G.Chiesa : “Terrorisme, la CIA cache un secret à Vilnius”

Voici un article de l’ex-député européen Giulietto Chiesa paru dans le quotidien italien La Stampa ce 23 décembre. G.Chiesa y lève un peu plus le voile sur le mystère des prisons secrètes de la CIA en Europe. En tant que membre du Parlement européen, G.Chiesa avait participé à l’élaboration du rapport de la commission extraordinaire d’enquête sur les agissements de la CIA en Europe après le 11-Septembre (*). Il nous livre ici quelques éléments supplémentaires qui contribuent à relativiser les discours officiels de l’administration Obama largement relayés par les médias occidentaux.

l’ex-député européen Giulietto Chiesa
 

 
par Giulietto Chiesa, La Stampa, 23 décembre 2009
 

Il explose, il n’explose pas, si, il explose. Le scandale des prisons secrètes de la CIA en Lituanie s’enrichit de nouveaux détails, toujours plus crédibles. La nouvelle arrive avec deux ans de retard sur les révélations de la chaine américaine ABC qui avaient permis d’en identifier au moins deux, en Pologne et en Roumanie, poussant le parlement européen à former une commission spéciale d’enquête sur les “restitutions extraordinaires” de présumés terroristes, autrement dit, de prélèvements illégaux de prisonniers à destination de Guantanamo.

De nombreux aéroports européens, dont ceux de Rome et d’Aviano, avaient servi d’étapes entre 2002 et 2005. L’Italie avait aussi “aidé” au kidnapping d’Abu Omar à Milan. Certains pays européens ont fait davantage, en acceptant par exemple d’accueillir sur leur sol des prisonniers de la CIA. D’autres ont permis l’atterrissage de vols secrets.

En Lituanie, il semble que la prison ait été localisée près de la vile de Rudnikaj, dans une ancienne base soviétique, à 40 km de Vilnius. Selon la chaine ABC qui a eu accès à des informations provenant d’une source qualifiée des Services secrets américains, au moins huit détenus seraient passés par cette prison.

Évidemment le gouvernement lituanien dément. Et il l’a fait encore hier. Mais il a été mis en difficulté par l’ex-Président Rolandes Paksas, lequel a déclaré sans détour que l’”impeachment” auquel il fut contraint en 2004 était la conséquence de son refus catégorique d’accueillir des prisons secrètes pour le compte d’un tiers. “Alors que j’étais président – a-t-il expliqué – j’appris que certains voulaient amener des présumés terroristes en Lituanie. Je pense que mon désaccord substantiel fut le facteur déclenchant d’une campagne contre ma personne et de mon “impeachment” qui a suivi.”

Par conséquent, les pressions ont bien existé, et il est fort probable que l’opération fut réalisée malgré son refus, entre 2004 et 2005 (comme l’affirme ABC).
La question qui se pose est pourquoi tout cela ressort-il maintenant ? Qui agite ces “gorges profondes” et pourquoi ? ABC dit-elle la vérité quand elle attribue les indiscrétions à une source de la CIA ? Ou bien y a-t-il quelque main européenne qui, pour dire le moins, y contribue ?

Dans ce cas comme dans d’autres, on voit bien en filigrane apparaitre deux Europe. Tout comme au temps de la guerre en Irak quand il y eut l’Allemagne de Schroeder et la France de Chirac qui refusèrent d’entrer dans le jeu de Washington, de la même façon aujourd’hui toutes les capitales européennes ne s’inclinent pas devant un Obama de plus en plus incertain et vague.

L’abandon du projet de missiles en Pologne et de celui du radar en Tchéquie n’a pas été du goût des néoconservateurs européens. Et Guantanamo ne plait pas aux libéraux américains qui ont voté Obama. La CIA qui a torturé les prisonniers de la Guerre contre le terrorisme n’est pas certaine de l’impunité que lui a pourtant garantie Obama.

Et la crise économique qui a frappé l’est de l’Europe, et en premier lieu les trois États baltes, mélange de nouveau toutes les cartes. Les postes à responsabilité sont autant de sièges éjectables.
Et l’affaire des “restitutions extraordinaires” n’est pas terminée. Des enquêtes se poursuivent en Allemagne, en Espagne et au Portugal. En Italie le procès de Milan pour le rapt d’Abu Omar s’est heurté au secret d’État, et ne permettra pas d’envoyer derrière les barreaux les agents de la CIA auteurs de l’opération.

Guantanamo ne ferme pas, au contraire, on découvre que d’autres prisons secrètes sont encore ouvertes. Par exemple sur la base de Bagram. À Vilnius, petite capitale qui porte en son sein un grand secret, quelqu’un a ouvert une brèche qui pourrait compromettre la solidité de toute la structure. Si certaines personnes – mais cela est hautement improbable – devaient payer le prix fort, les remous pourraient finir par arriver très loin.


Publié par La Stampa le 23 décembre 2009, traduction GV

 

Références :

(*) CHIESA, Giulietto. 2006. "Au mépris de l’Europe et du droit.L’archipel des prisons secrètes de la CIA". Le Monde diplomatique. Août 2006.

 


Note ReOpenNews : Lire aussi notre précédente ReOpenNews : La fermeture des prisons clandestines. Le secret reste entier et lire aussi le rapport du Conseil de l’Europe soutenu par Dick Marty, conseiller tessinois. ( Moins connu que l’UE, le Conseil de l’Europe est consultatif et regroupe 47 pays de l’Europe élargie. Les USA, le Canada, le Mexique -donc la zone du traité de 1994 ALENA- et le Japon et Israël y occupent un siège d’observateurs).

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