(Mise à jour 5 février) Commission Chilcot: une juge déclare la guerre en Irak illégale
Notre correspondant au Royaume-Uni nous retrace les derniers développements des audiences de la commission Chilcot, qui mène à la demande du Parlement britannique et sous la pression populaire une enquête sur la légalité de la participation de la Grande-Bretagne à la coalition qui mena les opérations conjointes d’invasion et d’occupation de l’Irak en 2003. Cette courte synthèse se fonde sur le suivi de BBC radio Whales, de BBC news, et des journaux nationaux.
La juge Elisabeth Wilmhurst
Mise à jour 05 février 2010:
Blair: "Après le 11 septembre, le calcul du risque a changé"
Mise à jour : vendredi matin, Tony Blair a été interrogé 6 heures durant. Celui-ci a expliqué que "la Grande-Bretagne est intervenue en Irak parce que les attentats du 11 septembre 2001 ont changé le calcul du risque." Blair a déclaré : “Jusqu’au 11 Septembre, nous pensions qu’il (Saddam Hussein) représentait un risque, mais nous pensions que cela valait la peine d’essayer de le contenir. L’élément clé après le 11 Septembre, c’est que le calcul du risque a changé". Tony Blair a expliqué n’avoir pas décidé le changement de régime en Irak : "s’il a décidé d’envoyer les troupes, c’est – explique-t-il – parce que Saddam Hussein violait les résolutions de l’ONU, et non pas pour le chasser du pouvoir." Si Blair a reconnu qu’il n’existait aucun lien entre Saddam Hussein et Al-Qaïda, il a néanmoins assuré avoir été "absolument certain" que si le dictateur irakien avait été autorisé à poursuivre son programme nucléaire, l’Occident en aurait subi les conséquences.
La guerre d’Irak jugée illégale selon plusieurs hauts magistrats britanniques.
« La manière dont fut abordé le problème est proprement lamentable. Il aurait dû y avoir une plus grande transparence de la part du gouvernement concernant l’avis juridique, ainsi il n’aurait pas appartenu uniquement au procureur de décider du dernier mot ». [1] Plus tôt dans la matinée de mardi 26 janvier, la commission d’enquête sur la participation du Royaume-Uni à la guerre en Irak a pris connaissance du fait que Jack Straw avait rejeté l’avis de Sir Michael Wood, représentant du droit légal au ministère des Affaires étrangères, qui avait expliqué que sans l’accord de l’ONU, l’invasion de l’Irak représenterait ce que l’on appelle « un crime d’agression ». Straw aurait déclaré au représentant du droit britannique que « les lois internationales sont un domaine incertain et que les opinions divergent sur ce terrain ». [2] Nous voulons bien le croire…
Elizabeth Wilmshurst, juriste britannique reconnue, membre du Royal Institute of International Affairs, était en 2003 conseillère juridique au ministère des Affaires étrangères britannique. Elle ira jusqu’à démissionner de son poste afin de montrer son opposition à l’engagement de troupes britanniques en Irak. Michael Wood était son supérieur, conseiller juridique principal au ministère des Affaires étrangères britannique. Elle vient de déclarer que la guerre en Irak était illégale.
Alors que les ministres britanniques affirment tous que l’envoi des troupes en Irak était parfaitement justifié, Elizabeth Wilmshurst et son supérieur, Sir Michael Wood, déclarent publiquement que d’un point de vue juridique, cette guerre n’est absolument pas légale et qu’elle est contraire au droit international. [1] Elizabeth Wilmshurst, lors de son audience publique le mardi 26 janvier a déclaré: « Je pense que la manière dont fut abordé le problème fut proprement lamentable. Il aurait dû y avoir une plus grande transparence (…) concernant l’avis juridique [sur la guerre en Irak]. Il est incroyable que l’on ait demandé son avis au Procureur général Lord Peter Goldmith seulement quelques jours avant l’envoi des troupes. (voir : vidéo de la séance) Quelques jours avant l’envoi des troupes sur le sol Irakien, le procureur général lord Peter Goldmith déclarait aux ministres britanniques que l’existence des résolutions de l’ONU datant de 1991 concernant l’Irak rendait son invasion légale. Cependant quelques jours plus tôt il déclarait publiquement que l’invasion du pays devait être discutée car du point de vue de la loi il fallait examiner le caractère légal de cette guerre. [1] Quel est l’origine de ce changement d’opinion en quelques jours ?
Elizabeth Wilmshurst déclare qu’à l’époque elle avait eu en mains une version préliminaire d’une note du procureur dans lequel il déclarait qu’il préconisait alors une seconde résolution de l’ONU, explicite sur la question de l’envoi de troupes armées. Elle explique que du fait de l’importance capitale de la décision d’attaquer ou non l’Irak, c’est-à-dire de tuer des milliers de personnes, il était nécessaire que l’ONU fournisse une nouvelle résolution claire et faisant office d’autorisation. "La question était l’invasion massive d’un autre pays, le renversement de son gouvernement, et l’occupation de ce pays. Dans de telles circonstances, il me paraissait capital de savoir où nous allions. » C’est pourquoi selon elle, il est tout à fait impensable que le gouvernement ait pris une telle décision en demandant l’avis du Procureur général seulement quelques jours avant l’envoi des troupes. Elle ajoute qu’« à ce moment-là, il aurait été très difficile [pour le procureur] de donner un autre avis sur la question sans remettre en cause l’opinion publique sur Saddam Hussein ». [1]
Faut-il en conclure par là que la décision du massacre ou non de centaines de milliers de civils tenait sur la volonté de ne pas « dévier » l’opinion publique de l’idée qu’elle se faisait de Saddam Hussein ? Qu’il ne fallait pas « casser » l’image donnée de lui par les médias ?
Lorsque l’on demande pendant l’audition à l’experte en droit, Mrs Wilmshurst, ce qu’elle en pense, elle explique que Straw, ministre des Affaires étrangères, n’est absolument pas expert sur le sujet du droit international. D’ailleurs, Jack Straw, montrant déjà qu’il n’avait aucune compétence en droit international, avait déclaré en 2005 lors d’une émission de la BBC sur la guerre en Irak qu’il pensait que l’invasion "était" « la bonne solution », mais qu’il ne « savait » pas avec certitude si elle l’était vraiment. Ce qui est pour le moins étonnant lorsque la vie de centaines de milliers de personnes est en jeu… [2]
Sir Malcom Rifkind a déclaré à l’assemblée qu’il n’est pas normal que Jack Straw ait eu son mot à dire sur la question tout en ignorant délibérément l’avis des experts en droit international. Selon Rifkind, Straw a simplement détourné les yeux de la question légale. Il parait maintenant clair que cette histoire ne fut qu’un revers de main sur le droit international et que la fin des va-t-en-guerre justifiait tous les moyens. [1] Rifkin déclarera à la BBC après les auditions qu’il est « profondément bouleversé par les implications [de ces décisions] » qu’il a appris lors de cette audience. M. Rifkin ne connaissait-il donc pas ces implications?
Michael Wood: contraire au droit international
Après Elizabeth Wilmshurst, ce fut à son supérieur de s’exprimer. Michael Wood a déclaré qu’il avait déconseillé au gouvernement Blair une invasion de l’Irak, la jugeant contraire au droit international. "Je considérais que l’utilisation de la force contre l’Irak en mars 2003 était contraire au droit international", a-t-il déclaré dans une déclaration écrite adressée à la commission d’enquête britannique sur la guerre en Irak. [2] Wood précise : "A mon avis, l’usage de la force n’avait pas été autorisé par le Conseil de sécurité, et n’avait pas d’autre base légale en droit international." Il a expliqué qu’il considérait que la résolution 1441 de l’ONU, adoptée en novembre 2002 et qui proposait à Saddam Hussein d’obéir en abandonnant les armes de destruction massive qu’il était accusé de détenir, ne représentait pas une base suffisante pour entrer en guerre contre l’Irak. [2] Par ailleurs, des lettres déclassifiées prouvent que Wood avait bel et bien averti Straw du caractère illégal de l’invasion. Lorsque l’on a demandé à Wood quelle avait été la réaction du ministre des Affaires étrangères, voici quelle fut sa réponse : « [vous êtes quelqu’un de] dogmatique et les lois internationales sont quelque chose de plutôt vague. » Straw expliquera qu’une nouvelle résolution de l’ONU n’aurait été utile « que pour des raisons politiques » et que « ce dont on disposait déjà suffisait ». Sir Michael Wood précisera que le rôle de rapporter le caractère illégal de l’invasion aux ministres britanniques incombait à Goldsmith, qui visiblement a ignoré tous les avertissements. Seulement dix jours avant son compte rendu où il donnait son avis favorable à l’invasion, il déclarait « d’un point de vue légal, la meilleure chose à faire est d’attendre une nouvelle résolution de l’ONU ».
Peter Goldmith a été interrogé aujourd’hui même (mardi 26 janvier). La question la plus importante qui lui fut posée fut la suivante : « Quelles sont les raisons qui vont ont fait changer d’avis, entre le moment où vous n’étiez pas en encore mesure de décider de l’invasion ou non, car il aurait fallu que l’ONU se prononce et le moment où vous déclarez quelques jours plus tard que les résolutions de l’ONU de 1991 suffisent » ?
La réponse fut claire, le procureur « s’est décidé » après sa visite aux Etats Unis où il a rencontré Plusieurs généraux américains et Condoleeza Rice, conseillère à la sécurité nationale, [3] et l’on sait également que Donald Rumsfeld, secrétaire à la défense de George Bush, avait alors clairement dit au gouvernement britannique que de nouvelles résolutions de la part de l’ONU n’étaient pas nécessaires et qu’il refusait que les britanniques n’envoient pas de troupes armées. [4]
Lord Boyce, chef des armées britanniques, a quand à lui déclaré que « peut importe que l’on dise que le gouvernement britannique ne souhaitait pas déployer de forces avant qu’une nouvelle résolution de l’ONU soit émise, […] Donald Rumsfeld ne voulait pas en entendre parler. » [4]
Le rôle de Donald Rumsfeld et de Condoleeza Rice
A la suite de ces auditions, il apparait désormais clairement que ce sont Donald Rumsfeld et Condoleeza Rice qui furent les artisans de la persuasion du représentant britannique, en moins de 10 jours, qu’une nouvelle résolution de l’ONU n’était pas nécessaire. Pour Mme Rice, rappelons-nous qu’en avril 2009, le Sénat des Etats-Unis a révélé que Rice avait autorisé l’utilisation de méthodes de torture. C’est aussi elle, qui déclarait, surement de manière ironique, au cours d’un discours remarqué à la Convention républicaine que « les forces armées américaines ne sont pas une force de police mondiale, ils ne sont pas le 911 mondial. En décembre 2005, elle doit justifier auprès du Conseil de l’Europe l’existence de prisons secrètes de la CIA en Europe ainsi que l’utilisation d’aéroports européens pour des transferts des prisonniers « combattants ennemis ». Sans confirmer l’existence de prisons secrètes en Europe de l’Est, elle expliqua que les États-Unis utiliseraient toutes les armes nécessaires, justifiant le transfert de suspects de terrorisme dans d’autres pays pour être « interrogés, détenus ou jugés » et appelant les gouvernements européens à faire preuve de responsabilité. Selon elle, ces « renditions » auraient sauvé des vies, y compris en Europe. Pour ce qui est de M Rumsfeld, rappelons-nous qu’en 1983, c’est également Rumsfeld qui traitait d’un nouvel accord diplomatique avec Saddam Hussein. C’est encore Rumsfeld qui procède à la création du Bureau des projets spéciaux (Office of Special Plans), placé sous l’autorité directe de Paul Wolfowitz, son secrétaire adjoint et géré par le sous-secrétaire à la Défense, Douglas Feith. Le travail de cette officine fut d’analyser le matériel fourni par la CIA et les renseignements militaires et d’apporter ses propres conclusions à la Maison-Blanche. C’est à ce bureau qu’a été par la suite reproché d’avoir inventé de toutes pièces la menace des armes de destruction massive irakiennes et d’avoir sciemment fourni de fausses informations. C’est aussi Rumsfeld qui, dans l’affaire controversée du Tamiflu, était président du conseil d’administration de Gilead Science qui a vendu pour 60 millions de dollars de Tamiflu pour lutter contre la grippe aviaire. C’est aussi Rumsfeld le principal acteur de la mise en place de la torture dans les prisons d’Abu Graïb et de Guantanamo. Enfin, c’est également Rumsfeld qui avait prétendument retrouvé le nez de l’avion dans le Pentagone…et c’est toujours M. Rumsfeld qui ne sait trop quoi répondre devant la gabegie financière du Pentagone que lui reproche la députée Cynthia Mac Kinney, ou qui commet un lapsus -parmi bien d’autres au sein de l’administration US- ou une très grossière erreur en conférence de presse à propos du « vol 93 abattu en plein ciel ».
Un constat sans appel
Désormais, après les soldats, c’est au tour des hauts représentants du droit international de dénoncer le caractère illégal de la guerre contre le terrorisme.
L’origine de cette guerre éternelle du « bien contre le mal » est incarnée par le 11 Septembre, dont les événements doivent être examinés par une nouvelle commission d’enquête indépendante disposant du pouvoir d’assigner à comparaitre, et rendant un avis exploitable par la justice internationale. Des centaines de milliers de vies ont déjà été décimées en Irak, et d’autres suivent chaque semaine, encore 8 années plus tard.
Comme l’illustre le cas particulier des Britanniques, ce n’est pas la justice, ni les représentants du droit qui sont à blâmer, mais les gouvernements européens et américains qui ont délibérément ignoré les avis des conseillers juridiques et les directives de l’ONU afin d’étendre cette guerre éternelle contre « la terreur ».
Si les armes de destructions massives n’ont jamais existé en Irak, cependant les négationnistes qui ont longtemps prétendu qu’elles ont bel et bien existé sont les mêmes qui prétendent toujours, sans étayer leurs affirmations, que c’est Ben Laden qui a attaqué les Etats-Unis. Car là encore le ministère américain de la justice au travers du FBI ne reconnait pas cette culpabilité par manque de preuves comme l’a déclaré le chargé des affaires publiques du FBI. Rex Tomb en mars 2006: « La raison pour laquelle le 11-Septembre n’est pas mentionné dans l’avis de recherche de Ousama Ben Laden est que, à ce jour, le FBI n’a pas de preuves tangibles de l’implication de Ben Laden dans ces attentats. » Ben Laden n’a pas été jugé, même par contumace, au chef de ce crime. Il n’est donc pas recherché pour.
Tony Blair sera auditionné ce vendredi 29 janvier, il lui sera posé la question de savoir s’il avait lui aussi été averti du caractère illégal de cette invasion.
Kikujitoh – Pour reopen911.info
[2] http://news.bbc.co.uk/1/hi/uk_politics/8479996.stm
[3] (©AFP / 27 janvier 2010 17h35)
[4] http://www.guardian.co.uk/uk/2009/dec/03/iraq-inquiry-us-britain
Aïe, l’usage du mot négationniste dans le dernier paragraphe… ne tombons pas dans les travers des journalistes :\
Pourquoi maintenant parle-t-on? Pourquoi ne pas avoir parle avant le debut de cette sale guerre? Qu’a fait Kofi Annan pour empecher cette guerre? Rien. Absolument rien. On les a laisse faire avec le resultat que l’on connait, tous ces Iraqiens morts, sans oublier les soldats defigures ou amputes et meme morts.
Et pourquoi cette enquete « Chilcott » doit etre une enquete bidon? On voit bien que tout avait ete invente de toute piece, non? Quelle frustration. C’est degoutant. Mais dans quel monde vivons-nous, Seigneur!!!
@ Shrikull, oui négationnistes car ces personnes dont je parle nient l’absence de danger provenant de l’Irak. Blair l’a encore déclaré ce midi à la radio (même si on le voyait pas le danger était là dit-il…)
Le droit international et les conventions n’existent bien souvent que pour nous permettre de comprendre à quel point les grandes puissances peuvent les contourner, les piétiner, les violer tout en contraignant les pays de moindre puissance à s’y tenir.