USA : Les chances d’un procès rapide pour les inculpés du 11-Septembre diminuent
Voici un article du Seattle Post-Intelligencer qui permet d’y voir plus clair dans les sombres intrigues politiques entourant aussi bien la fermeture de Guantanamo que le procès des personnes inculpées pour les attentats du 11-Septembre qui sont détenus en ce lieu. On y apprend que les tergiversations actuelles de l’administration Obama, malgré la préférence du Président pour des procès devant des tribunaux civils – plutôt que des commissions militaires – sont sans doute dues à la perspective du débat public sur le terrorisme que cela susciterait. Le camp démocrate redoute notamment la récupération politique que pourraient en faire les républicains avant les élections de mi-mandat prévues en novembre prochain. Pendant ce temps, les détenus de Guantanamo sont toujours enfermés au mépris des lois internationales et des droits de l’Homme, et le resteront sans doute encore longtemps.
L’Attorney General, (ministre de la Justice) des USA, Eric Holder
Les chances d’un procès rapide pour les inculpés du 11-Septembre diminuent
paru sur Seattle Post-Intelligencer, le 20 juin 2010
Le ministre de la Justice américain Eric Holder a déclaré que la décision concernant le lieu du procès de Khalid Sheikh Mohammed (KSM) inculpé pour les attentats du 11-Septembre serait prise dans “quelques semaines” ; c’était il y a trois mois.
Aujourd’hui, les avocats des deux parties disent qu’ils s’attendent à ce que l’administration Obama remette la décision au lendemain des élections de mi-mandat prévues en novembre, évitant ainsi que les controverses ne causent trop de dommages politiques aux démocrates les moins assurés de leur réélection, et permettant de rencontrer moins de résistance de la part du Capitole.
La semaine dernière, Holder a nié que les élections de mi-mandat aient un quelconque rapport avec le planning, et a simplement affirmé que les discussions continuaient. La Maison-Blanche n’a pas fait de commentaires.
Tout délai supplémentaire pourrait poser de sérieux problèmes politiques à gauche pour Barack Obama– où les conseillers ont applaudi les plans de son Administration pour en finir avec celle de Bush et faire juger les principales figures d’al-Qaïda par les tribunaux américains, montrant ainsi au pays et au monde entier qu’une justice comme celle des États-Unis était à même de juger des hommes inculpés des pires crimes dans l’histoire de cette nation.
La Maison-Blanche avait déjà signalé qu’elle abandonnait le plan de Holder pour un procès du 11/9 à Manhattan après les fortes protestations locales (NdT : essentiellement de responsables politiques, plutôt que des Newyorkais eux-mêmes[1]). Mais on ne sait toujours pas si Obama donnera son feu vert à un procès civil en un autre lieu, ou bien s’il optera pour la solution, de nouveau en vogue, des tribunaux militaires où les règles de preuves sont différentes et les procédures légales absolument pas vérifiées.
Nombreux sont ceux qui pensent qu’un tel changement rendrait l’approche d’Obama indiscernable de celle du Président George W. Bush quant au traitement des procès du 11/9.
Les avocats expliquent que les signes d’atermoiements sont évidents. Les démocrates ont subi des revers politiques, les pourparlers sur la question plus large de la fermeture de Guantanamo sont au point mort, et la Chambre des Représentants a pris la décision peu remarquée d’interdire dans tous les cas le transfert vers les USA des détenus de Guantanamo.
Cette mesure a été votée le mois dernier à une écrasante majorité, un véritable coup de semonce envoyé par les républicains – et même quelques démocrates – montrant ainsi qu’ils sont prêts à combattre les plans de Holder si celui-ci persiste à vouloir des procès civils, un obstacle qui pourrait s’avérer suffisant pour balayer toute annonce à court terme.
« La pire des solutions serait de ne pas prendre de décision…Il y a une paralysie vraiment bizarre, je ne m’y attendais pas, » a déclaré Ben Wittes, un chercheur travaillant pour la Brookins Institution qui a demandé instamment à Obama d’avouer qu’il n’y aurait pas de procès pour les suspects du 11/9. [2] « C’est honteux et ils devraient être gênés par cette situation. Il y a des avantages et des inconvénients pour chaque approche que vous choisissez, mais il n’y a aucune raison de laisser les choses traîner indéfiniment. »
Tom Malinowski, de l’organisation Human Rights Watch, un défenseur des droits civils, a indiqué qu’un report à novembre ou même après, est pratiquement inévitable. « Je pense depuis un certain temps déjà que c’est la décision qui a été prise » a commenté Malinowski. « Il y a eu une période au début de l’année où ils bataillaient pour prendre une décision – mais le bruit de la lutte a cessé. »
Alors que l’expression « justice rapide et certaine » faisait partie à un moment donné du vocabulaire employé par la Maison-Blanche à propos de Guantanamo et du procès des détenus, ces mots ont totalement disparu, de même que toute perspective de solution « rapide » pour la plupart des prisonniers pour lesquels est prévu le maintien en détention ou le procès.
« Le Président avait affirmé aux familles de victimes du 11/9 et de l’USS Cole, les regardant droit dans les yeux : ‘Nous allons fermer Guantanamo, continuer ce processus et juger les personnes responsables », a indiqué le Commandant Kirk Lippold, un partisan des procès militaires qui était l’officier commandant de bord sur l’USS Cole au moment de l’attaque contre le navire au Yémen en 2000.
« À quel moment une promesse politique non tenue devient-elle un mensonge ? » a-t-il demandé.
Des sources provenant de la Défense indiquent qu’une commission militaire chargée de juger l’auteur présumé de l’attentat à la bombe contre l’USS Cole, le Saoudien Abd al-Rahim al-Nashiri, suspendue par Obama après sa prise de fonction, pourrait être réactivée à Guantanamo à la fin de l’été.
En novembre, Holder annonçait son plan pour juger, à Manhattan, KSM et les quatre autres accusés pour les attentats du 11/9. Toutefois, lorsqu’en janvier les leaders locaux ont refusé cette idée, la Maison-Blanche a stoppé ce projet et a annoncé qu’elle allait étudier d’autres options pour ces procès.
En mars, Holder se montrait confiant quant à l’aboutissement rapide à une solution.
« Je pense que dans quelques semaines nous aurons pris une décision. Je pense que nous ne discuterons pas pendant des mois », expliquait Holder à une sous-commission des crédits de la Chambre des représentants le 16 mars. Des officiels de la Maison-Blanche ont repris ces termes de « quelques semaines »
Interrogé la semaine dernière sur la décision de reporter cette question au lendemain des élections, Holder a déclaré : « Aucune décision n’a été prise sur le lieu où ces procès doivent se dérouler, mais les discussions continuent et l’événement politique que vous évoquez, ces élections, ne font pas partie des conversations. »
Toutefois, pour les démocrates, l’intérêt politique du report est assez évident.
« Cela prive [les républicains] du spot de 30 secondes sur les individus les plus dangereux du monde amenés sur le sol américain. D’un autre côté, cela laisse penser que les démocrates ne sont pas capables de gérer le problème », a indiqué Malinowski.
Le report des procès du 11/9 est en partie dû à la volonté de la Maison-Blanche d’explorer ce que certains appellent « le grand marchandage » – un projet de loi ou une série de mesures qui permettraient : de fermer Guantanamo en finançant une prison à Thomson dans l’État de l’Illinois ; d’autoriser le transfert vers cette prison des actuels détenus de Guantanamo ; de réviser les règles de détention des prisonniers ; et probablement de donner le feu vert à un procès militaire pour les prisonniers inculpés pour les attentats du 11/9, et civil pour les autres (NdT : capturés en Afghanistan).
Un peu plus tôt cette année, le chef de cabinet de la Maison-Blanche, Emanuel Rahm, et le Conseiller de la Maison-Blanche, Bob Bauer, ont abordé en détail ce genre d’arrangement avec le Sénateur Lindsey Graham (Républicain de Caroline du Sud). Mais au cours des deux derniers mois, la Maison-Blanche s’est tue [sur ce sujet], a expliqué une source proche de Graham.
« Ils n’arrivent pas à décider de ce qu’ils veulent faire », a confié cette source.
Certains rapports indiquaient que la plupart des officiels de la Maison-Blanche s’étaient rangés du côté d’Emmanuel Rahm dont on dit qu’il est favorable à des procès militaires. Pourtant, lors de rencontres avec des associations de défense des libertés civiles et des droits de l’homme plus tôt dans l’année, la directrice du Bureau de l’Engagement public à la Maison-Blanche, Mme Tina Tchen, a fortement insisté sur le fait qu’Obama préférait la solution des tribunaux civils si les aspects pratiques pouvaient être résolus, a expliqué une source.
Bien qu’il y ait clairement une forte résistance du Congrès contre des procès du 11-Septembre devant des tribunaux civils, les législateurs ne sont pas parvenus à neutraliser Obama sur la question - du moins pas encore. Lorsque Graham a imposé un vote en novembre dernier pour bloquer de tels procès, son initiative a échoué, par 54 votes contre 45. Mais ensuite il y a eu l’affaire du pirate de l’air aux sous-vêtements piégés, la victoire aux élections sénatoriales de Scott Brown dans le Massachusetts construite en partie sur un message défavorable à un procès civil, et le mois dernier, la tentative d’attentat à la bombe de Times Square.
Obama a évidemment la possibilité d’opposer son véto à toute loi arrivant sur son bureau qui interdirait des procès au civil pour les suspects du 11/9 ou tout autre détenu de Guantanamo. Mais cela mettrait la question du terrorisme au centre du débat national – chose que la Maison-Blanche a continuellement cherché à éviter. Depuis son discours d’il y a 13 mois sur la question des présumés terroristes, prononcé dans l’enceinte des Archives nationales, Obama est resté pratiquement muet sur le sujet.
Pourtant, le projet de loi pourrait rencontrer un obstacle majeur. Lorsque les représentants étaient tous partis pour le Memorial Week-end, le Congrès a adopté une motion proposée par le républicain Randy Forbes (de Virginie) qui aurait pour effet d’interdire tout transfert de prisonnier de Guantanamo sur le sol américain. Lors du vote (par 282 voix contre 131), les démocrates sont passés « à l’ennemi » en masse, 114 d’entre eux appuyant la motion de Forbes.
Les plans pour fermer Guantanamo sont eux aussi à l’arrêt. Lors d’une conférence de presse à Chicago le mois dernier – qui est passée relativement inaperçue au niveau national – le Sénateur Dick Durbin (Démocrate, de l’Illinois), favorable au transfert des détenus de Guantanamo vers Thomson (dans son État), semblait dire que rien ne se produirait d’ici la fin de l’année.
« Nous devons résoudre le problème de Guantanamo à un autre moment », a expliqué Durbin, dans une vidéo postée sur le site Web de Fox News. Quand on lui demanda si cela signifiait, « lors d’une année sans élections », Durbin répondit : « Peut-être que cela serait plus facile en effet. C’est une vue assez cynique – mais très juste. »
D’autres ont expliqué que même si un report diminuait l’importance d’un procès de KSM et de ses complices, cela ne l’éliminait pas pour autant.
« Je pense qu’ils veulent éviter d’en parler pendant les élections et qu’ensuite ils veulent le réintroduire ou qu’ils pensent que les cartes seront différentes, ou que les gens se seront adoucis sur la question, » explique Debra Burlingame, dont le frère était l’un des pilotes tués à bord des avions pendant les attaques du 11-Septembre (NdT : le vol AA77, supposé s’être écrasé contre le Pentagone). « Nous ne laisserons pas tomber. »
Certains analystes, comme Malinowski, interprètent l’allongement des délais comme une indication de ce que la Maison-Blanche pourrait finalement opter pour des procès civils, puisqu’il y aurait peu d’inconvénients au niveau politique à annoncer maintenant le choix de commissions militaires si cela avait été la décision prise. D’autres affirment qu’après huit ans de frustration, six mois de plus ou de moins, ce n’est pas un problème.
« Je pense qu’un procès civil de Khalid Sheikh Mohammed est dans l’intérêt des États-Unis et je suis prêt à patienter pour l’avoir », a expliqué Ken Gude du Center for American Progress.
Traduction GV pour ReOpenNews
Notes ReopenNews
- Même si les protestations locales des new-yorkais furent fortes, rassemblant rapidement plus de 80.000 signatures pour une pétition demandant un référendum sur la question d’une nouvelle enquête sur le 11/9. Voir notamment nos articles ReOpenNews sur les initiatives New-York City CAN (NYC CAN)
- Cette phrase doit sans doute être interprétée au 2e degré, signifiant qu’Obama se doit de prendre une décision, quelle qu’elle soit, quitte à avouer qu’il n’y aura pas de procès, mais ne peut pas laisser les choses en l’état.
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