nouveau. L’arrivée des hommes armés du Fatah al-Islam dans le camp palestinien de Nahr al-Bared au nord du Liban, les 34 jours de guerre contre l’armée libanaise et les douzaines de civils morts ont été la conséquence directe du soulèvement sunnite en Irak. Al-Qaïda est arrivée au Liban et l’Irak, sous domination américaine, a réinfecté l’Afghanistan avec les attentats suicide, l’immolateur auto-consacré qui a fait des soldats américains des hommes qui se cachent au lieu d’hommes qui se battent.

Ils réécrivent l’histoire maintenant. Un million d’Irakiens sont morts. Tony Blair s’en moque, ils ne figurent pas, remarquez, parmi les bénéficiaires de sa générosité. Ni d’ailleurs la plupart des soldats américains tués. Ils sont venus, ils ont vu et ils ont perdu. Mais, maintenant, ils disent qu’ils ont gagné. Comme les Arabes, survivant avec six heures d’électricité par jour dans un pays désolé doivent espérer d’autres victoires comme celle-là ! 

 
Traduction : Xavière Jardez – source « France-Irak Actualité » repris par Investig’action
 
 
* Robert Fisk est le correspondant à Beyrouth du journal britannique The Independent. Il est considéré, à juste titre, par le Financial Times, comme « l’un des plus remarquables reporters de sa génération ». Ouvrages récents : La Grande Guerre pour la civilisation : l’Occident à la conquête du Moyen-Orient (1979-2005), La Découverte, 2005 et Liban, nation martyre, Editions A&R et du Panama, 2007.
 
 

 
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One Response to “Robert Fisk: Le fléau que les Américains laissent derrière eux en Irak”

  • Ses un peu trop facile de labelliser chaque attentats  » Al-Quaida « si on suis l’histoire de cet organisation , il y a deux états clefs dans son existence qui sont L’ Arabie Saoudite et les U S A . Chacun jouant un rôle bien précis ,Les Saoudiens l’idéologie et le financement , les USA la formation et la logistique . De se constat il faut se pose une question , quels intérêt ses deux états on de voir L ‘Irak sombrer dans le chaos ?

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